Source : L'orient le jour - N° 156 - Juin 2019
Le 29 mai 1982, Romy Schneider s’éteignait à l’âge de 43 ans. Icône du cinéma français, que sait-on vraiment de cette figure inoubliable, de ses bonheurs, mais aussi de ses chagrins et de ses blessures ?
Journaliste chez France 2 et auteure de Simone, éternelle rebelle (Fayard, 2015) – un portrait inédit de Simone Veil largement salué par la presse et vendu à plus de 70 000 exemplaires –, Sarah Briand a marché dans les pas de Romy, du chalet de son enfance à Berchtesgaden en Allemagne, jusqu’à l’appartement où elle a passé ses dernières heures, pour nous offrir une biographie passionnante intitulée Romy, une longue nuit de silence qui vient tout juste de paraître chez Fayard. Un portrait remarquable, nourri de témoignages inédits d’amis, de réalisateurs, et de ses partenaires de cinéma et de vie.
Vous avez vécu et étudié au Liban. Que vous inspire ce pays ?
Oui, j’ai d’abord vécu trois ans à Beyrouth, car mon père y était en poste, à l’ambassade de France, puis j’ai choisi de rester quelques années de plus pour y continuer mes études de journalisme avec le CELSA à l’Université Saint-Joseph. Je suis tombée amoureuse de ce pays, de sa douceur de vivre méditerranéenne, mais pas seulement. Je suis admirative de la résilience des Libanais qui ont traversé des épreuves terribles et qui, comme le Phénix, se relèvent toujours. C’est un peuple qui ne se plaint jamais et qui vit l’instant présent avec une énergie qui force le respect.
Comment expliquer que le mythe Romy Schneider perdure et que l’on donne son prénom à des milliers d’enfants, notamment au Liban ?
C’est vrai que le prénom Romy est très apprécié au Liban et évidemment en France, et il est immédiatement associé à Romy Schneider. Je crois que le mythe perdure parce qu’elle fascine toujours par son immense beauté et parce qu’elle nous bouleverse en tant que comédienne. Toutes les femmes se reconnaissent en elle à travers ses différents rôles, car elle incarne toutes les femmes.
L’idée vous est venue après un reportage télévisé que vous avez consacré à Romy Schneider. Est-il facile de passer du documentaire à la biographie écrite ?
J’avais en effet réalisé un documentaire sur elle avec Laurent Delahousse pour la collection « Un jour, un destin ». Mais écrire un livre est très différent. J’ai non seulement repris l’enquête et fait de nouvelles découvertes, obtenu de nouveaux témoignages – car j’avais plus de temps pour convaincre ceux qui n’avaient jamais parlé –, mais j’ai également dû penser différemment le récit. J’ai choisi de partir de sa chambre, où elle s’est éteinte le 29 mai 1982 et où ses proches sont venus se recueillir ce jour-là à son chevet, afin de raconter des instantanés de son histoire. Ce moment dans la chambre revient comme un leitmotiv tout au long du livre.
Vous avez recueilli les confidences d’Alain Delon à son propos. Qu’a-t-il apporté de nouveau ?
J’avais interviewé Alain Delon pour un film que j’avais réalisé pour Mireille Darc. Quand je lui ai parlé de mon livre sur Romy Schneider, il ne m’a pas répondu. Or, nous avions régulièrement ces dernières années des conversations sur d’autres sujets, mais il ne me parlait jamais de Romy. Je savais que l’évoquer était très douloureux pour lui. J’ai été patiente. Et lorsque j’ai terminé l’écriture du livre, je lui ai écrit une lettre et il m’a appelée le jour même. Il souhaitait me voir. Je pense qu’il était prêt à parler d’elle. Il m’a reçue chez lui et c’est sans doute l’un des moments les plus émouvants que j’ai vécus. Il revient sur leur histoire et son absence, son amour pour elle et ses douleurs de femme et de comédienne. C’est un entretien inédit que je raconte en épilogue du livre. Je le remercie de sa confiance car il n’avait jamais parlé aussi longuement et de façon aussi émouvante de Romy qu’il a profondément aimée jusqu’à son dernier souffle. Il s’est mis à nu.
Quelles révélations inédites avez-vous réussi à trouver ? À quelles difficultés avez-vous été confrontée ? Sa famille a-t-elle été coopérative ?
En plus d’Alain Delon, j’ai recueilli de nombreux témoignages inédits, que ce soit la gardienne de l’immeuble où elle est décédée, des amis proches, le substitut du procureur qui vient constater son décès et refuse de faire pratiquer une autopsie, mais j’ai également rencontré son ancien époux, Daniel Biasini, le père de leur fille Sarah. Elle n’a pas souhaité me parler – elle avait à peine 5 ans au moment du décès de sa mère – mais lui s’est confié très longuement et m’a raconté plusieurs moments inédits de leur vie personnelle, des années où Romy était profondément heureuse et d’autres plus douloureux comme ce jour de 1974 où il est témoin d’une conversation entre Romy et sa mère en Allemagne, sur les lieux du nid d’aigle d’Hitler, un jour où elle souhaite confronter sa mère à son passé.
Une partie de sa famille a été proche des nazis ; on dit que sa mère a fréquenté Hitler. Qu’en est-il vraiment ? Avez-vous réussi à éclairer cette zone d’ombre ?
Romy a grandi à Berchtesgaden, en Allemagne, à la frontière autrichienne, au pied du Berghof, la résidence d’Hitler pendant la Seconde Guerre mondiale. La mère de Romy, Magda Schneider, était une très grande comédienne et on raconte que Hitler venait l’applaudir au théâtre à Munich. Ce qui est certain, c’est qu’il existe des images de Magda aux côtés d’Hitler, filmée par la compagne du Führer, Eva Braun, dans les sentiers enneigés du nid d’aigle. J’ai également retrouvé un document attestant que Magda Schenider avait été exonérée d’impôts par le régime nazi. On ne peut pas l’accuser de collaboration mais il est certain que Magda Schneider entretenait des liens étroits avec les plus hauts dignitaires nazis de par leur proximité géographique. Elle a continué à tourner des films alors que de nombreux comédiens ont été obligés ou ont fait le choix de fuir l’Allemagne, comme Marlene Dietrich. Ce n’est pas un hasard si Romy se rapprochera de Marlene Dietrich une fois arrivée à Paris et si elle fera le choix d’interpréter de nombreux rôles de femmes juives, comme si elle souhaitait racheter une faute qui n’était pas la sienne.
Elle a idéalisé son père qui a quitté sa mère alors qu’elle était enfant. Peut-on affirmer qu’elle a recherché, à travers sa rencontre avec ses réalisateurs, l’image de son propre père ?
C’est possible en effet. Elle a très peu connu son père et elle a confié que sa présence lui avait manqué. Ce qui est sûr, c’est qu’elle avait un besoin irrépressible d’être aimée et le cinéma lui permettait de panser cette blessure. Être regardée, filmée, désirée par le regard d’un réalisateur lui apportait la force dont elle avait besoin pour affronter le quotidien.
Bien que "Sissi" lui ait apporté le succès, elle affirmait : «Je hais cette image de Sissi ». Pourquoi cette attitude ?
"Sissi" lui a apporté un succès phénoménal. À à peine vingt ans, Romy Schneider était la comédienne la plus connue d’Europe. Et qui dit succès dit beaucoup d’argent. Romy a eu conscience très vite qu’elle était devenue la poule aux œufs d’or des producteurs, du réalisateur, mais aussi et surtout de sa famille. Sa mère négociait les contrats afin d’avoir un rôle dans les films où sa fille jouait et son beau-père – le nouveau mari de Magda –, un homme d’affaires assez machiavélique, investissait l’argent de Romy dans ses restaurants. Romy a découvert à sa majorité que cet argent était parti en fumée et qu’elle n’en verrait jamais la couleur. Mais également que ce rôle de princesse l’enfermait dans un carcan. Alors elle a fini par dire stop au quatrième opus de la série des "Sissi" mais tout le monde l’a très mal pris. Et l’Allemagne lui en voulut toute sa vie d’être partie en France.
Pourquoi son expérience à Hollywood n’a-t-elle pas été concluante ?
Elle tourne tout de même dans Le Procès d’Orson Welles, la Columbia lui fait un pont d’or en lui faisant signer un contrat pour plusieurs films mais elle y met fin pour rentrer précipitamment en France car elle a compris que son histoire d’amour était en train de se terminer. Une passion qui aura duré environ six ans.
Sa vie affective a été très mouvementée ; elle a connu des relations houleuses. On a le sentiment qu’elle suivait toujours son cœur sans écouter sa raison…
Romy Schneider était une femme entière qui vivait intensément. Elle jouait avec son cœur et non avec sa raison, sans filtre, et elle était la même femme dans sa vie personnelle. C’est la raison pour laquelle elle nous bouleverse tant dans tous les rôles dans lesquels elle a joué, et qu’elle est souvent tombée amoureuse de ses partenaires de cinéma. Elle a effectivement aimé avec passion, Alain Delon, Daniel Biasini et son dernier compagnon Laurent Pétin.
La mort de son fils l’a anéantie. On a le sentiment qu’elle n’a jamais été vraiment heureuse…
Romy Schneider avait tout pour être heureuse : elle a connu la notoriété comme aucune autre comédienne ne la connaîtra jamais, elle était d’une beauté à couper le souffle, elle a vécu des passions magnifiques avec Alain Delon puis Daniel Biasini qui lui a offert des années de bonheur intense. Pour autant, Romy courait après le bonheur et éprouvait la peur de ne plus être désirée, de ne plus être aimée. Et puis elle connut une douleur inimaginable pour une mère, celle de perdre un enfant. La mort de David, dans un accident à l’âge de quatorze ans, l’a anéantie. Elle ne s’en est jamais relevée. Mais quelle mère peut survivre à une telle douleur ?
Quel est à votre avis le metteur en scène qui a le plus marqué sa carrière ?
C’est incontestablement Claude Sautet qui l’a révélée au public français dans des rôles dans lesquels toutes les femmes pouvaient se reconnaître. Sautet a su capter une époque, les années 70, les sentiments dans un couple. "Les Choses de la vie", "César et Rosalie" sont des chefs-d’œuvre adulés encore aujourd'hui par le public français. Ils ont tourné huit films ensemble (NDLR : Correction, ils ont tourné 5 films ensemble !) aux côtés de Michel Piccoli ou encore Yves Montand. Mais je voudrais également citer "Le Vieux Fusil" de Robert Enrico – avec Philippe Noiret – qui a su lui révéler sa profondeur d’âme à l’écran. Et enfin "La Piscine" reste le film qui lui offrit, grâce à Alain Delon, un retour triomphal en France en 1968 alors qu’elle ne tournait plus. Ce film a relancé sa carrière et elle n’a jamais été aussi belle que dans les bras d’Alain Delon.
Les raisons de sa mort à 43 ans ont-elles été élucidées selon vous ?
Non, tout simplement parce que le substitut du procureur, chargé de venir constater son décès, n’a pas souhaité demander une autopsie. Pour lui, elle devait rester un mythe. On ne connaîtra donc jamais la cause de son décès à l’âge de 43 ans. Nombreux sont ceux qui avancent des hypothèses : suicide ou arrêt du cœur. Alain Delon s’est confié à moi sur ce sujet : il donne une clé intéressante à la fin du livre.
Comme Simone Veil, sujet de votre première biographie qui a rencontré un franc succès, elle s’est prononcée pour l’avortement. Cet engagement a-t-il nui à son image ?
Romy Schneider a en effet posé en Une d’un magazine allemand en juin 1971 pour dire « J’ai avorté » comme l’avaient fait deux mois plus tôt des personnalités françaises dans un manifeste publié par Le Nouvel Observateur. Je pense qu’elle l’a fait par provocation vis-à-vis de l’Allemagne qui n’avait jamais accepté son départ en France et qui le lui fit payer, quelque part, toute sa vie. Cela n’a en rien nui à sa carrière mais n’a fait que raviver un amour-haine vis-à-vis de la presse de son pays qui l’accusera quelques mois plus tard d’être responsable du suicide de son ex-mari, un dramaturge allemand.
Pourquoi ce titre, Une longue nuit de silence ?
Souhaitant raconter le huis clos de la chambre dans laquelle Romy Schneider est morte une nuit de mai 1982, et ces quelques heures au cours desquelles des visiteurs se rendent à son chevet, de jour comme de nuit, j’ai souhaité trouver un titre à mon livre dans le répertoire de Barbara qui évoque mieux que personne la nuit comme métaphore des blessures intérieures. Je suis tombée sur ces mots dans sa chanson sur l’enfance. J’avais choisi Barbara aussi car un des maquilleurs de Romy m’a confié qu’elle écoutait cette chanteuse dans sa loge, juste avant d’entrer en scène.
Par Alexandre Najjar
BIBLIOGRAPHIE
Romy, Une longue nuit de silence de Sarah Briand, Fayard, 2019.