Source : L'express.fr - Blog "L'écharpe rouge" - 03 février 2020
Il est audacieux, voire téméraire, aujourd’hui, de raconter une histoire où le mâle triomphe. Parce que le mâle, c’est le mal. C’est pourtant ce que les Artistic Athévains proposent avec "La Mégère apprivoisée", comédie de jeunesse de William Shakespeare, écrite en 1594, quand l’oeuvre du grand Will est encore marquée par l’esprit méditerranéen. Consciente de son culot à dire qui doit porter la culotte, la troupe s’offre de tenter une étrange expérience.
Esthétique, d’abord. La scène est une sorte de cinéma en plein air, on est dans l’Italie de la « dolce vita », de Cinéma Paradiso, un peu celle de Fellini. Un décor qui lutte pour imposer sa chaleur toute adriatique dans le vaste cube bétonné des lieux. L’action se déroule entre Vérone et Padoue, c’est Goldoni que Shakespeare nous annonce, celui des Rustres, ces Rusteghi que leurs femmes finissent par confondre et mater. Du linge pend sur un fil, des bancs de bois clair s’alignent devant un écran où l’on voit se dérouler une partie de l’histoire. La terrible Catarina trouvera-t-elle un époux, ce qui permettra à sa cadette Bianca de se marier à son tour ?
Expérience intellectuelle, presque politique, ensuite : Shakespeare est-il un auteur machiste ? Veut-il, au contraire, dénoncer en creux les mariages où le père décide pour ses filles ? Entend-il seulement nous distraire par une farce ménagère? C’est cela qui est formidable avec Shakespeare : il nous donne matière à interrogation, mais si l’on ne souhaite pas se triturer les méninges, il nous réjouit simplement, par ses histoires.
À la fin de la pièce, l’héroïne lit un texte de Virginia Woolf, rendant hommage à la sœur de Shakespeare, qui n’a pas existé et n’aurait pas pu faire sa carrière… Les temps changent, l’égalité homme-femme progresse, et c’est tant mieux. Reste le sens de la comédie, maîtrisé par Shakespeare, et sa peinture des caractères. Les amants ingénieux, Bianca, petite fille pas si modèle, Petruchio, mari faussement brutal et vraiment subtil, une Mégère plus effarouchée par la vie que féroce avec les autres… Que cela est bien troussé, toujours drôle et éloquent 500 ans plus tard!
Sarah Biasini, comme toujours, est engagée et généreuse, elle défend son personnage avec fougue et grâce. Face à elle, Cédric Colas, excellent jadis, dans le même théâtre au service de Vaclav Havel, est un Petrucchio puissant et gymnique: le duo fonctionne ! On rêve de voir ce spectacle en plein air, un soir d’été, dans un festival baigné de l’envie d’amour. Il prendrait alors toute sa force de séduction et d’ivresse.
Christophe Barbier
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