Source : Shangols - 27 mars 2014
Sur les conseils d'un éminent critique que je rencontrai il y a peu, rencontre avec ce film tardif et mal-aimé du gars Otto. Nous voici en plein Vatican, à l'heure où l'abbé Fermoyle est nommé cardinal ; l'occasion pour lui de revenir par vagues de flashs-back sur son passé, son ascension de simple curé au sommet de la hiérarchie, ses combats et ses doutes, et surtout ses échecs. Film ample de trois heures, donc, qui mèle l'aventure humaine de cet homme à la grande Histoire, puisque la trame va aborder à peu près tous les problème auxquels a dû se confronter l'Eglise au XXème siècle : émancipation des femmes, sexualité, ségrégation raciale aux USA, position vis-à-vis du nazisme, avortement, etc. On le voit, l'ambition de Preminger n'est pas petite, et l'écueil était proportionnellement grand : facile de dresser, surtout pour un athée, un dossier à charge contre la religion, et de fabriquer un pamphlet anti-cureton qui aurait séduit le public. Très loin de ça, Otto fabrique un exemple d'intelligence scénaristique, se tenant toujours à la bonne distance de son sujet : complètement immergé dans cet univers cloitré, il regarde en spectateur le protocole et les manoeuvres cléricales, sans jugement, en faisant de façon exemplaire la part des choses. Si son héros est un modèle de "religion éclairée", à la moralité aussi pure que son acuité et son courage, on voit aussi s'agiter de bien sombres personnages, évèques à la solde d'Hitler, petits curés qui ferment les yeux sur les exactions qu'ils ont sous les yeux, pontifes jonglant avec la diplomatie pour se placer, etc. Mais Preminger est souvent fasciné par la pompe de ces cérémonies religieuses, par la beauté des églises et par la force de la religion quand elle est bien employée ; son film se situe exactement entre la critique et la compréhension de ce monde, c'est remarquable.
Invention supplémentaire dans l'écriture : faire reposer au final le destin chaotique de Fermoyle autour de deux femmes, qui sont autant d'échecs traumatiques à la Vertigo. D'abord une soeur qu'il n'a pas su comprendre et aider ; ensuite une femme qu'il n'a pas su aimer jusqu'au bout. Ces deux épisodes, sommets du film, sont d'ailleurs filmés presque en parallèle. Des portes qui se ferment devant le héros, des visages qui se ferment (les deux magnifiques plans fixes, l'un sur la soeur tentant de parler et perdant l'usage de la parole, l'autre sur Romy Schneider, soudain rendue prodigieusement profonde grâce aux barreaux de prison qui l'encadrent). Ces deux scènes encadrent complètement le film, et donnent une noble tristesse sur le visage de Tom Tryon (vraiment parfait dans le seul rôle important de sa carrière), et imprègne le film à la fois d'une mélancolie prenante et d'une aura de sexualité refoulée, c'est très subtil.
L'écrin dressé autour de ce savant scénario est magnifique : dans le cadre rentrent des couleurs et des reconstitutions historiques grandioses, Preminger n'oubliant jamais de donner du spectacle même quand il parle des tourments intérieur d'un être. La partie viennoise, avec une Romy mutine à souhait, est la plus belle, avec son Prater filmé comme un Paradis terrestre et ses rues animées. Si la partie Ku Klux Klan est laborieuse (étrange baisse de rythme là-dedans, comme si on assistait à un autre film), tous les épisodes de ce film soigneusement découpé en chapitres séparés ont leur qualité, toutes sont esthétiquement travaillées, toutes acceptent de se déployer dans ce rythme lent, contemplatif, nostalgique, spleeneux, qui colle au moral de notre pauvre et malmené curé. Bref, The Cardinal est splendide, subtil, intelligent et arrive à vous flanquer le frisson sur des histoires de crucifix. Grand, du coup.