Source : Blog Le Figaro - 19 avril 2011
Photo : Laurencine Lot
Dirigée par un metteur en scène qui la connaît bien, Christophe Lidon et au côté d'un partenaire très fin, Frédéric Andrau, la comédienne bouleverse dans "Lettre d'une inconnue".
Dans la petite salle des Mathurins le public s'installe sans lui prêter attention. Visage encadré d'une perruque emboîtante, nul ne la reconnaît. Elle va se lever vivement, ôtant d'un geste sûr le postiche pour entrer dans la lumière. Il y a, dans ce bref et dense spectacle, l'accord profond de tous ces artistes : ici, la musique de Michel Winogradoff, piano présent en toute discrétion, les lumières de Marie-Hélène Pinon qui sublime les visages et sait nuancer les humeurs, les costumes sobres et inassignables, le texte, extrêmement bien adapté pour deux voix par Michael Stampe d'après la traduction (Stock) d'Alzir Hella, Olivier Bournac, Françoise Toraille, tout ici compte. Tout est de haute qualité, de haute précision.
Sarah Biasini est une interprète dont on a toujours apprécié la sensibilité, la personnalité. Qu'elle soit la charmeuse un peu fêlée de "Pieds nus dans le parc", qu'elle soit la délicieuse et si intelligente Julie de Lespinasse dans "L'Antichambre" de Jean-Claude Brisville, elle déploie sa sincérité avec une réserve qui touche.
C'est Christophe Lidon, déjà, qui la dirigeait dans "L'Antichambre" comme il l'avait dirigée dans "Maestro" d'Hradnhidur Hagalin au festival d'Avignon (ce spectale nous ne l'avons pas vu). Mais ces précisions comptent car on devine une interprète qui est en confiance et un metteur en scène qui l'aime et apprécie profondément ses qualités. Au côté de Sarah Biasini dans cette partition difficile, l'écrivain nommé R***, l'homme qui hante "l'inconnue" qui lui écrit. Frédéric Andrau est parfait. Présent, il est un partenaire idéal et donne corps et vraisemblance au personnage et à la passion folle de "l'inconnue".
C'est Christophe Lidon qui rêvait de mettre en scène la nouvelle de Zweig qui a inspiré le cinéma. Deux films, celui de Max Ophüls, tourné à Hollywood en 1948 avec Joan Fontaine et le jeune français Louis Jourdan qui est pianiste dans cette version. Et aussi un film de Jacques Deray qui date de 2001, avec Irène Jocob et Christopher Thompson, Albert Rank, écrivain. Dans les deux films, on voit d'autres personnages, on voit Vienne, personnage important...
Dans la version théâtrale, la rigueur l'emporte. On revient au texte de Zweig. A cette lettre écrite comme un dernier adieu avant de disparaître définitivement. Doit-on rappeler l'intrigue ? Non si par hasard vous ne connaissez pas l'histoire, il y a un bonheur de la découverte...
C'est l'histoire d'une passion non partagée jusqu'aux abords de la folie et jusqu'à la destruction de soi. Une femme parle. Elle est pieds nus. Une heure cinq durant, elle livre son coeur, sa vie, son âme. Dans la simplicité d'une présence, la proximité, Sarah Biasini n'est jamais dans l'excès expressionniste, ce qui pourrait être le risque dans une telle partition. Non. Elle maîtrise son jeu, son interprétation. Christophe Lidon utilise tout l'espace du petit théâtre et la lumière est ici un partenaire. Frédéric Andrau, on l'a dit, dans l'écoute et en quelques mots, est remarquable. Sarah Biasini possède une très jolie voix, elle touche, elle émeut, elle bouleverse. De son déchirant personnage, elle fait une femme digne et même pudique par-delà les aveux terribles. Son beau regard, son visage troublant, sa sensualité sans démonstration, tout agit. Tout lui appartient.
Un très beau moment de grand théâtre.
Théâtre des Mathurins, petite salle, à 21h du mardi au samedi, en matinée le samedi à 16h30. Jusqu'au 30 juin au moins. Durée : 1h05. Le texte original est publié chez Stock.
Tél : 01 42 65 90 00
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www.theatredesmathurins.com