Source : Sud Ouest.fr - 06 août 2017
Comment sont-ils devenus artistes ? Tout l’été, "Sud Ouest Dimanche" pose la question à différentes personnalités. Après Julien Doré, Matthieu Chédid et Amélie Nothomb : Sarah Biasini
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Sarah Biasini : "Je ne voulais pas qu’on me casse les pieds avec ma mère"
Sarah Biasini est la fille de Romy Schneider. Il lui a fallu des années pour admettre qu’elle voulait être actrice. Après des débuts à la télévision, elle enchaîne les rôles au théâtre. Cette rentrée, elle s’apprête à répéter «Modi» de Laurent Seksik, avec Stéphane Guillon dans le rôle du peintre Modigliani, dont elle interprète la dernière compagne.
Sud Ouest Dimanche : Comment est née votre vocation ?
Sarah Biasini : C’est difficile de parler de vocation parce que pour moi, la vocation est quelque chose qui arrive très tôt, pour quoi on oublie tout le reste et à quoi on se consacre complètement. J’ai toujours été fascinée par les gens qui avaient su très tôt ce qu’ils allaient faire, qui avaient découvert très tôt leurs dons ou leurs moyens d’expression. C’est pourquoi j’aurais du mal à employer le mot de vocation, et si je l’employais, ce serait sous forme de vocation non assumée. Comédienne, c’est un métier magnifique bien sûr, mais j’aurais adoré être peintre, écrivain…
Sarah Biasini : "Comédienne, c’est un métier magnifique bien sûr, mais j’aurais adoré être peintre, écrivain…" |
SOD : À quel moment vous êtes-vous dit : « Je veux être comédienne ? »
SB : À 14–15 ans. J’adorais aller au cinéma. Je me rappelle être dans une salle obscure et me dire : je pourrais faire ça. Mais c’est comme un truc qui n’est pas accessible, que je ne m’autorise pas et dont je rêve en cachette. D'ailleurs, j’ai suivi des études d’histoire de l’art après avoir passé une licence d’anglais. Mon père m’a toujours emmenée dans les musées, depuis que je suis petite.
J’aurais aimé aussi être restauratrice de tableaux, mais je n’étais pas assez bonne en chimie, et je ne suis pas une grande travailleuse, j’aime beaucoup la paresse. Donc, je termine péniblement mes études et mon père me dit : ‘‘Si tu avais une baguette magique, tu voudrais faire quoi ?’’ Et je pense : "Etre comédienne". J’ai 23 ans et je me le dis enfin. Enfin, j’arrive à verbaliser un truc que j’ai pensé très fort pendant des années. Et à partir de là, je ne peux plus revenir en arrière, ni faire semblant de vouloir faire autre chose.
SOD : Vous prenez des cours ?
SB : Je ne voulais pas prendre des cours à Paris, je ne voulais pas qu’on me casse les pieds avec ma mère, je voulais pouvoir me tromper, faire des erreurs, être moi-même. Alors je m’inscris pour entrer à l’Institut Lee Strasberg, à Los Angeles, où j’ai de la famille. C’est sympa, c’est à l’américaine, on fait de la comédie, mais aussi du chant, de l’escrime, de la gymnastique. On apprend la méthode Stanislavski dont est issu l’actor's studio. C’est presque un début de psychanalyse. Fondé sur des émotions et des sensations. Donc, on développe sa mémoire. On nous répète que notre travail, c’est de chercher dans ce qu’on a vécu ce qui puisse être au plus près de la vérité du personnage. Aujourd'hui, je n’ai pas d’autre manière de trouver la vérité de mes personnages. Parce que du coup, on ne joue pas, on est.
SOD : Dans quelle mesure votre mère a pu être un modèle à ce moment-là ?
SB : Cela m’était impossible de la prendre comme modèle, surtout pas. J’aurais pu si je l’avais connue davantage, mais là, quand je la voyais à l’écran, j’avais trop de découvertes à faire avant de pouvoir regarder son travail. Je n’étais que dans l’examen de son anatomie, de sa voix, et même à présent, je me l’interdis, je crois que j’aurais trop peur de la copier ou d’essayer d’être comme elle. Déjà, quand il m’arrive de l’entendre pendant que je joue, parce que, l’accent mis à part, j’ai un timbre très similaire… Je m’en empêche, je ne peux pas… J’ai trop besoin de l’observer pour la connaître. Je ne me souviens pas de sa peau, je ne me souviens pas de son parfum. Il y a des couches de travail à faire pour moi parce qu’elle appartient à tout le monde. Tout le monde l’aime. Mais c’est ma mère. C’est la personne la plus proche de moi et en même temps…
Je n’ai que des flashs d’elle, rien de concret. Ce n’est pas comme quand on perd un parent à 14 ou 15 ans. Après, j’ai fait ma vie. Je ne voulais plus y penser. Les films, ça réveille le manque, ça réveille la douleur. C’est pourquoi je n’ai pas vu tous ses films – et je n’ai pas envie de tous les voir d’ailleurs. Parce qu’il faut que j’avance et je ne vais pas me culpabiliser de ne pas avoir vu tous ses films…
SOD : Mais vous avez eu d’autres modèles ?
SB : Oui, j’ai adoré Juliette Binoche, Isabelle Adjani. Ce sont les films surtout qui m’ont servi de modèles. Gena Rowlands, bien sûr, dans les films de Cassavetes.
SOD : Votre entourage vous a-t-il encouragée ?
SB : Oui, mon père m’avait dit bien avant que je le décide : «Tu devrais être actrice.» Et je lui avais rétorqué : «Jamais de la vie !»
SOD : Est-ce que l’on hérite d’une disposition malgré tout ?
SB : Oui, sans doute, et sans doute aussi que j’ai choisi ce métier pour rencontrer ma mère. Mais quand on décide de faire le métier de ses parents, c’est très dur. Il y a des comparaisons, forcément, c’est normal, j’avais qu’à choisir autre chose… Mais du coup, on se demande si on fait ce métier pour les bonnes raisons. Est-ce que la recherche de sa mère est une bonne raison ?
SOD : Quelle qualité vous a été essentielle ?
SB : L’honnêteté. Je suis honnête. Je ne me la joue pas, je suis lucide, aussi, j’aime observer, j’aime analyser, je sais observer. Je regarde qui j’ai en face de moi et j’ai de l’instinct. Cela ne m’empêche pas d’être mon pire ennemi.
SOD : Êtes-vous à la hauteur de la petite fille que vous étiez ?
SB : Oui, je suis à la hauteur de mes rêves d’enfant. Mais pas à la hauteur de mes rêves d’adulte. (Sourire.)
Par Sophie Avon
En quelques dates :
- 1977 - Née à Gassin (Var)
- 2002 - Institut Lee-Strasberg, à Los Angeles
- 2005 - «Pieds nus dans le parc» de Neil Simon
- 2011 - «Lettre d’une inconnue» de Stefan Zweig
- 2014 - «Bash : Latter-Day Plays» de Neil Labute
- 2017 - «Un fil à la patte» de Georges Feydeau
- 2017 - «Modi»
Je n'avais pas eu la chance de lire cet article... Merci beaucoup . Sarah est une excellente comédienne.. On ne la voit hélas pas assez souvent.
Cordialement.
Rédigé par : Françoise | 19 septembre 2017 à 11h32