Source : Arte.tv - MAJ le 02 septembre 2008
En 1977, alors au sommet de sa renommée et de son autorité de star en France, Romy Schneider, à près de quarante ans, retourne en Allemagne, pour tourner «Portrait de groupe avec dame» (1977) du cinéaste russe Aleksandar Petrovic. Ce film d’auteur va se révéler un peu bancal et abscons, mais la comédienne tient à interpréter Léni Gruyten, cette jeune allemande qui découvre l’amour dans l’enfer de la défaite de 1945 : «Léni est un personnage singulier et très allemand. Je peux aussi mobiliser les côtés de mon être qui sont restés allemands et l’intérêt de ce film tient surtout à ce que la tragédie de 39-45 est regardée du point de vue des vaincus, alors que jusqu’ici, elle n’a été montrée que du côté des vainqueurs. Certes, vers la fin de la guerre, je n’avais que six ou sept ans. Mais, par ma mère, je suis restée très sensible à cette époque». Pour l’actrice, en discussions avec Rainer Fassbinder au même moment en vue de collaborer au «Mariage de Maria Braun», un projet concrétisé sans elle en 1978, cet épisode où le pays récupère en quelque sorte sa «star» marque l’un des nombreux épilogues d’une relation complexe et tumultueuse.
Le personnage de «Sissi» a fait d’elle une vedette en 1956, tout en figeant son image dans une représentation marquée par la pureté, d’où l’émancipation personnelle et créatrice semble exclue. Elisabeth de Bavière, dite Sissi, est devenue impératrice en 1854. Elle représente le mythe de l’amour éternel. A ce titre, le film se réclame d’une universalité qui lui permet de connaître un succès international sans entamer l’image de ce valeureux personnage. Dans le quotidien Le Monde, Jean de Baroncelli écrit en 1958 : «La mode étant aux mythes sociologiques (et donc précaires, ndlr), j’ai bien envie d’écrire que Romy Schneider est très exactement l’anti-B.B. Elle n’éveille en nous que des idées de pureté, de tendresse, de chastes fiançailles». La même année, cette image d’Epinal, faite de robes princières à crinoline et de cette ingénuité surannée, se plie toutefois aux impératifs des films en coproduction avec « Christine » de Pierre Gaspard-Huit, une fiction costumée tournée cette fois en France, où Romy partage l’affiche avec Alain Delon, de trois ans son aîné. Déjà indisposée par ce transfuge à l’étranger, la presse allemande regarde d’un mauvais œil le séducteur français s’approcher de celle que l’on verrait bien condamnée éternellement à tenir le rôle de l’oie blanche.
Pour la séduire, Delon a une méthode imparable. Il lui confie après le tournage qu’il l’a trouvé totalement dépourvue d’intérêt, à ses yeux une allemande bien astiquée, fraîchement débarquée de ses prairies natales. Electrique et différent, Delon entame l’orgueil de la jeune star. Son insolence plaît à cette dernière, tout comme sa jeunesse anticonformiste, quand l’univers des films d’auteurs où le comédien va rapidement s’illustrer la séduise. Elle et Delon organisent même des cérémonies de pacotille en 1959, à l’aide… d’anneaux factices. La réaction de sa mère, Magda Schneider, elle-même comédienne et figure emblématique des studios de la UFA durant les années, 1930, ne se fait pas attendre : «Tu cours à te perte, je ne permettrai pas cela». Désavouée par Magda, Delon va aussi encourager Romy à refuser désormais les rôles d’ingénues qui continuent pourtant d’affluer, en provenance d’Allemagne.
Sans cesse à la recherche du bonheur, mais consciente d’avoir le plus grand mal à recevoir l’amour et à l’accepter, jusqu’à déclarer : «Dans ma vie, je ne sais rien faire, mais à l’écran, tout», l’actrice va constamment éprouver l’anxiété de l’amour comme le revers de la réussite professionnelle, quand cet état conflictuel sera lié à la compagnie d’Alain Delon ainsi qu’à une réflexion sur ses origines et son implication vis-à-vis de l’histoire de son pays. En 1977, elle écrit dans son journal : «L’homme le plus important de ma vie reste Delon. Quand j’ai besoin de lui, il me tend toujours une main secourable. Aujourd’hui encore, Alain est le seul homme sur qui je puisse compter. Il me viendrait en aide à tout moment. Alain ne m’a jamais abandonnée à moi-même, pas plus aujourd’hui qu’hier». Après «Christine», Paris est le cadre de sa transformation et Delon en sera partie prenante. Elle dira de celui qu’elle aime et avec qui elle vit au début des années 1960 : «Il m’a considérablement aidée. Il n’a jamais voulu de moi, mais il m’a fait comprendre, il m’a aidé à vouloir». Le couple se sépare définitivement en 1963. Lorsqu’on lui demandait si elle gardait des lettres de son ex-compagnon, Romy rétorquait, placide : «Non, Il n’écrivait que des billets». Le dernier, alors qu’elle rentre à Paris et trouve l’appartement vide : «Je suis parti à Mexico avec Nathalie. Salut, Delon».
«Le Combat dans l’île» (1960) d’Alain Cavalier lui offre l’occasion manifeste d’une prise de conscience politique. Elle incarne l’épouse d’un homme respectable, incarné par Jean-Louis Trintignant, qui s’avère impliqué dans un groupe d’extrême droite pendant la guerre d’Algérie. L’année suivante, elle figure dans «Les Vainqueurs». Cette coproduction des studios de la Columbia est située à la fin de la seconde guerre mondiale, pour évoquer les rapports entretenus par les soldats américains avec les femmes rencontrées au hasard de leurs déplacements en Europe, jusqu’à la prostitution. En 1962, on la retrouve au générique du «Cardinal» d’Otto Preminger, une évocation des rapports de l’Eglise avec les forces de l’axe. Ces choix ne sont pas anodins pour une comédienne qui n’a pas vingt-cinq ans et qui demeure toujours, à cette époque, Sissi «La Fiancée de l’Europe». Dans un même ordre d’idée, et en usant parfois d’un style revendicatif un peu démonstratif à l’attention des journalistes rigides, un procédé en vogue durant ces années 1970 et militantes, Romy Schneider déclarera plus tard apprécier la judaïcité de son mari Harry Meyen et se rendra en 1971 en Israël pour le tournage de «Bloomfield» avec Richard Harris, une biographie peu mémorable d’un célèbre footballeur israélien, à une époque où l’Allemagne, marquée par les années Andenauer et le dénis du passé, place encore la période nazie sous le signe de l’omerta. Après avoir souvent raconté sa jeunesse sur le mode féerique, dans ce chalet familial de Berchtesgaden situé à une quinzaine de kilomètres du tristement célèbre «nid d’aigle» de Hitler dans les Alpes bavaroises, Romy Schneider prendra toujours soin d’interroger son parcours. En 1973, lorsqu’elle signe en compagnie de 350 femmes allemandes un manifeste où elle reconnaît avoir eu recours à l’avortement (en France, l’équivalent fut baptisé «Le manifeste des salopes»), elle sera convoquée à comparaître devant la justice allemandes. Les déceptions amoureuses auront incité la comédienne à consolider sa carrière ou affirmer sa conscience politique : «Il est préférable de vivre une passion malheureuse que de passer dans la vie en se contentant d’un bonheur médiocre» avait-elle coutume de dire.
Julien Welter