Source : La Marseillaise.com - 11 juillet 2008
Avignon Off. Dans la forêt bourdonnante des spectacles, crapahuter dans les sentiers où les repères manquent, est le plaisir du festivalier. Le chercheur d'or fouille et récompense suprême, il trouve.
Son prénom se prononce comme on éternue : Hrafnhildur Hagalin, née en Islande, abandonne sa formation musicale pour se consacrer à l’écriture. En 1990, elle reçoit le prix de la critique pour sa première pièce : Maestro, traduite en plusieurs langues. Grâce à la grande messe avignonnaise elle conquiert la France. Nabil El Azan et Thomas Joussier en signent une adaptation limpide, décrassée de toute affectation. L’auteure autopsie les rapports ambigus qui unissent un maître et son élève. Elle choisit comme ring d’affrontement le petit appartement où vivent Anna et Paul, jeune couple guitariste en mal de reconnaissance. Elle est douée, très douée ; il l’est moins mais travaille son instrument avec un pathétique acharnement. Quand l’action se soumet aux rigoureuses lois de l’interprétation musicale, les nœuds se resserrent, les nerfs se tendent, les cœurs explosent.
Pygmalion ou Méphistophélès
Vêtu de noir, une rose longiligne à la main telle une épée menaçante, le Maestro débarque sans crier gare, s’installe avec une désinvolture feinte, susurre une alléchante proposition comme on jette un os à un chien. Le ver est dans le fruit ; la tempête vrille les cerveaux, foudroie les rêves de gloire, anesthésie ce brelan de musiciens pour ouvrir un horizon vital et serein où la vraie vie se fiche des prouesses musicales. Le maître et son élève Anna entretiennent de vénéneuses relations sous l’œil incompréhensif de Paul. Difficile de couper le cordon ombilical sans blessure libératrice.
Un quatuor de haut vol
Christophe Lidon aère une mise en scène toute en discrétion, préoccupé surtout, on s’en doute, à diriger, à admirer un trio de comédiens d’une irradiante beauté. Thomas Joussier, avec le personnage de Paul, affronte une partition ingrate, celle du pion rapporté dans un jeu dont il ignore les règles. Il est juste, “à côté” sans être transparent. La présence lumineuse de Sarah Biasini, très à l’écoute de ses partenaires, rafraîchit l’atmosphère orageuse. Oiseau pris au piège de son propre talent, elle se débat avec une rage communicative dans le labyrinthe de ses contradictions. Bien sûr on aurait aimé moins de larmes et plus d’entêtement (le microcosme des musiciens professionnels exige une dureté, une opiniâtreté presque inhumaines), mais la comédienne réussit à émouvoir un public forcément charmé par tant de grâce. Jean-Pierre Bouvier adopte une diction distanciée, presque vieillotte (en tirant sur les voyelles par exemple), marie sympathie et goujaterie avec élégance. Ce bel acteur impose une autorité dérangeante comme l’auraient aimée un Ibsen ou un Strindberg. Superbe, il lance : “Il faut laisser le public sur un point d’interrogation”… Hrafnhildur Hagalin fait sienne cette devise et envahit le spectateur de questionnements, au-delà de la représentation. Qui n’a jamais rêvé de tuer son père ou son maître ? [...]
Jean-Louis Châles
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