Source : Télérama.fr - 17 septembre 2012
Un blog sur César et Rosalie, vraiment ? Malgré quarante ans (ou presque) de multidiffusions en prime time – au fait, c’était quand la dernière ? Bon, je vous la fais courte, je continue de tester mon matériel, nouvel écran (grand), lecteur blu-ray (petit). C’est comment, le Sautet des seventies, en blu-ray (chez StudioCanal) ? Cinéphiliquement toujours impec, grand plaisir, émotion, même. Visuellement un peu étrange, avec des moments de grande netteté, comme la voiture jaune-orange de Sami Frey, qui ressemble à une petite Dinky Toys saisie sur le caméscope de la famille. Et, par instants, il y a un filtre, un grain – sur le beau visage de Romy Schneider, notamment.
Illustrant parfaitement, au fond, l’impression que donne le film : si loin, si proche. C’était donc hier – j’avais dix ans – quand la vie se déroulait dans les volutes du tabac – cigares, cigarettes, et pas des light, hein. Une mémorable partie de poker se développe dans un brouillard opaque, et ce n’est pas le blu-ray, ce n’est pas le HD, ce sont les clopes. C’était hier, aussi, l'époque où la compagne, quand les hommes jouaient aux cartes, les regardaient, conquise, en leur servant bière, vodka, glaçons… «Rosalie, Rosalie !», crie Montand, attendant d’être servi. De fait, lassée, elle part, mais c’est pour aller faire le café chez Sami Frey qui dessine des BD à la Druillet dans un atelier très «Association» – j’ai cru voir Riad Sattouf au fond.
Rosalie n’en a que plus de mérite d’imposer son dépit amoureux : elle aime César, elle aime David (Romy dit «Dâaaavid» en chantant presque, et c’est irrésistible). Elle va faire en sorte que ses amants soient amis, puisqu’elle ne peut vivre pleinement ni avec l’un ni avec l’autre, et se retirer, laissant les mecs entre eux – pour combien de temps ? Variation inventive, moderne, ludique et triste à fois, inéluctable – Rosalie ne peut juste pas faire autrement – du ménage à trois, option chacun son tour. Ce qui est fort, c’est que Sautet avait beau précisément écrire ses films – ou les faire écrire par Dabadie et Néron – c’est tout sauf du cinéma sur-scénarisé, sur-psychologique – le personnage de Rosalie est ainsi sous-écrit, n’expliquant jamais ses choix étranges. La vie circule, certaines scènes d’un brio étourdissant – je pense à l’affrontement en voiture, au début du film, qui s’achève dans les hautes herbes. Pialat n’est pas si loin. Qui connaît les relations perso entre Claude et Maurice ?
Si le film, au demeurant très réussi, émeut, c’est que tout cela nous est (m’est) très familier, et pourtant déjà oublié : c’est comme rouvrir un album de famille. Montand est mince, avec des faux airs de Jean-Pierre Cassel, parfois des mimiques de Patrick Bruel. Romy Schneider radieuse, malgré des coiffures un peu trop apprêtées. Sami Frey, un délice. Ils avaient quoi ? Yves 51 ans, Romy 34, Sami 35. Bernard Lecoq a 22 ans, de grosses lunettes carrées à la Jacques Denis. Isabelle Huppert, 19 ans, et de bonnes joues, qu’elle a perdues, hélas. On les connaît tous depuis toujours, ils sont là, dans nos vies.
C’est quoi l’équivalent de César et Rosalie dans le cinéma français d’aujourd’hui ? Je peine à trouver. Love, etc., de Marion Vernoux ? J’ai dit aujourd’hui. Douches froides ? Mais celui-ci transgresse bruyamment quand l’autre le faisait en douce. Les Petits mouchoirs ? Après tout, César et David font amis-amis à Noirmoutier, avec scène de plage et de pêche. Sauf qu’eux on les aime... Et la figure paternelle qu’incarne Montand : pourquoi un comédien comme Lindon ne s’en empare-t-il pas ? J’en oublie peut-être. Dites-moi qui est le Claude Sautet 2012, j’achète tout de suite…
Aurélien Ferenczi