Source : Fémina.ch - 02 novembre 2014
Pétrie de fragilité, la fille de Romy Schneider a vaincu sa peur de lui être comparée. Et a fait du théâtre sa seconde maison. Elle est à l’affiche de «La tempête» de Shakespeare, à L’Octogone de Pully, le 21 novembre 2014, à 20 h 30.
«Laissez-moi garder quelques souvenirs rien que pour moi ! Je ne veux plus parler de mon enfance. On me la rappelle sans cesse...» La conversation à peine amorcée, Sarah Biasini se contracte au bout du fil. La fille de l’inoubliable Romy Schneider se rebelle devant l’intrusion. Qui oserait la blâmer ? «J’avais 3 ans lorsque David mon frère de 14 ans a trouvé la mort et 4 ans et demi quand ma mère est décédée, je n’ai que des flashs, des impressions qui s’estompent.» Sur la défensive, la jeune femme respire fort, soupire… On ne l’entend plus. Silence sur la ligne. A-t-elle raccroché ? «Non, j’irai jusqu’au bout de cette interview !» reprend-elle avec véhémence. «Mais je n’ai pas envie de parler de ça. Tout a été trop dit, trop raconté. Ne me prenez plus rien ! J’en ai assez souffert.»
Sarah Biasini est franche, spontanée, elle parle comme elle vit. Cela a l’avantage de poser le dialogue, même s’il est tendu, douloureux. «Oui, je pense tenir ce trait de caractère de ma mère. C’était une passionnée de la vie, des gens et elle avait un désir d’absolu dans tout ce qu’elle entreprenait. Alors j’en ai assez qu’on la décrive comme une femme malheureuse et abandonnée. Ma mère était tout le contraire. Elle a juste vécu une vie de femme. Avec ses joies et ses douleurs terribles. Mais aussi ses bons moments»… Et Sarah de laisser ses «flashs», comme elle dit, remonter de sa mémoire à ses lèvres. «Je me souviens de ces déjeuners du dimanche dans la maison de mes grands-parents paternels, à Saint-Germain-en-Laye, dans les Yvelines. Il y avait un grand jardin. On y allait tous les week-ends avec mon frère, mon père et ma mère, et on s’attablait autour du gigot. Mes parents avaient deux bergers allemands. Plus tard, j’ai eu un chien moi aussi. Un petit bâtard, «Goldie», je l’adorais.»
De ses grands-parents, qui après la mort de sa mère l’ont élevée avec son père, Daniel Biasini, elle raconte : «Ils m’ont abreuvée de souvenirs ! J’avais peur qu’ils se mettent à pleurer, mais ils arrivaient à l’évoquer sans larme. J’admire leur force morale et la délicatesse qu’ils avaient pour m’en parler. Je suis toujours très proche d’eux. Ils l’ont côtoyée pendant une dizaine d’années, l’ont vue rire et bien manger, jouer aux cartes ou regarder un Grand prix de formule 1 après le déjeuner dominical. Elle a été heureuse.»
Sa mère, elle s’en souvient, avait deux passions : son métier et sa famille. «Interpréter des rôles, faire passer des émotions, puis rentrer chez elle et s’occuper de nous. C’était ça, sa vie... Moi aussi, j’aimerais avoir des enfants, enchaîne la comédienne. Je me sens prête. Réussir ma vie privée est la chose la plus importante à mes yeux. Je serais tout à fait capable de mettre ma carrière entre parenthèses pour m’occuper d’eux !» On entrevoit comme un accent d’enthousiasme dans sa voix. Mais sur l’homme qui partage sa vie, Sarah Biasini ne dira rien. Elle est amoureuse, c’est tout. Et admet au passage avoir suivi une analyse pendant trois ans «pour ne pas transmettre mes névroses, pour m’en débarrasser». Flottant entre lumière et abîme, elle est prête à se réjouir du futur, mais en domptant ses souterraines inquiétudes. «Comme ma mère, je suis quelqu’un d’enflammé, d’excessif, d’hypersensible. Je suis exigeante vis-à-vis de moi et des autres. Dans la vie, je n’aime que les sensations fortes».
Très complice avec son grand frère
La petite Sarah a 1 an lorsque les relations entre Romy et Daniel Biasini se dégradent. Ils divorcent début 1981. La fillette vit à Paris avec sa maman et son frère David. Jusqu’à ce terrible dimanche de juillet, cinq mois plus tard, où David meurt de façon tragique (empalé sur le portail des grands-parents, ndlr). «Vous croyez qu’on dit à une enfant de 4 ans et demi que son frère qu’elle adorait est mort ? Bien sûr que non ! A cet âge on ne sait pas ce que signifie la mort. On m’a dit qu’il était parti en vacances avec des copains. Ma mère a voulu me ménager. Mais moi, je me rendais compte de son absence qui se prolongeait. Un jour, j’ai pris le téléphone et j’ai crié : «Bon, David, ça suffit les copains, tu rentres maintenant !» Et la jeune femme d’enchaîner : «Je me souviens de ma chambre, dans la maison de mes grands-parents. Il n’y avait pas de posters, je n’avais pas non plus de doudou. Mais je lisais beaucoup. «Les malheurs de Sophie», «Les contes de la rue Broca», les contes de Perrault : tout à haute voix ! J’avais besoin de dire les choses, de jouer des personnages et de mettre le ton». Une adolescente solitaire, alors ? «Pas du tout ! J’avais beaucoup d’amis et j’étais une fille très joyeuse. Avec mes copains, on écoutait Michael Jackson, dont j’étais fan, Whitney Houston, Eric Clapton et Elton John.»
A 8 ou 9 ans, la petite fille collectionne les pubs de marque Absolut Vodka – «je trouvais le graphisme intéressant». A la même époque, elle se met au piano. «Je n’ai pas croché aux cours, mais l’idée de créer m’intéressait. Je me rêvais musicienne, sculptrice, architecte, peintre ! J’ai aussi fait de la danse classique. Je m’intéressais à tout ce qui ne me mettrait pas en concurrence avec ma mère. Il ne fallait pas me parler du métier d’actrice ! Il m’arrivait aussi de questionner mon père sur son métier de reporter, avant ma naissance, quand il allait au Liban, au Paraguay ou en Angola. Au fil de ses récits, je ressentais les passions qu’il avait pu vivre, les risques qu’il avait courus…» De cette enfant qu’elle a été, entre 5 et 15 ans, Sarah dit qu’elle était «plutôt épanouie». «J’ai vu plusieurs films de ma mère, dont «César et Rosalie», qui est mon préféré car elle y est heureuse. Avec mes grands-parents, j’adorais aussi regarder les comédies de Louis de Funès...» Au bout du téléphone, la jeune femme se détend. «Ce n’est pas au cours des premières années qu’on souffre le plus de l’absence, confie-t-elle. J’étais très entourée par mon père, qui m’a apporté tout l’amour du monde et dont je tiens un certain esprit de dérision, peut-être une part de cynisme. Et puis j’ai créé une relation mère-fille avec ma grand-mère. C’est plus tard que vient le manque d’une relation plus adulte entre deux femmes…» Petite, elle s’est tôt rendu compte que sa mère était un personnage public. «Après sa disparition, je me souviens des paparazzis qui me guettaient quand mon père m’emmenait à l’école.» Pour qu’on laisse sa fille grandir tranquille, Daniel Biasini accepte de faire une fois par an un article pour «Paris Match». «On me voyait m’exercer au tir à l’arc, nager... mais tout était mis en scène pour rassurer les gens. Moi je n’étais pas très sportive, je m’intéressais à la peinture.» Après son bac, elle entame des études en histoire de l’art. «Je voulais devenir restauratrice de tableaux. Aujourd’hui, j’aime toujours la poésie et les couleurs de Klimt, le côté obscur du corps humain vu par Egon Schiele ou les préraphaélites. Mon père me répétait : «Fais ce dont tu as vraiment envie et sois heureuse. Laisse-toi rêver.» C’est en parlant avec lui, à 24 ans, que je me suis sentie à un carrefour. J’avais lutté toute mon adolescence contre l’envie d’être actrice. Mais c’était là, en moi… Alors j’ai basculé ! Je suis partie deux ans à Los Angeles, chez mon oncle. J’ai pris des cours à l’Institut Lee Strasberg et j’étais auditrice à l’Actor’s Studio. Là-bas, je pouvais dire que ma mère était actrice sans susciter la curiosité.»
Au bout d’une heure de conversation, on sent le jeune femme esquintée. Quel est, aujourd’hui, son but dans la vie? «Transformer tout ce que j’ai vécu, le rendre utile. Que cela devienne une force plutôt qu’une faiblesse. Je rêve d’une vie pleine d’amour et de rencontres...»
Curriculum vitae :
- 1977 - Sa naissance le 21 juillet à Gassin, près de Saint-Tropez.
- 1981 - Décès accidentel de son frère David, à 14 ans, le 5 juillet.
- 1982 - Le 29 mai, à Paris, mort de sa mère Romy Schneider, à 43 ans.
- 2004 - Son premier rôle dans «Julie, chevalier de Maupin», (TF1) à 27 ans.
Questions d’enfance :
Une manie : Toute petite, je ne suçais pas mon pouce, mais toujours deux doigts, l’index et le majeur.
Un jouet : Je n’en avais pas un en particulier qui me tenait à cœur. Rien ne me paressait indispensable. Mais j’aimais jouer avec mes Barbie.
Un dessert enchanteur : Sans hésitation : les profiteroles au chocolat ! J’adorais aller avec mon père dans un restaurant qui les faisait divinement. Autrement, j’ai toujours un gros faible pour le riz au lait de ma grand-maman, dans les Yvelines.
Un légume détesté : Les endives cuites, parce qu’elles sont trop amères.
Un plat adoré : Les pâtes au beurre et au ketchup ! C’est simple et tellement bon. Mes grands-parents m’en préparaient souvent pour me faire plaisir.
La phrase que l’on me répétait et qui m’agaçait : Le «Tiens-toi droite !» rabâché aussi bien par mon père que par mes grands-parents.
Un vêtement dont j’étais fière : Un sweater noir avec l’inscription «Thriller», sixième album culte de Michael Jackson. Je devais avoir 8 ou 9 ans et je le mettais tout le temps.
L’héroïne qui m’a fait rêver : Wonder Woman, la superhéroïne de la série américaine éponyme. Elle était interprétée par Linda Carter en tenue très sexy, avec un diadème sur la tête. J’aimais bien aussi la série «Drôles de dames», avec Farrah Fawcett. Ce qui me plaisait, c’était les histoires marrantes et aventureuses.
Un souvenir qui l’attendrit encore : On me l’a raconté, car je dormais. J’avais 8 ans et j’étais en vacances près de Rome. Il paraît que Marcello Mastroianni est venu me caresser les cheveux et déposer un baiser sur ma joue… Aujourd’hui encore, une caresse sur la joue signifie pour moi un geste d’amour.
Les films de sa mère qu’elle a regardés enfant : J’ai vu tous les «Sissi». Puis je les ai un peu moins regardés. C’est un plaisir qui peut vite se transformer en mélancolie.