Source : France Soir - 28 mai 2010
Hommage ce soir à Romy Schneider à travers un documentaire sensible (1)… Le réalisateur Bertrand Tessier revient pour France-Soir sur la genèse de son film.
Le 29 mai 1982, Romy Schneider meurt d’un battement de cœur manqué. Trop d’alcool, trop de médocs. Froideur implacable, métallique, de l’avis de décès. Mais cette disparition prématurée – 44 ans – cache une longue agonie. Tous les témoins rencontrés au cours de la réalisation de ces Derniers jours de Romy Schneider me l’ont confirmé : l’actrice est véritablement morte le 5 juillet 1981.
Ce dimanche ensoleillé, son fils David, 14 ans, escalade la grille de ses beaux-parents où il passe le week-end, mais il s’empale sur les pics. Sitôt avertie du drame qui est en train de se nouer, Romy accourt à l’hôpital de Saint-Germain-en-Laye. Thierry Montariol, le chirurgien de garde, ne peut rien faire. «Elle n’a pas crié, c’était comme si le monde s’écroulait autour d’elle», se souvient-il. Quelques heures plus tard, des paparazzis se déguisent en infirmiers et prennent en photo le corps de David à la morgue de l’hôpital. Bild publie le cliché en Allemagne : jamais la presse n’était allée aussi loin dans l’ignoble.
Sa chambre transformée en mausolée
Pour échapper aux photographes qui la pourchassent comme une bête sauvage dans la forêt, pour conjurer le mauvais sort qui ne cesse de s’abattre sur elle (tumeur au rein, divorce d’avec Daniel Biasini, suicide de son premier mari), pour exorciser sa douleur, Romy se voue à son travail. Depuis des années déjà, le cinéma est comme sa thérapie : jouer des personnages pour s’oublier. Elle prépare alors "La Passante du Sans-Souci". Son agent Jean-Louis Livi s’était inquiété : «N’est-il pas dangereux que tu fasses ce film ?» Elle lui avait répondu avec ce ton de petit soldat déterminé qui était le sien : «Ce serait encore plus dangereux que je ne le fasse pas.»
Avec l’équipe de mon producteur Arnaud Hamelin, nous sommes allés à Berlin sur ses traces. A l’hôtel Steigenberger, où elle avait transformé sa chambre en mausolée : des photos de David et des bougies partout. Aux studios d’Arthur Brauner, où, vaille que vaille, couvée par la bienveillance du réalisateur Jacques Rouffio, elle s’était jetée à corps et à cœur perdus dans ce rôle d’une Allemande qui fuit à Paris avec un jeune garçon dont les parents ont été raflés pendant la Seconde Guerre mondiale. Une scène la montre fêtant seule Noël avec ce gamin qu’elle fait passer pour son fils. Des violonistes s’approchent de leur table. Elle demande au gamin de jouer pour elle. Ce jour-là, elle était arrivée en retard sur le plateau. Certitude qu’elle vivrait le moment le plus difficile du tournage. Quand le jeune acteur a saisi l’archer, son regard s’est voilé, puis embué et noyé de larmes. La fiction avait rejoint la réalité : comment n’aurait-elle pas vu son propre fils dans le jeune acteur qui était alors en face d’elle ?
Rejetée par l’Allemagne
Pour Romy, ce tournage à Berlin aux accents testamentaires était comme un retour aux sources. Pour moi, ce fut, aussi, l’occasion de comprendre la complexité des rapports entre la star et l’Allemagne. J’imaginais qu’on me parlerait d’elle comme d’un trésor national. J’ai découvert à quel point l’Allemagne avait pu la rejeter après l’avoir adorée quand, jeune fille, elle incarnait "Sissi". «Tout le monde rêvait alors de l’avoir pour belle-fille», se souvenait sa costumière Ingrid Zoré. Son biographe allemand Michael Jurghs me précisa : «Quand elle est partie à Paris rejoindre Alain Delon, l’Allemagne l’a considérée comme une putain. Une traîtresse à la patrie dans un pays encore marqué par le nazisme.»
J’ai alors saisi à quel point son histoire d’amour avec Delon, au-delà de son aspect mythologique, avait été un épisode fondateur pour elle. Sa manière de fuir le personnage de Sissi qu’elle détestait et qui, d’une certaine manière, lui avait volé son adolescence, mais aussi d’échapper à son beau-père, qui avait abusé d’elle, et à sa mère, ex-égérie du régime hitlérien, qui l’avait utilisée pour trouver une nouvelle virginité. Oui, c’est dans ce Berlin, où le mur de la honte qu’elle détestait tant était désormais vendu par fragments dans les boutiques de souvenirs de la ville, que j’ai eu l’idée de prolonger ce film par un livre consacré à son histoire d’amour avec Delon (2). Ma manière de poursuivre mon hommage à cette actrice radieuse et inspirée qui est avant tout pour moi l’incarnation du courage.
(1) Les Derniers jours d’une icône, ce soir à 20h35, France 5
(2) Delon & Romy, un amour impossible, éd. du Rocher, 2010.
Par Bertrand Tessier