Source : Critikat.com - 26 juin 2007
Rétrospective au Champo en juin et juillet 2007
Romy, c’est notre Marilyn à nous. Pour le grand public, elle n’a souvent gardé que son prénom. Son nom de famille lui rappelait-il trop qu’elle n’était française que d’adoption et surtout, de coeur ? Comme Marilyn, cette comédienne à la beauté époustouflante créa son mythe dans un destin tragique. Incapable d’échapper à un rôle qu’on lui avait collé à la peau trop jeune, traînant comme un boulet une lassitude de la vie et un mal-être étouffants, Romy Schneider disparut en pleine gloire, à 43 ans. Vingt-cinq ans après sa mort, le Champo lui rend hommage dans une rétrospective très riche.
Romy Schneider aurait aimé cette rétrospective incomplète de sa filmographie. Le Champo lui accorde enfin ce pour quoi elle s’est battue toute sa vie : rejeter "Sissi". Oublier cette mièvre impératrice si éloignée de la réalité, que Romy s’efforça film par film d’enfoncer plus loin sous la terre et qu’on s’obstinait pourtant à déterrer. Bien sûr, il y eut tout de même "Ludwig", de Visconti, où la comédienne accepta de réendosser les lourdes robes d’Elisabeth d’Autriche, non seulement pour rétablir la vérité sur celle qu’on appelait "l’impératrice anarchiste", mais aussi un peu pour reconnaître à quel point le destin de Romy était lié à celui de "Sissi". Née en 1938, soit près de cent ans après Elisabeth, Romy Schneider connut comme elle cette soif de liberté qu’elle ne sut jamais atteindre, tant le poids de ce qu’on exigeait d’elle accablait sa fragilité. Comme la véritable Sissi, Romy se laissa mourir, parce qu’elle n’attendait plus rien de la vie.
Il est bien sûr plus facile en France de nier toute la période "autrichienne" de Romy, "Les jeunes années d’une reine", les "Premier amour" et les "Mam’zelle Cri-cri". La France fut pour la comédienne son véritable passage à l’âge adulte, et surtout un refuge salvateur contre la pression familiale, qui aurait préféré que la jeune fille au visage d’ange continue de gaver le public de ses viennoiseries. En Allemagne et en Autriche, Romy reste encore aujourd’hui (si, si) la sage enfant qui rougissait au premier baiser de son amoureux. En France, c’est une toute autre actrice que l’on connaît : une femme qui se préférait en putain qu’en sainte nitouche, qui n’hésitait pas à découvrir sa nudité ou, sur le tard, à montrer ses rides sous un maquillage bâclé ou trop prononcé. Il y a deux Romy, imperméables l’une à l’autre, et faire le choix de l’une ou l’autre équivaut à comprendre (ou pas) la personnalité de la comédienne.
Si le choix des films de la rétrospective est judicieux (quoique l’on puisse regretter quelques absences notables, notamment "Le procès" ou "L’assassinat de Trotsky", qui y avaient plus leur place que le mièvre "Katia"), le titre "Portraits de femme" laisse songeur. Au-delà de sa banalité (Romy pouvait-elle interpréter autre chose que des femmes ?), il contredit ce qui est à l’origine de la légende Romy Schneider. La comédienne n’a jamais interprété qu’une seule femme : elle-même. Ses véritables rôles de composition, paradoxalement, s’arrêteront avec la période autrichienne. La frénésie avec laquelle elle s’est toujours plongée dans le travail (certaines années, comme en 1972 ou en 1974, elle tourne trois films l’un après l’autre) est l’illustration parfaite de la phrase de François Truffaut : pour Romy Schneider, le cinéma, c’est la vie. Il est d’ailleurs impossible de faire abstraction de la vie personnelle de la femme pour évoquer la comédienne, tant Romy elle-même liait les deux. Dans "La passante du Sans-Souci", dont elle porte les faiblesses à bout de bras, elle apparaît ravagée par l’injustice de la mort. Mais ce dernier film est aussi le résultat d’un long processus. Abonnée aux rôles tragiques et émotionnellement difficiles (après "Quoi de neuf Pussycat ?", elle n’a plus jamais tourné dans une comédie), Romy Schneider s’est lentement laissée aller, sans qu’il lui soit possible de trouver au cinéma un exutoire à sa souffrance. "Je n’y arrive pas", furent les derniers mots que son frère l’entendit prononcer, avant qu’elle ne succombe, seule et abandonnée, à un arrêt cardiaque.
Le jeu même de l’actrice accompagne le désespoir inhérent à sa personnalité. La démarche lasse et fatiguée, le dos parfois voûté, l’absence de sourire ou le sourire contraint, les yeux pénétrants et fixes regardant dans le vague, la voix grave butant sur certaines syllabes du français sont les traits marquants du corps Romy. Sa façon de se jeter dans ses rôles et de s’y accrocher comme à une bouée dégonflée marque profondément ses films, dont on se souvient plus souvent pour sa présence que pour leur exceptionnelle qualité. Femme adulte et passionnée, Romy Schneider interprète des personnages qui lui correspondent : de Rosalie ("César et Rosalie") qui ne parvient pas à choisir entre deux hommes et décide de les aimer tous les deux, à Margot ("Une femme à sa fenêtre") qui suit son amant communiste au péril de sa vie en pleine seconde guerre mondiale, Romy est l’incarnation de la femme moderne, qui ne sait pas conjuguer sereinement son idéal d’amoureuse et la liberté sexuelle qu’on lui accorde.
Romy Schneider, enfin, c’est le portrait d’une actrice courageuse et désinhibée, qui choisissait ses films par défi plutôt que par goût, comme pour donner tort à une éducation conservatrice dont elle ne parvint jamais à se dépétrer totalement. Ouverte à toutes les expériences (italiennes avec Visconti, américaines avec Welles et Preminger), elle incarna les prostituées pour Claude Sautet ("Max et les ferrailleurs"), les actrices de porno pour Zulawski ("L’important c’est d’aimer"), les juives en fuite pour Granier-Deferre ("Le train"), les banquières lesbiennes pour Girod ("La banquière"), les meurtrières et les femmes adultères pour d’autres encore... Romy affronta la mort bien souvent, surtout sur la fin, comme pour mieux s’y préparer : mort atroce dans "Le vieux fusil", mort romantique dans "Une femme à sa fenêtre" ou mort choisie dans "La mort en direct", le fantôme Romy Schneider semblait déjà anticiper son au-delà.
Romy dévoilait tout d’elle-même : se mettre à nu, dans tous les sens du terme, était pour elle une façon de ne pas se renier. "Je ne suis ni une victime, ni une prisonnière", la faisait-on mentir dans L’Important c’est d’aimer. Vingt-cinq ans sans Romy, déjà, et son visage douloureux n’en finit pas de manquer au cinéma français.
Ophélie Wiel