Source : TaTouVu.com - 30 janvier 2022
Le 24 janvier 2022, l'Artistic Théâtre met à l'affiche une pièce jamais jouée en France d'Agatha Christie, sous la direction de Frédérique Lazarini. L'occasion de nous entretenir avec la metteuse en scène ainsi qu'avec Sarah Biasini, Robert Plagnol et Cédric Colas, trois des huit comédiens qui seront au service de la reine du suspens.
Frédérique Lazarini
Pour l'Artistic Théâtre, cette pièce est un peu inhabituelle. Pourquoi un tel choix ?
D'abord, le confinement nous a donné encore plus l'envie d'un travail collectif avec une dominante festive. Ensuite, la Librairie Théâtrale vient de rééditer huit pièces d'Agatha Christie n'ayant jamais été montées en France, traduites par Sylvie Perez et Gérald Sibleyras. Je les ai toutes lues et j'ai eu un coup de foudre pour «Un Visiteur inattendu» dont l'action démarre de façon fulgurante et fascinante. Par ailleurs, j'ai trouvé qu'elle contenait pas mal de mystères permettant de faire un travail intéressant, notamment sur l'inconscient. La victime est un type assez ignoble sur lequel on apprend des choses cachées terribles. Le personnage féminin, lui, est assez fascinant, fragile et incandescent et m'a tout de suite beaucoup plu. Enfin, il me semblait que l'on pouvait partir de l'enquête pour glisser vers le roman noir, un univers où la psychologie des personnages est essentielle. J'avais très envie de donner à la pièce une dimension plus sombre, éloignée du premier degré, avec des références aux films noirs des années 50 en dynamitant le côté questions-réponses caractéristique des œuvres d'Agatha Christie, en évitant de trop se reposer sur la trame policière et en travaillant sur le suspens et le danger. Sans oublier l'humour mis en avant par cette nouvelle traduction et attaché à la personnalité particulière de l'inspecteur de police.
Vous avez créé, il y a deux ans, une école de théâtre. Quels liens les élèves peuvent-ils avoir avec l'Artistic et en particulier avec cette création ?
L'Artistic m'ayant demandé d'être metteuse en scène en résidence, j'ai voulu réfléchir à un projet d'école plus global. Le fait d'avoir une structure d'enseignement consacré au spectacle vivant, adossée à un théâtre, est très important. Concernant «Un Visiteur inattendu», les élèves vont probablement intervenir en accueillant le public et en lui racontant des histoires en lien avec Agatha Christie et le théâtre auquel elle s'intéresse vers la fin de sa vie. Il y a beaucoup à dire sur le sujet, le fait qu'elle souffre si, par hasard, l'on change un mot de son texte ou encore qu'elle ait même voulu s'attaquer à la mise en scène. C'est important aussi qu'ils puissent assister aux répétitions ou aux constructions des décors. Si l'on ajoute à cela les événements que nous organisons comme récemment quand Benoît Solès est venu leur lire un texte lié aux «Chroniques» de Françoise Sagan que nous venons de jouer, l'on peut dire qu'ils sont particulièrement connectés au monde du spectacle.
Sarah Biasini
L'actrice reconnait que le théâtre est vraiment l'endroit où elle se sent le plus à l'aise et depuis 15 ans, elle enchaîne les pièces classiques et contemporaines. Dés 2008, Sarah Biasini décroche une nomination pour le Molière de la révélation théâtrale dans «L'Antichambre» de Jean-Claude Brisville, mise en scène par Christophe Lidon avec lequel elle s'entend bien et travaille souvent : «Il m'a toujours proposé des choses intéressantes» souligne-t-elle. Chacune de leur collaboration a été un plaisir, en particulier la dernière, «Mademoiselle Julie» de Strinberg au Cado. Après le rôle de Catarina dans «La Mégère apprivoisée» elle retrouve avec plaisir Frédérique Lazarini. «Un Visiteur inattendu» lui permet d'interpréter une femme maltraitée par un mari violent handicapé et colérique qui meurt au début de la pièce. Celle qui ne pouvait que chercher à se libérer de cette emprise semble avoir toutes les raisons du monde de l'avoir tué.
Difficile de percer le mystère de l'appropriation d'un tel personnage : «La construction d'un rôle, ce sont des couches différentes rajoutées jour après jour, il n'y a pas de méthode particulière» précise Sarah Biasini.
Interrogée sur le livre qu'elle vient de publier chez Stock, «La Beauté du ciel» elle nous confie «avoir eu le bonheur de voir ce récit particulièrement bien accueilli. J'ai voulu réfléchir sur la place des morts dans une famille, la recherche des souvenirs et la mémoire, la transmission et l'amour maternel. Je suis contente de ce livre qui correspond à une période, je le ferai probablement d'une autre manière aujourd'hui mais il me fallait écrire cette histoire, qui commence avec la profanation de la tombe de ma mère, que je voulais raconter depuis longtemps».
Robert Plagnol
Avec ce rôle dans «Un Visiteur inattendu» où il joue un homme politique en vue, préparant une campagne électorale, soumis à des pressions publiques et privées, il entame sa troisième collaboration avec Frédérique Lazarini, la précédente datant de 2012 dans «Médée».
Impossible d'aborder la riche carrière de Robert Plagnol sur les planches sans aborder Andrew Payne, «c'est un auteur incroyable, considéré comme un grand portraitiste de l'âme humaine, avec une puissance de description hors du commun qui a toujours fait mon plaisir de spectateur, d'adaptateur et d'acteur» dit-il avant de souligner que Payne a été porté en France par des metteurs en scène exigeants comme Patrice Kerbrat ou Didier Bezace. Sur ce dernier il précise : «Il a réalisé une première, à savoir reprogrammer «Squash» (d'Andrew Payne) dans son théâtre de la Commune, seule pièce en France à être passée du privé au subventionné, telle quelle !». Il y a quelques semaines, Robert Plagnol a mis en scène cette pièce sur Zoom, en direct, dans les conditions du théâtre, jouée par deux acteurs sous les applaudissements d'un public à distance mais enthousiaste. Dans le même esprit, après la création à Avignon en 2018, le comédien a récemment retravaillé et joué sur le net «La Femme de ma vie», monologue que Payne a écrit spécifiquement pour lui, en rassemblant pour l'occasion 1500 personnes sur 75 représentations. Succès unanime ! C'est pour accueillir cette proposition et d'autres que Robert Plagnol a créé le site www.directautheatre.com. «Nous avons trouvé le moyen de continuer à faire notre métier alors que nous ne pouvons pas toujours être ensemble dans le même espace».
Cédric Colas
Avec 80 rôles interprétés depuis 1989, Cédric Colas est un homme de théâtre et de troupe. Il a beaucoup travaillé à ses débuts avec Karim Salah puis à partir des années 2000 avec Frédérique Lazarini sous la direction de laquelle il vient de jouer Cléante («L'Avare») et tout récemment Petruchio dans «La Mégère apprivoisée». Sur ce personnage, il raconte comment, ayant vu dans ce rôle Claude Giraud qu'il trouvait l'incarnation de la virilité, il cherchait sa voie. «Frédérique Lazarini qui est passionnée de cinéma m'a conseillé de regarder Vittorio Gassman dans «Le Fanfaron» pour me nourrir de sa nonchalance et de sa joie de vivre apparente. Ça m'a débloqué et donné les clés de mon personnage !». C'est dans son adaptation qu'il a aussi joué tout récemment à l'Artistic les « Chroniques » tirées de textes de Françoise Sagan, mis en scène par Anne-Marie Lazarini qui le dirige également dans «Les Rivaux» de R.B. Sheridan sans oublier un Feydeau en 2015 l'année où il joue au festival d'Avignon «Yvonne, Princesse de Bourgogne» sous la direction d'Anne Barbot dont il garde un souvenir impérissable et avec laquelle il retravaillera pour «Humiliés et offensés» d'après Dostoïevski.
Dans ce beau parcours, un comédien émerge : Michel Galabru qui l'a formé avant de le faire jouer et pour lequel il ne cache pas une immense admiration. Avec lui il donne, en 1989, sa première pièce, «Le Médecin malgré lui» qui sera suivie d'une vingtaine d'autres dont des Labiche, Courteline, Guitry et Pagnol avec «La Femme du boulanger» où il rencontre Jean-Claude Baudracco avec qui il sympathise. Cet acteur a monté une troupe spécialisée dans les œuvres de Pagnol et avec laquelle Cédric Colas travaille régulièrement en tournée depuis 2015. C'est d'ailleurs avec cette troupe que Michel Galabru, dans une adaptation de «Jofroi» a joué sa dernière pièce.
Dossier par Philippe Escalier