Source : Webthea.com - 19 avril 2011
Photo : Laurence Lot
Le récit de Stefan Zweig est célèbre. Un écrivain connu trouve dans son courrier une très longue lettre, celle d’une femme qu’il a oubliée et dont il découvre, au fil des pages, qu’elle n’a vécu que pour lui. Elle a eu un enfant de lui, dont elle ne lui a pas révélé l’existence, qu’elle a élevé et qui est mort prématurément. Elle a vécu dans l’adoration d’un séducteur pour qui elle n’a été que la conquête d’un soir (de deux soirs puisque, des années plus tard, elle s’est redonnée à lui, sans qu’il la reconnaisse). Son cœur a palpité en vain, sans réponse, sans reconnaissance, mais ce fol amour à sens unique a été le moteur, le motif de toute une vie. Elle a éprouvé le besoin de le confier au papier et au seul lecteur qui compte, avant de disparaître, de s’effacer.
Ce texte, magnifique, bouleversant, a souvent été monté au théâtre. Christophe Lidon rompt, lui, avec les adaptations précédentes. Il a demandé à Michael Stampe un dialogue à deux personnages : l’écrivain est présent, l’amoureuse et le séducteur se parlent dans un espace-temps imaginaire. Par ailleurs, Lidon ne traite pas sans distance la passion de l’héroïne ; il évoque, dans le programme, «une manipulation féminine que le romanesque de l’histoire a souvent dissimulé». Ainsi, en même temps qu’un amour fou, c’est la folie d’un amour vengeur qui s’exprime, avec la volonté d’entraîner l’autre dans sa chute. On bascule du romantisme à un regard clinique.
Le lieu imaginaire où se déroule ce face à face improbable, Lidon et l’éclairagiste Marie-Hélène Pinon l’ont conçu comme une scène baignée dans une nuit percée de lumières, dans un ciel étoilé aux astres aussi brillants que fuyants. Mais les personnages vont parfois hors du plateau, au côté jardin et dans toute la salle. Ce climat nocturne est d’abord déroutant, mais il se révèle comme une scène de jeu de tous les possibles. Car, dans cette obscurité piquetée de quinquets, les deux interprètes varient sans cesse leurs attitudes et leurs relations, tantôt dans un rapport très corporel, tantôt dans l’écart de personnes proches et séparées. Certaines postures ne sont pas toutes de la même grâce mais cette variété du vocabulaire gestuel enrichit beaucoup la soirée. Sarah Biasini donne une flamme rare au personnage de l’inconnue. Sa voix est un chant permanent. Elle est à chaque instant d’une vivacité lourde d’émotions. Frédéric Andrau joue la difficile partition du détachement. Son personnage ne répond pas à la passion par la passion, il découvre, il analyse, il s’étonne, il songe, il s’interroge. Andrau compose très bien ce personnage d’idole qui s’étonne d’être une idole, sans le lyrisme que l’on a vu mettre en œuvre dans d’autres spectacles. Pour Sarah Biasini, la voilà dans l’un de ses plus grands rôles après "L’Antichambre" de Jean-Claude Brisville, décrivant la courbe folle de l’amour fou.
"Lettre d’une inconnue" de Stefan Zweig, adaptation de Michael Stampe d’après la traduction de Alzir Hella et Olivier Bournac révisée par Françoise Toraille (Stock), mise en scène de Christophe Lidon, lumière de Marie-Hélène Pinon, son de Michel Winogradoff.
Théâtre des Mathurins, tél. : 01 42 65 90 00. (Durée : 1 h 05).
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