Source : Paperblog.fr - 09 mars 2014
Critique de "Bash", de Neil LaBute, texte français de Pierre Laville et mise en scène de Gilbert Pascal. Avec Sarah Biasini et Benoît Solès, vu au Théâtre 14 le 5 mars 2014, à 19h.
Ce spectacle se compose de trois scènes sans lien entre elles. Les deux premières sont des monologues ; dans la dernière, les deux acteurs sont réunis. Dans les trois cas, il s’agit d’évoquer des meurtres, commis dans un cadre absolument banal, par des personnages ordinaires que rien ne destinait a priori à une telle violence. La «banalité du mal» en quelque sorte.
Je préfère laisser le spectateur découvrir l’histoire qui sous-tend chacun de ces passages à l’acte, car une bonne partie de l’intérêt de ces textes repose sur la recomposition de l’histoire que doit faire le spectateur, à partir d’éléments qui lui sont fournis de manière non-chronologique –mais sans «prise de tête» pour autant. Le spectateur doit surtout interpréter ces actes : les personnages qui les avouent ne donnent pas toutes les clés, parce que, vu la pauvreté de leur univers moral, ils ne les possèdent pas, ou parce qu’ils ne veulent pas s’avouer à eux-mêmes les ressorts qui les ont fait agir.
Je ne peux pas dire que j’aie beaucoup aimé ces textes, pour deux raisons. L’une tient justement à la pauvreté morale et intellectuelle des personnages, qui limite l’empathie que l’on pourrait avoir à leur égard : il paraît absolument impossible de s’imaginer à leur place, ils nous glacent ou nous dégoûtent. Mais je suppose que c’est l’effet qu’a voulu produire Neil LaBute. La seconde tient à l’altérité de l’univers dans lequel ils gravitent : la société américaine la plus puritaine, la plus éloignée de nos moeurs : deux scènes se situent explicitement chez les Mormons. À mes yeux, quand l’univers de référence est trop spécifique, l’universalité du propos trouve ses limites, et il faudrait un auteur d’exception pour la faire ressortir.
Comment atteindre l’universel par le particulier ? c’est l’éternel problème. Ici, malgré l’adaptation habile de Pierre Laville, je ne me suis pas sentie concernée. Gilbert Pascal, le metteur en scène, veut que l’on se pose la question «Et, moi, qu’aurais-je fait ?» : cette question ne se pose pas, tant ces actes paraissent incompréhensibles et gratuits.
La mise en scène est très dépouillée, dans une dramaturgie de la confession. Gilbert Pascal a voulu, explique-t-il, que toute l’attention se porte «sur Sarah et Benoît». De ce point de vue, le spectacle est réussi. Les acteurs, qui portent tout, sont très investis et à la hauteur. Dans la dernière scène, la plus vivante et animée des trois, ils jouent dans un accord parfait, même s’ils sont encore un peu tendus (j’ai assisté à la deuxième représentation). C’était la première fois que je voyais Sarah Biasini. Je suppose que le fait qu’elle soit la fille de Romy Schneider va attirer le public, mais elle n’a pas besoin de cela : c’est une très bonne comédienne, lumineuse, avec un visage extrêmement mobile et expressif, qui peut passer de la beauté à la laideur en un clin d’œil. Benoît Solès est encore plus impressionnant, composant deux personnages veules et terrifiants, et en même temps pathétiques. Dans la dernière scène, il nous tient réellement en haleine, et arrive à faire passer ce poids de la «pression sociale» qui peut pousser aux pires atrocités tout en suggérant des pulsions plus sourdes, des sentiments plus diffus.
Le spectacle vaut donc le déplacement pour ce duo d’acteurs.
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