Source : Point de Vue - 22 décembre 2020
Nous sommes trois jours avant Noël. Subjugué, le public viennois redécouvre Élisabeth d'Autriche sous les traits ravissants de la si jeune Romy Schneider. Le film est un triomphe, assurant à sa vedette une gloire aussi immédiate que durable. Et pesante...
Mai 1955. L'Autriche retrouve sa souveraineté. Cependant, des années d'humiliations ne s'effacent pas d'un coup de baguette magique et la population, en proie à la nostalgie d'un passé plus glorieux, éprouve le besoin de se divertir. Le réalisateur Ernst Marischka songe à une grande production romantique sur une figure clé de cette époque où Vienne régnait sur un empire, Élisabeth d’Autriche, surnommée affectueusement "Sissi" par ses concitoyens.
Rien n'est trop beau pour l'évocation de la populaire souveraine. Entre les rives du Danube, le château de Schönbrunn et les lacs de Bavière, les lieux retenus pour le tournage sont magnifiques, les costumes somptueux et la distribution parfaite: le beau et racé Karlheinz Böhm interprète l'empereur François-Joseph, Gustav Knuth est le duc Max de Bavière, Magda Schneider est la duchesse Ludovica. C'est la fille de cette dernière, Rosa Maria Magdalena, surnommée Romy, qui joue le rôle titre. Rosa Maria Magdalena Schneider, une jeune première de 16 ans, triomphe dans "Sissi" devant un public en proie à la nostalgie d'un passé glorieux.
La jeune première n'a que 16 ans. Mais elle a déjà quatre films à son actif (dont trois aux côtés de sa mère) et un succès, "Les Jeunes Années d'une reine" ainsi qu'une jolie hérédité. Romy a, en effet, pour père le comédien Wolf Albach-Retty et pour grand-mère, Rosa Retty. L'équivalent allemand de notre Sarah Bernhardt et qui fut, accessoirement, la favorite de l'empereur...
La mièvrerie du personnage agace Romy
Sorti le 22 décembre 1955 sur les écrans viennois, puis allemands, Sissi provoque un délire : ses 6.538.000 spectateurs détrônent Autant en emporte le vent ! C'est un véritable raz de marée qui déferle en Europe. Déclaré "oeuvre d'utilité publique" en Autriche, Sissi est projeté gratuitement dans les écoles.
Naturellement, Ernst Marischka s'attelle à une suite. Romy fait la moue, la mièvrerie du personnage l'agace. Elle cède néanmoins devant le directeur des studios, Herbert Tischendorf. Docile en apparence, elle bout en son for intérieur : "Je ne suis ni charmante ni délicieuse, et j'aspire à prouver mes qualités et mon tempérament d'actrice, qui refuse de se laisser enfermer dans une catégorie bien typée de rôles concoctés pour elle. Je ferai tout ce qui est mon pouvoir pour me libérer au plus vite de cette image de Sissi qui me colle à la peau", confie-t-elle à "Peggy", le journal intime qu'elle a commencé à 13 ans. Sorti en 1956, Sissi impératrice suscite un engouement identique, avec 6.385.000 spectateurs.
Romy renâcle, mais le public en redemande. Devant sa répulsion à faire un troisième opus, le ministère de l'Éducation nationale autrichien intervient, créditant les "Sissi" d' "une haute valeur historique". Romy cède, pour la dernière fois. En 1957, cent vingt neuf copies de "Sissi face à son destin" sont projetées simultanément dans toutes les capitales d'Europe. Nouveau triomphe. Mais il n'y aura pas de quatrième volet. "Sissi", c'est fini.
Romy choisit d'exercer sa liberté toute neuve dans Jeunes Filles en uniforme. Suit en 1958, "Christine", un remake du "Liebelei" d'Ophuls. Le tournage est le théâtre d'une idylle de conte de fées, entre l'enfant chérie de l'Autriche et et l'étoile montante du cinéma français Alain Delon. "Les fiancés de l'Europe" donnent une image resplendissante de la réconciliation franco-allemande.
Par amour, Romy suit Alain à Paris. Elle y rencontre Luchino Visconti, qui la dirige dans "Dommage qu'elle soit une putain", puis dans "Boccace 70". Elle tourne ensuite avec Orson Welles et s'envole pour Hollywood. En 1963, la séparation d'avec Alain crucifie Romy mais sa carrière est dorénavant lancée. Il ne lui reste qu'à trouver son mentor, en la personne de Claude Sautet. Rencontre décisive, en 1970, qui débouchera sur cinq films.
Romy Schneider est invitée d'honneur au Festival de Cannes 1971. Elle doit remettre une récompense à Visconti. "J'ai envie de te proposer un rôle que tu connais déjà..." Romy, qui vient d'interpréter une prostituée dans "Max et les ferrailleurs", sourit "Je vois... une putain ?" "Pas du tout, répond le réalisateur. Elisabeth !" Enfin ! L'occasion se présente de tordre le cou au fantôme de la "Sissi" sucrée qui n'a jamais laissé la comédienne en paix...
Bien que le rôle soit mineur comparé à celui de Louis II de Bavière, le cousin d'Elisabeth, joué par Helmut Berger, Romy accepte avec enthousiasme. Loin des clichés véhiculés par Ernst Marischka, "Ludwig" lui permet d'appréhender des facettes insoupçonnées dans le tempérament de son célèbre modèle.
"Il n'existe aucune commune mesure entre la Sissi de jadis et mon rôle d'aujourd'hui. Je découvre dans le caractère d'Elisabeth des traits qui ne me sont pas étrangers." Les deux femmes partagent une beauté éclatante et un tempérament rebelle. Elles mènent une enfance préservée dans les montagnes bavaroises. Elles sont arrachées à leur havre de paix, adolescentes, pour connaître une gloire fulgurante et pesante : à l'une échoient les contraintes de la vie à la cour, à l'autre celle d'une star surexposée. Sous le poids de ce carcan, toutes deux éprouvent le même réflexe : la fuite.
Élisabeth sera sur nommée "l'impératrice locomotive". Quant à Romy, elle balance sans cesse entre France, Autriche et Allemagne. Les deux femmes connaîtront la douleur suprême, la perte irrémédiable d'un enfant. Dans Ludwig, la comédienne campe une magistrale Sissi, à la maturité complexe et ambiguë. Ce beau personnage viscontien n'efface pas celui de Marischka. "Je ne suis plus Sissi, je ne l'ai d'ailleurs jamais été"
Malgré les années, Romy continue d'être associée à la juvénile princesse dans l'imaginaire collectif. "Je hais cette image de "Sissi". Qu'ai-je donné aux hommes en dehors de Sissi, toujours Sissi ? Sissi ? Il y a bien longtemps que je ne suis plus "Sissi", je ne l'ai d'ailleurs jamais été. Je suis une femme de 42 ans. Et je m'appelle Romy Schneider."
Mais les mythes ont la vie dure, contrairement aux acteurs qui les incarnent. Brisée par la mort atroce de son fils David, survenue en juillet 1981, Romy ne lui survit que dix mois. Défaillance provoquée ou non d'un coeur en lambeaux, la comédienne plonge dans le noir inconnu le 29 mai 1982. Figée sur la pellicule, la lumineuse "Sissi" continue, elle, de valser avec grâce.
Isabelle Pia
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