Source : Le quotidien du cinéma - 22 avril 2022
Robert Enrico réalise une œuvre marquante du cinéma Français. Ainsi, "Le Vieux Fusil" aura-t-il eu l’honneur d’être élu meilleur film lors de la première édition des Césars en 1976. C‘est le genre de film qui ne laisse guère indiffèrent. Une oeuvre qui relate une période trouble. A la fois choquant et émouvant, ce chef d'œuvre n'hésite pas à nous montrer une violence inouïe. Ce que l’on appellerait aujourd’hui "un revenge movie" nous raconte aussi le désespoir d’un homme, condamné à une terrible nostalgie d'un passé tragique.
Une union familiale brisée par la tragédie
"Le Vieux fusil" commence d’une façon très singulière et légère. En décalage avec son contenu ultérieur marqué par sa brutalité. L'image de cette famille à vélo, semblant si heureuse, fait oublier le destin funeste et le drame abject qui va se jouer. Sublimée par la douce et entêtante musique de François de Roubaix, cette scène, qui débute et clôt ce film, est mémorable.
Robert Enrico signe donc une entame simple et remarquable. Surtout, il fait en sorte que son film ne soit pas uniquement un récit de vengeance. En effet, ce couple formé par Philippe Noiret et Romy Schneider est la pièce maitresse de ce scénario. Leur union constitue une intrigue secondaire mais pas tant, presque comme un fil conducteur tout au long du film. Ainsi, le cinéaste met-il en avant cet amour inconditionné et passionné.
La première partie du "Vieux Fusil" est touchante. Elle introduit subtilement ces deux personnages et la véritable quintessence de leur relation si forte. On est tout de suite emporté par un tourbillon sentimental. Robert Enrico filme, avec maîtrise, cette osmose et cette alchimie qui transparaissent avec évidence à l’écran. Cette vision de cette famille joyeuse et drôle ne peut qu’éveiller notre sensibilité et notre humanité. Toutefois, malgré ces instants harmonieux, "Le Vieux Fusil" ne tarde pas à distiller des éléments évoquant le climat de suspicion et de terreur lié à l'occupation. Des pendaisons, la présence des miliciens, etc. Le cinéaste joue sur deux tableaux et prépare un développement beaucoup plus sombre et glauque.
La mise en scène est impeccable. Posée et dynamique à la fois, elle introduit intelligemment les bases de ce récit et les personnages sont très bien présentés et définis. Il faut dire que ce duo d’interprètes est plus que complémentaire. La bonhomie de Philippe Noiret et le charme discret de Romy Schneider se complètent harmonieusement. L'atypisme et la générosité de ce couple transpirent à l'écran. Ainsi, "Le Vieux Fusil" est-il également un grand film d’amour. L'un des plus beaux, malgré la tragédie qui s'annonce...
La mécanique de la vengeance
Robert Enrico signe une deuxième partie de haute volée, quasiment filmée à la manière d’un film d’action. Surtout, il ne fait pas l’impasse sur quelques scènes chocs, tel le meurtre de l’épouse et de sa fille. Ce passage est surement l’un des plus marquants du film et du cinéma français en général. Le niveau de violence et d’intensité y atteint son paroxysme et justifie pleinement le désir de vengeance de ce père. Le film prend alors une autre dimension.
Philippe Noiret justifie son César en l’espace de quelques scènes. Notamment celle dans l’église au cours de laquelle ses émotions virent rapidement vers le négatif et la tristesse. Cette disposition macabre faite par le cinéaste est si pertinente qu’elle suscite l’effroi. La mécanique de la vengeance s’enclenche alors. Dans ce cadre, Robert Enrico gère parfaitement l’action de son film en proposant un rythme fluide et des plans parfaits distillant le suspens. Cette chasse à l’homme est très bien reproduite car cette soif de vengeance devient alors partagée par le public.
Il faut noter que le cinéaste utilise avec brio les moindres recoins de ses décors. Le scénario est bien écrit et d’une grande simplicité. Parce que l''écriture de l'ensemble met en exergue cet esprit revanchard. Parce qu'il plonge le film dans une violence froide jusqu’alors inégalée dans le cinéma français. Le montage et les enchainements sont ainsi très rapides. L'action est rondement menée et la technique de robert Enrico fait le tout. Lors de cette seconde partie, nous entrons progressivement dans l’esprit désespéré du personnage interprété par Philippe Noiret. Quelques flash-backs surgissent. Ils évoquent une nostalgie du passé et des êtres aimés. Ces souvenirs agissent tel un déclencheur et sont une incitation à l’acte meurtrier. Le choix d’avoir recours aux visions du passé est clairement justifié. En effet, cela consolide, voire justifie, le désir de vengeance. En aucune manière, ces visions ralentissent l’action. Bien au contraire, elles procurent même un puissant ascenseur émotionnel. Grâce à elles, le cinéaste joue habilement avec nos ressentis, car on passe facilement de la joie au dégoût profond.
Philippe Noiret éclabousse ce film de tout son talent. Ainsi sera-t-il récompensé aux Césars pour ce rôle. Le comédien propose une composition complexe qu’il n’avait jamais faite auparavant. Il trouve là un rôle majeur. La dernière scène résume à elle seule son César. Assis dans sa voiture, les yeux perdus dans le vide, à la recherche d'un bonheur à jamais disparu...
Sylvain Jaufry