Source : Les Trois Coups - 05 juillet 2008
Le Théâtre du Chêne-Noir accueille dans le cadre du Off d’Avignon, « Maestro », une pièce écrite en 1990 par Hrafnhildur Hagalin (auteure islandaise), mise en scène par Christophe Lidon. Ce huis clos nous introduit dans l’intimité d’un jeune couple de guitaristes, tous deux élèves d’un célèbre maestro. Celui-ci cherche à reprendre ses droits sur ce qu’il estime être sa création, à savoir Anna. Le maître, en parfait stratège, offre une véritable leçon de manipulation.
Tout se passe dans le salon de l’appartement du couple, un espace clair au mobilier contemporain, une grande fenêtre voilée, isolant ce trio tourmenté du reste du monde. Alors que Paul et Anna rêvent tous deux l’avenir, espérant se voir un jour « riches, célèbres et adulés », le passé refait surface… L’arrivée inopinée, mais presque salvatrice de celui qui les a formés, bouscule leur projet de vie.
Cette pièce a été montée à New York, à Londres, en Australie, en Italie, en Slovénie, en Espagne… et a déjà remporté un franc succès. Elle apparaît donc d’emblée comme une valeur sûre du paysage théâtral. Christophe Lidon nous offre ce texte parfaitement construit, hélas, sans prendre de risque.
C’est un texte foisonnant, servi par des interprètes de talent, où le monde de la musique fait écho au monde théâtral dans une mise en scène irréprochable. Le travail scénique est propre, soigné ; rien ne déborde, rien ne dérange.
Quant aux comédiens, ils s’approprient leur rôle avec aisance et intelligence. Jean-Pierre Bouvier incarne ainsi un maestro charismatique, séduisant, au discours cynique, sous couvert de traits d’esprit acérés. Il nous évoque aussi bien Faust dans son attitude et sa position que Bedos dans ses intonations. Étonnant, donc ! Sarah Biasini, dans le rôle d’Anna, conduit avec habileté le parcours de cette femme-enfant destinée à reprendre son destin en main.
Le maître et l’élève entretiennent ainsi une relation de dépendance, se vouant une admiration réciproque. Le maître, extrêmement fier du travail effectué sur son élève, l’empêche de se réaliser en dehors de son regard, attisant ainsi la jalousie de son compagnon. « Qui est l’écho de qui ? » se demande même Paul en constatant leur mimétisme discursif.
Ces trois personnages unis par un même amour de la musique font face à leurs sentiments contradictoires. La supercherie mise en place par le maestro aux chaussures multicolores s’éclaircit lentement, nous laissant le temps d’apprécier le grand art de Jean-Pierre Bouvier.
Le lieu de la représentation, aménagé au cœur d’une ancienne église, offre une merveilleuse acoustique qui aurait pu être davantage exploitée compte tenu du sujet de la pièce. Alors que l’on parle bien ici de l’art musical et de sa transmission, il aurait été de bon ton de ravir nos oreilles en octroyant une place plus importante à la musique que celle que lui réserve le metteur en scène. Les quelques morceaux classiques diffusés sont à peines audibles et ne peuvent que renforcer notre frustration. Pourtant, lorsqu’il s’agit d’agacer la voisine de l’appartement du dessus, le volume sonore de la télévision est augmenté sans scrupule. Il y a bien cette guitare dans sa housse, amenée par Anna au retour du cours qu’elle vient de donner, mais celle-ci est immédiatement abandonnée dans le décor.
Visant un certain establishment, cette mise en scène « comme il faut », séduisante donc, ainsi que l’engagement des acteurs pour servir avec justesse le propos captivant de la pièce, est plaisante à voir. Cependant, elle ne me laissera personnellement aucune trace…
Audrey Chazelle