Source : Arte.tv - MAJ 02 septembre 2008
L'actrice autrichienne Romy Schneider et le réalisateur français Claude Sautet se rencontrent au début des années 70 sans savoir qu'ils allaient former l'un des duos les plus emblématiques du cinéma français...
Dans le milieu des années 60, Romy Schneider est une actrice mal à l’aise. En porte-à-faux avec l’image lisse et néanmoins persistante dans l’esprit du public de l’ingénue "Sissi" de ses débuts, elle se désespère, en proie à un manque évident de propositions pertinentes pour le cinéma. Malgré sa vigilance, sa carrière s’effiloche au gré d’une vie privée chaotique et des tentatives professionnelles infructueuses : ni «L’enfer» (1964) de Clouzot, «Quoi de neuf Pussycat ?», «Dix heures et demie du soir en été», «La Voleuse» ou «Triple Cross» ne lui permettent de renouer avec le succès. L’actrice autrichienne qui navigue entre Paris et Berlin parvient à un tel déficit de notoriété qu’en 1968 les producteurs rebutent à l’idée de l’embaucher dans le rôle de Marianne aux côtés de son ancien amant Alain Delon dans «La Piscine» de Jacques Deray : ce n’est qu’à force d’insistance que les deux hommes obtiendront de décrocher ce contrat pour elle. Romy Schneider qui pressent l’importance de ce film, arrive sur le tournage, reposée, splendide de sensualité, dopée aussi par un nouvel amour dans sa vie, Harry Meyen et la naissance de son fils David deux ans plus tôt. « La Piscine » s’avère un succès retentissant et offre à l’actrice ce second souffle tant espéré. Avide de lumière elle exprime enfin les tourments adultes d’une jeune femme de trente ans en harmonie avec elle-même.
Dans l’ombre de l’écriture, Claude Sautet - «le ressemeleur de scénarios» comme l’appelait François Truffaut - s’est engagé timidement dans la réalisation de films, «Bonjour sourire» en 1955 avec Louis de Funès, «Classe tous risques» (1960) et «L’arme à gauche» (1965) mais sans véritablement trouver le succès. Après cinq années d’abstinence, il n’a pas renoncé aux caméras. En mars 1969, il fait son petit tour habituel aux studios de Boulogne-Billancourt. Il aperçoit Romy Schneider qui, comme elle en avait l’habitude pour tous ses films, double en allemand et en anglais son personnage de «La Piscine». Leurs regards se croisent. Sautet est conquis et pense immédiatement à elle pour incarner Hélène alors qu’il travaille à l’adaptation d’un roman de Paul Guimard, «Les Choses de la vie». Lorsqu’il lui donne rendez-vous pour lui proposer son scénario, Romy Schneider le reconnaît et est enthousiaste. Une indéfectible amitié allait naître entre ces deux artistes donnant vie à cinq films : «Les Choses de la vie» (1970), «Max et les ferrailleurs» (1971), «César et Rosalie» (1972), «Mado» (1976), «Une histoire simple» (1978).
Claude Sautet : «Elle est belle d’une beauté qu’elle s’est elle-même forgée. Un mélange de charme vénéneux et de pureté vertueuse. Elle est altière comme un allegro de Mozart et consciente du pouvoir de son corps et de sa sensualité. Je l’ai rencontré pour la première fois dans l’ombre d’un couloir à Billancourt. Je ne lui ai pas parlé. J’ai éprouvé la sensation confuse qu’elle était intelligente, avec quelque chose en plus. Je ne la connaissais pas, je ne l’avais jamais vue au cinéma, pas même dans «Sissi». Dès le début du tournage des «Choses de la vie», j’ai compris que j’avais eu la chance de rencontrer une femme et une comédienne à un moment tragique. Car Romy, c’est à la fois une femme rayonnante et meurtrie, et une comédienne qui savait déjà tout, mais qui n’avait jamais pu l’exprimer. Romy, c’est la vivacité même, une vivacité animale, avec des changements d’expression brutaux, allant de l’agressivité la plus virile à la douceur la plus subtile. Romy, c’est l’actrice qui dépasse le quotidien, qui prend une dimension solaire. Elle possède cette ambiguïté qui fut l’apanage des grandes stars. Je l’ai vue derrière la caméra, concentrée, angoissée, évoluant avec une noblesse, une impulsivité, une attitude morale qui encombre et dérange les hommes. Elle ne supporte ni la médiocrité ni la décrépitude des sentiments. Elle peut en donner beaucoup. Elle jouera toujours… car Romy possède un visage que le temps ne peut détruire. Il ne peut que l’épanouir.»
Romy Schneider entretien avec le cinéaste des rapports très forts et complexes. Peut-être la jeune femme projetait-elle dans sa rencontre avec Sautet l’image de son propre père, un homme dont elle s’était toujours sentie dépossédée depuis qu’il avait quitté le foyer familial dans son enfance et qui venait de disparaître trois ans plus tôt, en 1967. Dès les premiers instants Romy exige effectivement beaucoup de Claude Sautet installant un lien affectif exclusif avec lui, s’emportant souvent, angoissée et concentrée par les objectifs impérieux de le servir sans limites. Dans le même temps, le cinéaste ébloui qui l’appelle affectueusement «Rominette», la dirige, la modèle pour en tirer l’expression la plus parfaite. Il s’attèle à chaque détail des intonations de l’accent germanique de l’actrice qui, lorsqu’elle le plie à la douceur, lui confère un charme imparable. Il lui demande également d’attacher ses cheveux en arrière pour offrir sans pudeur son visage spectaculaire et la forcer à vaincre une incroyable timidité que peu de gens connaissent.
«Les Choses de la Vie» connaît un succès vif, remporte le Prix Louis-Delluc, représente la France au Festival de Cannes et signe définitivement le grand retour de Romy Schneider à l’écran. Le public français s’identifie au travers de la simplicité des personnages de Claude Sautet. Romy Schneider conquiert littéralement le cœur des françaises au grand dam des critiques allemands qui la boudent. Un an plus tard pour sa deuxième participation à un film de Claude Sautet («Max et les ferrailleurs»), ce dédain se transforme en véritable hargne: les allemands reprochent à l’actrice d’interpréter le rôle d’une prostituée dans ce film, la traite de «renégate», choqués qu’elle ose souiller indirectement la mémoire de l’adorable Sissi. «En Allemagne, quoi que je fasse, on me le reprochera. C’est à vomir» dira un jour Romy Schneider, néanmoins flattée d’être portée aux nues dans son nouveau pays d’adoption, la France.
Le tournage de «Max et les Ferrailleurs» n’aura pourtant pas été sans heurts, la comédienne est au comble de l’exigence avec Claude Sautet, lui fait subir son irrépressible besoin d’attention et d’affection. Le cinéaste fait front, toujours fasciné par l’animal torturé qu’il a face à lui et dont il parvient parfois à calmer les tourments.
En ce début 1972, Romy Schneider a une occasion unique de mesurer ses angoisses face à la solidité d’un autre «père» évident à ses yeux : Luchino Visconti échafaude «Ludwig» et propose à celle qu’il appelle pour sa part «Romina», d’incarner avec toute la dimension dramatique nécessaire cette fois, le personnage d’Elisabeth d’Autriche, la fameuse Sissi que Romy s’était pourtant juré de ne plus jamais croiser sur son chemin cinématographique. Là encore, entre injonction et coup de cravache verbal, l’actrice se laisse «dresser» par un Maître en qui elle a toute confiance. Elle retrouve Claude Sautet la même année pour «César et Rosalie» dans lequel elle joue aux côté d’Yves Montand, une star avec laquelle elle se sent quelque peu en compétition. Néanmoins, le personnage de Rosalie, femme libre et légère, la réconforte, elle est beaucoup plus enjouée sur le tournage qu’à l’ordinaire. Le succès du film enfoncera le clou d’une Romy Schneider arborant la une de tous les magazines. Perçue comme l’archétype de la française moderne et émancipée, les hommes se pâment de désir pour la beauté de cette brune rayonnante qui ne connaît qu’une seule rivale, Catherine Deneuve la blonde, un temps envisagée par Claude Sautet pour incarner le rôle de… Rosalie.
En 1974, le tournage de «L’important c’est d’aimer» est un enfer, Romy s’est séparée de Harry Meyen quelque temps auparavant et le tyrannique Zulawski la pousse jusque dans ses moindres retranchements. Romy dit en avoir prit «plein la gueule», inscrit sur son carnet «Maudit Film ! Maudit tournage ! Maudit rôle ! Maudit Zulawski !». Jamais plus que dans ce film, elle n’aura dépassé toutes ses limites : abimée, vieillie, hystérique, poignante pour ce rôle, elle remporte son premier César. Par la suite elle fait une tentative peu satisfaisante dans l’univers de Claude Chabrol («Les innocents aux mains sales»), tourne «Le Vieux Fusil» de Robert Enrico, un film important dans sa carrière, refuse «L’innocent» de Visconti car elle est enceinte pour la seconde fois. Elle n’hésite cependant pas une seconde devant la proposition de Claude Sautet qui lui offre une scène unique dans «Mado» : son personnage est celui d’une amoureuse désespérée, une alcoolique sous tranquillisants qu’elle a beaucoup de plaisir à incarner visiblement tant dans la vie l’actrice n’est pas la dernière à user d’expédients dérivatifs sous couvert de dépression…
L’actrice donne naissance à sa fille Sarah et travaille peu jusqu’à l’été 1978 où s’annonce le début du tournage d’ «Une Histoire Simple», sa dernière collaboration avec Claude Sautet.
Pour ses quarante ans, le cinéaste veut offrir à Romy un rôle sur mesure, relevant le gant d’une remarque qu’elle lui fit récemment : «Je voudrais que tu écrives une histoire de femmes, parce que j’en ai un peu marre que ce soient toujours des histoires de mecs.» Marie, l’héroïne principale d’ «Une Histoire Simple», suit les élans de son cœur partagés entre deux hommes (Claude Brasseur et Bruno Crémer). Sautet veut cibler l’essence même du jeu de Romy Schneider toujours sur la corde entre solidité et fragilité pour donner corps à ce qu’il entend de la sensibilité féminine d’aujourd’hui. Alors qu’il n’a rien perdu de sa fascination pour elle et considère toujours Romy Schneider comme étant «la synthèse de toute les femmes», le cinéaste se concentre éminemment sur Romy, traque ses attitudes, ses sourires, ses mimiques, ses agacements, toute une palette de détails infimes dans un rapport de proximité étendue. «Une Histoire simple» rallie les suffrages lors de sa sortie en salle, se hisse en tête des fréquentations et la profession du cinéma français offre un deuxième César à Romy Schneider : l’actrice est au sommet de la gloire.
Romy : «Claude Sautet m’a fait confiance alors que tant d’autres me considéraient comme une belle femme sans doute, mais stupide. Il a créé des personnages pour moi, des êtres aux facettes multiples, complexes, des portraits parfaits de la femme d’aujourd’hui. Des femmes qui se battent pour leur émancipation et qui subissent encore ces énormes préjugés monstrueux que leur impose leur condition. Il y a eu une telle collaboration entre Claude Sautet et moi qu’il est difficile de dire s’il a contribué à la création de mon personnage au cinéma ou si je lui ai apporté les témoignages indispensables pour donner une dimension humaine à ces femmes. Dans «Une Histoire Simple», tous mes problèmes et toutes mes croyances se trouvent dans le film, mais je n’aurai pu les exprimer sans l’aide de Claude Sautet. Il m’avait demandé de jeter un regard très profond en moi, d’exprimer tout ce que je n’avais jamais voulu admettre même.»
Aussi simplement qu’ils s’étaient rencontrés aux détours d’un couloir sombre des studios de Boulogne-Billancourt, Romy Schneider et Claude Sautet se séparent irrémédiablement en 1980 : à cette époque, Claude Sautet travaille sur une idée de Daniel Biasini, scénariste et nouveau mari de Romy Schneider, une histoire de relation père-fils qui constitue les prémices du scénario d’ «Un mauvais fils». Romy est enthousiaste et espère faire partie de la distribution mais le cinéaste ne voit aucune place pour sa muse dans ce projet. Elle insiste, réclame, mais le cinéaste campe sur sa position : une violente dispute éclate.
Olivier Bombarda