Source : Marie-Claire - 28 mars 2022
Actrice caméléon et engagée, elle demeure une icône, quarante ans après sa brutale disparition. Romy Schneider était aussi cette femme brisée, épuisée d'avoir affronté de nombreux drames. Portrait d'une idole au destin romanesque et tragique.
Romy : Prénom féminin d'origines latine et hébraïque, qu'il semble impossible de prononcer sans penser à l'icône du septième art qui le portait. Voilà une manière -parmi d'autres- de mesurer la popularité unique et intacte de Romy Schneider, quarante ans après sa disparition.
La Cinémathèque française, à Paris, commémore cet anniversaire avec une grande rétrospective qui rend hommage au talent de l'actrice, phénomène de son époque et d'aujourd'hui encore. Mais le glamour, le succès de ces personnages mythiques qu'elle incarnait et qui lui collaient à la peau, camouflaient une vie intime fragile, ponctuée de drames. Retour sur le destin tragique, parfois romanesque, de l'inoubliable idole.
Souvenirs d'enfance traumatisants Naître en 1938 à Vienne, quelques mois seulement après l'intégration de l'Autriche au Reich allemand. Grandir dans le village bavarois de Berchtesgaden, dans une maison presque voisine au Berghof, le chalet d'Adolf Hitler. En vouloir toute sa vie à ses parents d'avoir été complaisants, pire, proches du régime nazi. Soupçonner même sa mère d'avoir entretenu une relation amoureuse avec le dictateur. L'enfance de Rosemarie Magdalena Albach au contact de l'histoire nazie la hantera à chaque âge de sa vie. Comme ses grands-parents avant eux, les parents de celle que l'on connaît sous le pseudonyme de Romy Schneider mènent une vie d'artistes. Père comédien, mère chanteuse et actrice. C'est à ses côtés que la jeune Romy débute sa carrière. Elle a quinze ans en 1953 lorsqu'elle quitte les bancs de l'école pour le tournage de Quand refleuriront les lilas blancs, dans lequel elle interprète la fille du personnage principal, Magda Schneider, sa propre mère.
Éternelle Sissi
C'est elle qui poussera sa fille à accepter le rôle de sa vie : Elisabeth de Wittelsbach, l'impératrice d'Autriche. La trilogie "Sissi" signée Ernst Marischka -"Sissi" en 1955, puis "Sissi impératrice" en 1956 et "Sissi face à son destin" en 1957- la propulse au rang de star planétaire alors qu'elle n'a que 20 ans.
Mais libre, elle refuse de tourner un quatrième film pour cette saga à succès. Sissi n'est plus un costume, elle est devenue une seconde peau oppressante. Romy Schneider souhaite s'émanciper de ce rôle qui la renvoie sans cesse à sa beauté, à une image de jeune femme sage, et aspire à des rôles plus profonds, sinon à incarner des personnages féminins plus modernes.
À une époque où il n'était encore nulle part question de libération de la femme,
j'ai entrepris ma propre libération.
"En réalité, j'étais simplement en avance sur mon temps. À une époque où il n'était encore nulle part question de libération de la femme, j'ai entrepris ma propre libération. J'ai forgé moi-même mon destin, et je ne le regrette pas", rembobine-t-elle, fière de son courage, dans son journal intime rendu public en 1998 (Moi, Romy : Le journal de Romy Scheider, paru aux éditions Succès du livre)
Une impressionnante carrière
C'est à cette époque qu'elle décide de s'installer dans cette ville dont elle rêve depuis l'adolescence. "Je vivrai à Paris", se promettait-elle à treize ans dans ce précieux journal.
Luchino Visconti, Henri-Georges Clouzot, Alain Cavalier, Orson Welles, Bertrand Tavernier... Romy Schneider tourne avec les plus grands cinéastes de son temps. Tour à tour, elle incarne des femmes lumineuses, tragiques, mélancoliques.
Puis l'actrice rencontre Claude Sautet, il dit d'elle qu'elle est "tourmentée, pure, violente, orgueilleuse". Qu'il s'agisse de l'énigmatique Rosalie dans "César et Rosalie", de la troublante Lily dans "Max et les ferrailleurs" ou de la sensuelle Hélène dans "Les choses de la vie", le regard du réalisateur combiné au talent de Romy Schneider créent, chaque fois, de la magie sur pellicule. Avec "Une histoire simple", aussi réalisé par Claude Sautet, elle décroche en 1978 le César de la meilleure actrice pour la seconde fois de sa carrière.
Deux ans auparavant, lors de la toute première cérémonie des César, l'idole d'origine austro-allemande naturalisée française est sacrée Meilleure actrice pour sa bouleversante interprétation d'une comédienne à la dérive dans "L'important c'est d'aimer". Le don de soi a toujours été son point fort, son plus grand talent, mais dans ce film d'Andrzej Zulawski, son jeu d'usurpation d'identité n'a jamais été aussi troublant.
Son troisième César lui sera attribué en 2008, à titre posthume. Une statuette pour honorer sa mémoire et son impressionnante filmographie. Romy Schneider, c'est 63 films en 29 ans de carrière.
Romy Schneider et Alain Delon, premier grand amour
Alain Delon foule la scène des César pour présenter avec pudeur ce prix. Comme un dernier hommage à la rencontre d'une vie. "Tu me manques terriblement", lâche-t-il en regardant au ciel.
Parce que nous nous sommes fiancés il y a 50 ans,
parce que nous avons nagé ensemble dans "La Piscine" il y a 40 ans.
Parce que c’était toi,
parce que c’était moi…
"Parce que nous nous sommes fiancés il y a 50 ans, parce que nous avons nagé ensemble dans La Piscine il y a 40 ans (...) Parce que c’était toi, parce que c’était moi…", poursuit l'acteur bouleversé, avant de prier le public d'applaudir debout celle qu'il a tant aimée.
Romy Schneider a 20 ans, Alain Delon 23, quand ils se rencontrent sur le tournage de la romance "Christine". Coup de foudre devant la caméra, qui les mène l'année suivante, le 22 mars 1959, sur le lac de Lugano en Italie, où ils se fiancent.
Mais en 1963, l'acteur quitte sa fiancée alors âgée de 26 ans, après seulement cinq ans de relation. "Je pars avec Nathalie [la mère de son fils Anthony Delon, NDLR]", lui aurait-il écrit, dans une longue lettre posée près d'un bouquet de roses.
Qu'importe la rupture, les brèves années d'idylle, Romy Schneider et Alain Delon appartiennent à ces couples mythiques du cinéma français. Ceux qui semblent indéfectiblement liés par-delà le sentiment amoureux, ceux qui font rêver le public.
Ce lien unique, ils le raviveront six ans après leur séparation. Quand Alain Delon impose Romy au casting de La Piscine. Quand le réalisateur Jacques Deray accepte que l'actrice -qui tourne moins à cette époque- incarne à l'écran la compagne du personnage de Delon. Le binôme a-t-il été déjà aussi photogénique, aussi culte, que dans "La Piscine" ?
Romy Schneider recroise l'amour dans les bras de Jean-Louis Trintignant puis de Jacques Dutronc. Après ces fiançailles sans suite, elle dit "oui" à deux reprises. Une première fois au metteur en scène Harry Meyen, avec qui elle accueille en 1966 son premier enfant, David. Un second mariage la lie au journaliste Daniel Biasini. Et de leur union naît en 1977 sa fille, la comédienne Sarah Biasini.
Mais son premier amour préserve une place particulière dans son cœur. "L'homme le plus important dans ma vie fut et reste Delon. Aujourd'hui encore, Alain est le seul homme sur qui je puisse compter. Alain ne m'a jamais abandonnée à moi-même, pas plus aujourd'hui qu'hier", s'avoue Romy Scheider en 1977, en écrivant ces quelques mots dans son journal intime.
Romy Schneider, une femme engagée
Alors oui, Romy Schneider était une star adulée, une immense actrice et la moitié de ce tandem glamour qu'elle formait avec son ex-fiancé. Ce que l'on dit moins quand évoque son souvenir, c'est qu'elle fut, aussi, une féministe engagée.
En 1973, elle signe le célèbre manifeste des 343 publié dans le Nouvel Observateur, aux côtés de Gisèle Halimi, Simone de Beauvoir, ou encore Agnès Varda. Le texte dénonce les conditions dangereuses des avortements clandestins et réclame alors la légalisation de l'IVG. Ces 343 femmes, dont Romy Schneider, affirment courageusement avoir eu recours à l'avortement, encore interdit en France à cette époque.
Son engagement en faveur d'un avortement libre et gratuit choque l'Allemagne conservatrice. Lynchée par la presse de son pays natal qui la qualifie de "putain" et qui trouve là l'occasion de lui reprocher son exil en France, Romy Schneider se retrouve même inquiétée par le tribunal d'Hambourg. Pour la défendre, des centaines d'Allemandes envoient des lettres aux tribunaux, affirmant avoir, elles aussi, avorté. Leçon de sororité : les poursuites contre la star sont interrompues.
Une vie ponctuée de tragédies
L'artiste aux grands yeux bleus rayonne, elle crève l'écran, mais la femme au regard triste semble brisée par de nombreux traumatismes. Le premier d'entre eux : ses souvenirs d'enfance, sa culpabilité d'être née dans cette famille proche du régime nazi.
Alors à l’écran, elle "répare" : Romy Schneider incarne tantôt une femme juive, tantôt une résistante. Elle initie même l'adaptation sur grand écran du roman de Joseph Kessel La Passante Du Sans-Soucis, qui raconte l’histoire d’une Allemande qui tient tête aux nazis. Elle choisit le prénom hébraïque "David" pour son fils, né de son mariage avec Harry Meyen, dramaturge juif déporté à l'âge de 17 ans, et le non moins symbolique "Sarah" pour sa fille. Jusqu'au cercueil, elle portera au cou l’étoile de David.
Autre indélébile traumatisme de l'enfance : l'inceste commis par son beau-père, le compagnon de sa mère, à l'époque où l'adolescente aurait dû savourer inconsciemment sa première expérience au cinéma.
Plus tard, en 1979, Romy Schneider doit affronter une nouvelle tragédie : le suicide de son premier mari, le père de son fils. Un drame vertigineux, et pourtant incomparable à celui qui l'attend. Deux ans plus tard, son fils David tente d'entrer chez ses grands-parents en passant par dessus leur clôture en fer forgé. L'adolescent de 14 ans perd l'équilibre, il s'empale. Les paparazzi piétinent sans scrupule le deuil de cette mère, au prétexte qu'elle est une star mondiale. Ils se déguisent en infirmiers pour approcher son défunt garçon et le photographier.
La mort de Romy Schneider à 43 ans
Cet innommable malheur la plonge dans une grande dépression. Romy Schneider ne se remettra pas de la perte de son enfant. Le 29 mai 1982, dix mois après cet accident mortel, l'actrice est retrouvée morte dans son appartement parisien par son compagnon de l'époque, le producteur Laurent Pétin. Elle n'avait que 43 ans.
Quatre jours plus tard, Romy Schneider est enterrée - avec son précieux pendentif - au cimetière de Boissy-sans-Avoir, petit village dans lequel elle avait acheté une maison de campagne. Son fils, qui avait été inhumé ailleurs, repose désormais à ses côtés.
Quarante ans après sa disparition, le mystère plane encore - et il planera toujours. Nul ne peut affirmer que l'actrice est décédée d'une overdose de médicaments, à un abus d'alcool, ou s'il s'agit d'une mort naturelle, puisqu'à l'époque, le procureur de la République décide de classer l'affaire sans autopsie.
"Sissi ne devait pas embarquer pour son dernier voyage à l’institut médico-légal. Je ne pouvais me résoudre à détruire le mythe, à en faire une carcasse (…) manipulée par les mains d’un expert pathologiste", déclare l'homme à Libération en 1998. Comme si c'était "Sissi" qui venait de perdre la vie, comme si Romy Schneider avait été, et alors, devait rester, un objet de désir qui appartient au public.
C'était peut-être l'un de ses plus grands drames dans cette vie cabossée, le seul qui l'a poursuivi par-delà sa mort : avoir été confondue avec un personnage de fiction, avoir été érigée au rang de mythe. Comme si nous avions fini par oublier qu'elle était une femme de chair et d'émotions.
Par Juliette Hochberg