Source : BSC News.fr - 10 mars 2014
Les trois pièces de Neil LaBute présentées au Théâtre 14 pourraient tout simplement s'intituler "scènes de la violence ordinaire". Dans un décor succinct habillé d'un rideau couleur sang, elles nous font successivement rencontrer un homme d'affaires infanticide, une mère meurtrière et un jeune couple responsable d'un crime homophobe. Commis par ambition, par vengeance ou par excès de foi chrétienne, ces actes orduriers ont tous un point commun : ils sont, jusqu’à présent, demeurés secrets et impunis par la loi.
Ces assassins de l'ombre aux visages innocents ont pourtant décidé de se confier à nous et d'expliquer leurs actes: quel que soit leur âge, leur sexe ou leur milieu, ils nous présentent les faits avec une froideur clinique et une évidence désarmante. On partage ainsi préalablement les petits tracas d'un employé menacé par le chômage, l’abandon d'une mère-adolescente par son amant ou l’exaltation d'un jeune groupe de mormons en visite à New York. Derrière ces banalités racontées sur un ton désinvolte, se dessinent progressivement les pulsions et les ressentiments de chacun de ces individus. Au moment où l’on s’y attend le moins, leur animosité prend le dessus et ils tuent leurs victimes, de sang froid... La conscience du crime est là, la conséquence aussi, mais aucune culpabilité ne semble ressortir de leurs discours. Pourtant lorsqu'on les écoute bien, ces êtres sont brisés, désillusionnés. Derrière leurs propos insouciants et leur faux sourire, on devine qu’ils sont détruits intérieurement mais qu’aucune solution n’est possible : s’ils avouent, leurs proches seront anéantis ; s’ils se taisent, ils devront subir ce tourment et continuer à vivre en attendant le seul jugement possible : le Jugement Dernier.
La mise en scène de ces trois tableaux meurtriers repose entièrement sur le texte incisif de Neil LaBute. Aucune trace de décor, ni de costumes pour souligner cette prose caustique relativement peu connue du public français. Cet auteur américain possède pourtant une intensité narrative impressionnante ainsi qu’un regard extralucide sur notre société. Ses œuvres parlent simplement du bien et du mal mais elles le font avec un détachement et une indifférence excessive qui nous provoquent et nous déstabilisent. On a envie de prendre la parole, d’accuser ses protagonistes et de crier haut et fort notre indignation ! Mais l’entreprise de Neil LaBute ne s’arrête pas là. En arrière-plan de cette thématique de meurtres en série, elle possède plusieurs degrés de lecture et nous pousse à la réflexion: son inclination envers la religion et son aspect salvateur est évidente. Ses textes parlent non seulement du Seigneur mais on y croise des mormons, des pasteurs ainsi que de fréquentes allusions aux Saintes Ecritures. Parallèlement à cette portée religieuse transparait également une dimension mythologique: à travers les chroniques de BASH, on a l'impression de voir revivre Médée sacrifiant ses enfants ou d’assister à une variante contemporaine du drame d'Iphigénie. Ce qu’il y a cependant de plus surprenant dans ces tragédies du XXIe siècle, c’est la montée crescendo de l’annonce du crime. On écoute calmement l’histoire et soudain, sans qu'on s'y attende, une vérité monstrueuse s’en échappe et nous saute au visage.
Cruellement.
C’est avec talent et flegme que les deux acteurs mis en scène par Gilbert Pascal donnent vie à ces criminels ordinaires. Jonglant élégamment avec la langue directe et franche de l’auteur, ils sont à l’aise avec leurs personnages et font preuve d’une grande fluidité narrative. Derrière ses yeux lumineux et son sourire mordant, Sarah Biasini passe avec maitrise de l’extase amoureuse à la description placide de son matricide. De son côté, Benoît Solès parvient habilement à composer des êtres bipolaires : tandis que ses yeux clairs irradient d’insouciance et de pureté, son visage anguleux et ses lèvres assassines font preuve d’un lancinant cynisme. Prenant le public à témoin, elles nous murmurent la méchanceté des hommes et la perversion de leurs actes. Car perversion il y a… à n’en pas douter.
"Bash" ? Une œuvre «Coup de poing» comme son nom l’indique…
Par Florence Gopikian Yérémian
BASH
Une pièce de Neil LaBute
Adaptation Pierre Laville
Mise en scène Gilbert Pascal
Avec Sarah Biasini et Benoît Solès
Au Théâtre 14
20, avenue Marc Sanglier – Paris 14e
M° Porte de Vanves – Bus 58 et 95 – Parking face au théâtre
Du 4 mars au 26 avril 2014
Du mardi au samedi à 19h
Réservation : 01.45.45.49.77
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