Source : La Grande Parade - 28 janvier 2022
"Un visiteur inattendu", avec son lot de revirements, de coups de théâtre, présente une Agatha Christie au sommet de son art. Jouissif.
Un homme entre dans une somptueuse villa, par une nuit de smog comme seule peut en produire l’Angleterre. Dans un fauteuil d’infirme, un mort. Tué par balle. En face, une femme, belle, paniquée, un pistolet en main braqué sur le cadavre. Le décor est planté. Agatha Christie, la reine du suspense va pouvoir s’en donner à cœur joie, pour elle et pour le spectateur. Dès lors, les scènes s’enchaînent, en un tourbillon de rebondissements : tout le monde peut être coupable, complice, innocent, sincère ou retors, de Laura Warwick, l’épouse du défunt que tout accuse (l’arme qu’elle tenait), Jean, demeuré et puéril, demi-frère du mort, la mère Mme Warwick, Julian Farrar, politicien aux dents acérées, amant de Laura, et pourquoi pas le personnel de maison, miss Bennett et Henry Gove. La victime était exécrée de tous, donc tous pouvaient avoir envie de se venger. Rude tâche pour l’inspecteur Thomas. Aveux et reniements nouent l’intrigue jusqu’au final où on découvre la personne qui perpétra le meurtre. Mais est-ce bien elle en définitive ? Et Agatha Christie n’est-elle pas à nouveau en train de nous mener en bateau ? Car on a beau activer, tout au long de la pièce, ces petites cellules grises chères à Hercule Poirot - lui, on n’en doute pas, aurait élucidé le mystère – on reste à la merci de l’écrivaine qui sut si bien balader et captiver son public. Vaincu, par avance, on se laisse porter, pour notre plus grand plaisir.
Amour, haine et argent
La mise en scène de Frédérique Lazarini, d’ "Un visiteur inattendu", pièce traduite par Sylvie Perez et Gérald Sibleyras nous plonge dans l’univers cher à la célèbre dame du mystère. Le salon, richement meublé, rappelant le passé colonial du propriétaire, une porte dérobée, les objets dont chacun est un indice, balisent le huis-clos propre aux énigmes de chambre close popularisées par Poe, Leroux, Leblanc, en vogue avant que le hard-boiled sous la houlette des Hammett, Chandler, Himes, n’entraîne le genre policier vers le roman noir. Unité de temps, de lieu, d’action concentrent l’attention. Les projections donnent à la représentation sa dimension universelle pourrait-on ajouter et dramatisent le sujet et les sentiments : la haine, l’amour, l’argent, moteurs traditionnels de la littérature. La performance d’avant spectacle, jouée en alternance par les élèves de l’école Artistic Théâtre, retraçant la carrière d’Agatha Christie, resitue, si on l’avait oublié –ce qui reste peu probable- la place qu’occupe toujours, dans les lettres, la dame aux centaines de romans et nouvelles, aux dizaines de pièces de théâtre. On ne se lasse jamais de lire, relire, voir au cinéma à la télévision et au théâtre les énigmes qui, à chaque fois, nous égarent. Cette version, où les huit comédiennes et comédiens excellent, dans l’épaisseur qu’ils communiquent à leur personnage, ne déroge pas au plaisir que nous avons à nous confronter à l’esprit sagace, à l’humour fin d’Agatha Christie. Et d’être vaincu par avance mais charmé, en définitive.
Par Christian Kazandjian
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