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Article intérieur :
* Alain Delon : "Je pense à Romy tous les jours"
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Source : Le JDD - 28 mai 2022
Alain Delon au JDD : « Je pense à Romy Schneider tous les jours »
EXCLUSIF - L’acteur de légende raconte l’actrice et la femme qui a partagé sa vie, Romy Schneider, son "premier grand amour". À 86 ans, il évoque sa santé, son dernier film, le livre de son fils et ses échanges sur la mort avec Brigitte Bardot.
"Bonjour, il paraît que vous cherchez à me joindre ?" Pas besoin de présentations : même fatiguée, la voix d’Alain Delon est assurée et reconnaissable entre mille au téléphone. Oui, on voulait vraiment parler au dernier monstre sacré du cinéma français. Et encore plus ce dimanche, exactement quarante ans après la mort de Romy Schneider, le 29 mai 1982. Les deux acteurs ont formé un couple mythique à la ville (entre 1958 et 1963) et pour toujours à l’écran. De "Christine" (1958) de Pierre Gaspard-Huit à "L’Assassinat de Trotsky" (1972) de Joseph Losey, en passant par les iconiques "Plein Soleil" (1960) de René Clément et "La Piscine" (1969) de Jacques Deray, ils ont tourné quatre fois ensemble.
Pierre Granier-Deferre devait les réunir en juillet 1982 pour le bien nommé "L’un contre l’autre". Le projet a été abandonné avec le décès de Romy. Alain Delon, lui, n’a plus tourné depuis sa savoureuse apparition en Jules César dans "Astérix aux Jeux olympiques" (2008). Affaibli par un AVC en août 2019 et marqué par les disparitions successives de ses femmes et amis, il se repose entre la Suisse et son manoir de Douchy (Loiret).
Le JDD : Il y a quarante ans disparaissait Romy Schneider. Que vous reste-t-il d’elle ?
Alain Delon : Je n’arrive pas à croire que c’était il y a déjà quarante ans. Je pense à elle tous les jours. Elle est sûrement plus heureuse où elle est qu’elle l’était alors. Vous savez, sa mort ne m’a pas surpris. J’avais eu un pressentiment. Ce n’est pas que Romy voulait mourir, mais elle ne pouvait pas continuer à vivre depuis que son fils était disparu si tragiquement l’année d’avant [David, 14 ans, s’est tué en escaladant le mur d’enceinte de la maison familiale]. David était sacré pour elle. À partir de ce jour-là, j’ai senti qu’elle allait partir vite, qu’elle ne le supporterait pas.
Le JDD : Vous n’avez pas assisté à ses obsèques. Pourquoi ?
Alain Delon : Je ne voulais pas être la cible des photographes, c’était du voyeurisme. Je suis allé me recueillir sur sa tombe quelques jours plus tard, pour être seul avec elle, sans personne. En revanche, je suis allé la veiller chez elle. Je lui ai écrit une lettre, que j’ai souvent lue depuis à la télévision. J’ai pris une photo d’elle morte sur son lit, que je garde dans mon portefeuille : Romy a l’air de dormir d’un sommeil profond, elle est magnifique. Je la regarde souvent…
Le JDD : Vous vous souvenez de votre première rencontre, en 1957, pour tourner "Christine" ?
Alain Delon : J’étais allé la chercher à Orly avec des fleurs, comme me l’avaient demandé les producteurs du film. Elle a été surprise de voir un abruti souriant bêtement avec son bouquet. Elle a demandé qui j’étais à sa mère, qui lui a répondu : "Je crois que c’est ton partenaire, Alain Delon". Ça s’est mieux passé le soir : on a dîné tous ensemble au Lido avec Jean-Claude Brialy, qui parlait allemand. Par la suite, Romy a très vite appris le français.
Le JDD : Des quatre films ensemble, quel est votre tournage préféré ?
Alain Delon : Notre meilleur moment, cela a été en dehors des tournages, dans la vraie vie. On s’est beaucoup aimés, elle est venue s’installer chez moi et on a été très heureux. Des films qu’on a tournés ensemble, "La Piscine" [1969, de Jacques Deray] est le plus grand de tous. Je l’avais imposée alors que les producteurs voulaient plutôt d’autres actrices dont j’ai oublié les noms [Jeanne Moreau, Angie Dickinson ou Monica Vitti]. Je leur ai dit : "Vous me faites chier, ce sera Romy Schneider ou il n’y aura pas de film !" Elle était un peu en perte de vitesse à cette époque-là et ça me faisait de la peine car je trouvais qu’elle était parfaite pour le personnage. C’est pour ça que j’ai insisté. Elle y est formidable et magnifique. "La Piscine" a été un cap important pour Romy. Elle a pu faire des grands films ensuite avec Claude Sautet et d’autres.
Le JDD : Vous lui avez aussi permis de rencontrer Luchino Visconti…
Alain Delon : Oui, elle était passée sur le tournage de "Rocco et ses frères" [1960]. Luchino l’a ensuite fait jouer au théâtre avec moi à Paris [Dommage qu’elle soit une putain en 1961] puis dans des films ["Boccace 70" et surtout "Ludwig ou le Crépuscule des dieux"]. Romy était une très grande actrice. Il y a une rétrospective en ce moment à la Cinémathèque à Paris. Je vais y aller avant qu’elle se termine, fin juillet.
Le JDD : Elle disait que vous avez été l’homme le plus important de sa vie…
Alain Delon : Elle n’en a pas eu énormément non plus, mais j’ai compté pour elle, oui. J’ai été son premier grand amour et elle a été mon premier grand amour aussi. On a vécu ensemble, on faisait le même métier. Quand on rentre chez soi, on est comme les autres, avec nos problèmes. Romy n’était pas quelqu’un de profondément heureux. Elle l’a été avec moi, même si elle a été malheureuse aussi… Elle faisait des efforts pour être Romy Schneider, celle que tout le monde attendait. Vous savez, ce n’est pas facile d’être acteur quand on est Romy.
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Mon rêve, en fait, ce serait de tourner "Le Crépuscule d’un fauve",
un beau sujet de Janne Fontaine
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Le JDD : Quand on est Alain Delon aussi ?
Alain Delon : Moi, c’est différent. Je suis un homme et ce sont les femmes qui m’ont fait acteur en me poussant vers le cinéma alors que je n’avais aucune formation. J’ai connu une époque fabuleuse, quand j’étais Alain Delon et que je tournais comme un fou. J’étais heureux quand je faisais des films, j’adorais le cinéma. Je le suis moins depuis que je suis un ancien acteur. Je vis de mes souvenirs…
Le JDD : Lors de notre dernière rencontre, en 2019, vous disiez vouloir tourner un dernier film sous la direction d’une femme, Lisa Azuelos ou Maïwenn. Un projet existe-t-il ?
Alain Delon : J’ai eu beau leur faire savoir que j’avais envie, aucune ne m’a proposé quelque chose, c’est dommage. Ce serait pourtant formidable de tourner avec une femme. J’ai reçu d’autres propositions, mais je n’ai pas répondu. Je suis contre le combat de trop comme on dit chez les boxeurs. Mon rêve, en fait, ce serait de tourner "Le Crépuscule d’un fauve", un beau sujet de Janne Fontaine [une pièce écrite pour lui qui raconte les souvenirs d’un flic retraité après un accident]. Ça, se serait un dernier film.
Le JDD : En juillet, le festival de La Rochelle va vous rendre hommage. Vous y serez ?
Alain Delon : Cet hommage me fait très plaisir, je suis énormément touché. Mais je ne suis pas certain d’aller à La Rochelle. Il y aura du monde, c’est risqué par rapport au Covid. Je ne suis quand même pas intouchable. C’est pour ça que je vais sûrement y envoyer ma fille [Anouchka].
Le JDD : Des 21 de vos films qui seront projetés, de "Christine" (1958) à "Nouvelle Vague" (1990) de Godard, quel est votre préféré ?
Alain Delon : Il y en a beaucoup, d’époques différentes. Je pense que le plus beau et le plus important, c’est "Plein Soleil" [1960], mon premier avec René Clément. Mais il y a aussi "Rocco et ses frères", "Deux hommes dans la ville" [1973], "Monsieur Klein" [1976], etc.
Le JDD : Vous évoquiez la crainte du Covid. Comment avez-vous traversé la pandémie ?
Alain Delon : C’était terrible et effrayant. Même pendant la guerre, on n’avait pas connu ça. J’ai plein d’amis qui ont été touchés et s’en sont sortis, mais il ne fallait pas se voir, se toucher, se serrer la main, s’embrasser. Encore aujourd’hui il faut faire attention à tout.
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Je trouve que la vie est devenue insupportable,
elle ne me fait plus beaucoup envie
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Le JDD : Comment allez-vous depuis votre AVC, en 2019 ?
Alain Delon : Comme quelqu’un de 87 ans [il ne les aura qu’en novembre]. Physiquement, je me sens plutôt bien même si je suis fatigué et que je marche avec une canne. Mais on ne va pas se faire du cinéma : on sait où on va, comment ça finit. Tous mes amis sont partis, Jean-Paul [Belmondo] l’année dernière. Romy, Mireille [Darc], Nathalie [Delon], toutes les femmes de ma vie sont parties aussi. La seule qui reste, c’est Brigitte [Bardot]. Nous sommes très amis. On échange souvent, un peu comme deux vieux cons qui parlent de ce qu’ils ont connu et traversé ! On parle aussi du jour où on ne sera plus là. Je lui dis que j’espère qu’elle partira avant moi pour que je fasse un éloge dans l’église. Elle répond : j’espère que ce sera toi avant !
Le JDD : À quoi ressemblent vos journées ?
Alain Delon : J’ai 55 hectares à Douchy, je profite de la nature, du calme, du repos. Je suis pratiquement seul avec mes animaux. J’ai quelqu’un avec moi, mais je ne reçois pas beaucoup de monde. Je lis la presse tous les jours. Ce qui se passe ne me réjouit pas, c’est un enchaînement d’informations sinistres. Tous les jours, il y a un scandale, un viol, une tuerie d’enfants. Ne me dites pas que le monde est heureux ! Je trouve que la vie est devenue insupportable, elle ne me fait plus beaucoup envie.
Le JDD : Vous souhaitez toujours être enterré avec vos chiens à Douchy ?
Alain Delon : Non, ce sera trop compliqué, notamment par rapport à la loi. Je rejoindrai peut-être ma mère, enterrée à Bourg-la-Reine. Ou bien ailleurs. Je ne sais pas encore. Je veux surtout avoir la paix. Je n’ai pas peur de mourir. C’est normal, on y va tous. Mais j’ai peur de souffrir. Je ne veux pas finir dans un lit à l’hôpital.
Le JDD : Que pensez-vous de l’euthanasie ?
Alain Delon : Je suis pour. En Suisse, c’est possible : on arrive avec ses amis, on fait un dernier discours, puis le médecin vous fait une piqûre devant vos amis et c’est fini en douceur.
Le JDD : La France a une femme au poste de Premier ministre, c’est important ?
Alain Delon : Élisabeth Borne est Première ministre, ce n’est pas une actrice ou une danseuse ! Elle m’a l’air d’être quelqu’un de compétent, lucide et efficace. J’espère que ça se passera bien.
Le JDD : Le gaulliste que vous êtes a soutenu Valérie Pécresse. Son échec vous a-t-il surpris ?
Alain Delon : Ça m’a surtout surpris et choqué pour elle. Valérie est une femme bien. Elle s’est donnée à fond, mais elle s’est peut-être perdue.
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Il était le fils d’Alain Delon, ce n’est pas facile
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Le JDD : Qu’avez-vous pensé de l’autobiographie de votre fils Anthony, "Entre chien et loup" ?
Alain Delon : Il y a des choses bien, d’autres moins. Il a aujourd’hui presque 60 ans, un âge où il faut réfléchir comme un homme de cet âge plutôt que comme un gamin. Ce qui lui fait plaisir me fait beaucoup de mal. C’est dur pour un père. Mais ce sont ses souvenirs… C’est sans doute une façon de tuer le père.
Le JDD : Il vous décrit comme violent mais il vous pardonne et parle beaucoup d’amour…
Alain Delon : Oui, bien sûr. Mais tous les enfants ne font pas ça. Je n’ai pas été épouvantable avec lui. J’ai été un père sérieux et strict, c’est tout. Mais il était le fils d’Alain Delon, ce n’est pas facile.
Par Stéphane Joby