La passante du Sans-Souci (Jacques Rouffio)
Joseph Kessel, Jacques Rouffio, Romy Schneider, Michel Piccoli. Le consortium de la qualité, de « la belle ouvrage ». Kessel n’est plus là pour juger de l’adaptation cinématographique, par Jacques Ruffio, de « La passante du Sans-souci », un livre écrit en 1937. Mais je crois qu’il n’aurait pas renié cette adaptation libre, prolongeant une histoire commencée il y a près de 50 ans, dans les rues de Berlin, quand résonnaient les bottes des assassins. L’idée de porter à l’écran ce roman un peu oublié appartient à Romy Schneider qui, à cette occasion, a retrouvé son complice Piccoli. C’est leur sixième film ensemble.
Romy Schneider incarne ici un double personnage. Celui d’Elsa, épouse de l’éditeur allemand Michel Wiener, un esprit libre qui ne peut s’accommoder du nazisme et figurera parmi ses premières victimes. Celui de Lina, l’épouse de Max Baumstein, dirigeant d’une importante compagnie d’assurance et, en même temps, président de « Solidarité internationale ». La réussite sociale n’a pas effacé, dans la mémoire de Max Baumstein, le souvenir des années d’horreur quand, jeune juif berlinois, il fut sauvé des griffes hitlériennes par Elsa et Michel Wiener.
Aujourd’hui, Max Baumstein se voue à la cause des persécutés, où qu’ils se trouvent et quels que soient leurs oppresseurs. Un jour, au nom de son organisation, il demande audience à l’ambassadeur du Paraguay Paris afin d’obtenir des informations sur le sort d’une jeune fille portée disparue dans ce pays. L’ambassadeur se nome Federico Lego. Mais Baumstein débusque en lui Ruppert von Leggart, ancien conseiller à l’ambassade d’Allemagne à Paris sous le régime hitlérien. Froidement, Max l’abat d’une balle de revolver.
Les raisons de ce geste vont se révéler tout au long d’un chassé-croisé entre le présent et le passé. Max Baumstein plaide coupable. Il ne cherche pas d’excuse. Il explique. Ce fantôme qu’il a tué était chargé de crime et d’horreur. Adversaire déclaré du terrorisme, de l’action individuelle, Max Baumstein n’a pu se soustraire à cette mission salvatrice et de caractère personnel.
Michel Piccoli assume son rôle de « justicier » avec la retenue, la classe qu’on lui connaît. Mais c’est à Romy Schneider que revient toute la charge émotionnelle du film. Elle est littéralement habitée par le double personnage qu’elle incarne et, surtout, par l’époque lugubre qui revit au travers d’Elsa Wiener. Il faut saluer aussi la première prestation cinématographique de Gérard Klein qui se cachait jusqu’à maintenant derrière un micro. Le jeune Wendelin Werner, dans son rôle de Max Baumstein enfant, ne ternit nullement l’image de Max Baumstein adulte. Quand à l’émouvante Dominique Labourier, je dirai simplement qu’il faudrait la voir beaucoup plus souvent à l’écran.
« La passante du Sans-souci » est un film contre l’amnésie pernicieuse.
Serge Zeyons