Source : L'Express - 14 janvier 2009
Après neuf ans d'absence et un accident vasculaire, l'acteur revient au cinéma dans "Un homme et son chien". Ses proches et ses partenaires dans le film racontent le courage de cette icône du cinéma populaire.
Ce n'est pas un grand film. Ni même le meilleur de la semaine. Mais "Un homme et son chien", de Francis Huster, a pour interprète principal Jean-Paul Belmondo. Ce qui en fait un événement. Un double, en réalité. D'abord, parce qu'on n'avait pas vu la star au cinéma depuis l'an 2000 (dans le très mauvais Amazone,de Philippe de Broca). Ensuite, et ceci explique cela, parce que, victime d'un accident vasculaire cérébral en août 2001, Belmondo a le côté droit du visage paralysé et de grosses difficultés à se déplacer. Malgré ces handicaps et ses 75 ans, l'acteur a relevé un défi : porter, une fois de plus, un film sur ses épaules.
Evidemment aux antipodes de ses cabrioles toc-toc badaboum d'antan, "Un homme et son chien" est le remake d' "Umberto D.", de Vittorio De Sica (1952), l'histoire d'un vieil officier qui se retrouve à la rue, aidé par quelques-uns, délaissé par beaucoup. Du coup, on peut y voir la métaphore d'un acteur délaissé qui se refuse à abandonner la partie, alors que le monde bouge sans lui. Situations et répliques télescopent alors la réalité, et, pour peu qu'on voue un total respect au mythe Bébel, ce qui est le cas ici, le film touche. Envers et contre le trio des grands distributeurs français (Gaumont, Pathé, UGC), qui ont refusé d'investir dans cet inespéré retour, Belmondo prouve qu'il a encore du jus.
Francis Huster, réalisateur d' "Un homme et son chien"
«Personne ne croyait que Jean-Paul accepterait ce projet. Son agent lui a néanmoins envoyé le scénario. Au bout de quinze jours sans nouvelles, j'appelle Natty [la femme de Belmondo, dont il s'est récemment séparé]. Elle m'explique que l'absence de réponse équivaut à un refus. Un peu plus tard, dans la même journée, rebondissement : Jean-Paul me donne rendez-vous. Et, là, il me dit : "Je le fais à une condition : tu me filmes tel que je suis. On ne triche pas. Ni sur l'image ni sur la voix." Il ne m'offrait pas uniquement l'acteur, mais l'homme également. Le temps de Bébel est révolu, celui de Jean-Paul est arrivé.»
Jean-Louis Livi, producteur du film, ancien agent de Jean-Paul Belmondo
«Je me souviens du Jean-Paul qui n'a jamais peur. Sur "L'animal" [Claude Zidi, 1977], il refuse d'être doublé face à un tigre. Le fauve lui tombe dessus et lui déchire l'oreille. Tandis que les dompteurs s'affolent et éloignent la bête, lui se relève, toujours dans la peau de son personnage. La scène a été montée telle quelle. Je me souviens du Jean-Paul qui a toujours de l'humour : dans "Peur sur la ville" [Henri Verneuil, 1975], il court sur une rame de métro lancée à vive allure. La cascade finie, le machiniste lui dit : "Pour 100 briques, je ne le ferais pas. - Moi non plus", lui répond Jean-Paul, qui était alors la star la mieux payée [et gagnait plus de "100 briques" à l'époque]. Aujourd'hui encore, il est aux yeux de tous un symbole. Le premier plan d' "Un homme et son chien" qu'il a tourné, c'est la scène où il remet un chèque à Hafsia Herzi, alors que des gens font la fête au second plan. Les répétitions se font avec sa doublure. Puis vient le moment de tourner. Jean-Paul se tient derrière la porte. Francis [Huster] crie : "Action !" Jean-Paul entre dans la pièce et tout le monde se fige. Techniciens et comédiens voyaient non pas l'acteur, mais le mythe. Il était à la fois touché et gêné. L'émotion passée, le tournage a repris normalement.»
Hafsia Herzi, actrice, partenaire de Jean-Paul Belmondo
«Un mois avant le tournage, Jean-Louis Livi organise un déjeuner afin que je rencontre Jean-Paul Belmondo. Evidemment, j'étais impressionnée. Belmondo, lui, venait de voir "La graine et le mulet" [pour lequel la comédienne a reçu le césar du meilleur espoir féminin]. Il m'a félicitée, m'a parlé de son parcours et m'a proposé de partager nos plats - il avait pris de la viande et moi du poisson. C'est tout bête, mais cela a créé une connivence. Qui s'est prolongée sur le plateau, où il ne cessait jamais de rigoler, surtout après les scènes dramatiques. Et quelle classe ! Il insistait pour me donner la réplique dans les contrechamps [la caméra est sur l'actrice, tandis que son partenaire est hors du cadre]. Plus le film avançait, plus il était en forme. J'en ai fait mon père d'adoption.»
José Garcia, acteur, partenaire de Jean-Paul Belmondo
«Quelques mois après son attaque, il est venu à l'anniversaire de Jean Rochefort. Il avait du mal à parler, mais, dans son regard, on le voyait encore rigoler. Il s'est accroché à mon bras pour se rendre au buffet, au fond du jardin. Malgré sa paralysie, il s'acharnait à montrer qu'il allait bien. Il l'a confirmé sur le plateau d'Un homme et son chien, où je lui ai foutu une trouille du diable quand, à la fin de la blague que je raconte dans une scène, j'aboie sans crier gare. L'instant d'après, il se marrait comme une baleine. Le tournage fini, c'était un autre homme. Plus détendu.»
Georges Lautner, réalisateur ; a dirigé cinq fois Jean-Paul Belmondo ("Flic ou voyou", "Le guignolo", "Le professionnel", "Joyeuses Pâques", "L'inconnu dans la maison")
«Dans le scénario, Le Professionnel se terminait par un happy end : le héros partait en hélicoptère avec la gentille pute. Pendant le tournage, Jean-Paul décide de changer la fin : celle qu'on connaît, où il est abattu, victime de l'injustice. Lui et moi étions les seuls contents de cette conclusion. Nous voulions que ce troisième film ensemble soit différent des deux pantalonnades qu'étaient "Flic ou voyou" et "Le guignolo". Les producteurs étaient furieux : pour eux, c'était au minimum 200 000 entrées de moins. Le succès, plus de 5 millions d'entrées, nous a donné raison. Nous sommes restés très complices et je le vois régulièrement. Aujourd'hui, il est heureux et fait beaucoup plus jeune que dans Un homme et son chien.Les femmes l'approchent encore beaucoup, ce qui n'est pas pour lui déplaire. Je lui ai demandé s'il bandait encore. Eh bien, oui : il bande encore.»