Source : Le blog de Jean-Claude Grosse - 05 août 2013
Rock ‘n Love
De Caroline DuffauAu Rouge Gorge
Avec Sarah Biasini, Emmanuelle Rivière, Stephan Guérin-Tillié, Magali Rosenzweig
Mise en scène Caroline Duffau
Présentation dans le livre du Off
C’est une histoire de tempo.
L’amour c’est comme les pieds qui battent la mesure sur les premières notes d’une chanson… Ça nous prend, comme ça, malgré nous.
Nina a le cœur qui bat vite, très vite, pour Jean.
Et si Jean peut dire «je t’aime» à Nina c’est parce que ça fait longtemps qu’il ne le dit plus à Florence. Et alors on fait quoi ? «Tu vis» dit Anna qui a choisi de rire de tout et surtout de ses échecs.
C’est l’histoire de gens qui s’aiment, qui se sont aimés, qui aimeront de nouveau. Leurs sentiments battent la mesure et donnent le rythme… Le plus dur, c’est de s’accorder.
J’ai vu ce spectacle, avec un ami, le jour de sa dernière, à 12 h 30, le 31 juillet au Rouge Gorge. Je ne connaissais pas ce lieu. Il s’agit de l’ancienne imprimerie Aubanel, vieille d’un siècle, un lieu magnifique avec ses balcons mezzanine, sa verrière, sa structure en fer et ses parois creusées dans la roche, tout cela fort bien utilisé pour parler du sentiment amoureux.
Comme souvent, je m’amuse au moment de prendre mon billet. À celle que je crois être la chargée de quelque chose, je dis que le spectacle m'a été présenté comme un spectacle de danse inspiré du rock and roll; elle me dit : «mais non, qui vous a dit ça ?» «une belle jeune fille»; «c'est un spectacle sur le sentiment amoureux et les sentiments c'est du rock»; «ah bon !» et je prends mon billet ; à la sortie, la chargée de ... se révèle être l'auteur et le metteur en scène au féminin; ce fut une bonne entrée en matière. Caroline Duffau m’a communiqué le texte pour que je puisse travailler sur pièce.
C’est un spectacle en très courtes séquences, un peu à la façon des clips. On ne s’attarde pas, ça va très vite. On entre et sort beaucoup, on est à la face, sur le plateau, à jardin, à cour, dans les coulisses, sur les mezzanines, un vrai tourbillon au rythme des pulsations du cœur amoureux, du cœur déçu, du cœur haineux. Quatre personnages, trois femmes, Nina, qui va du bonheur absolu au renoncement pour Jean, Anna qui a tout raté, qui a des vérités définitives sur les hommes, sur les relations mais aussi pleine de bon sens, accompagnant Nina dans son chemin de fatalité, une histoire n’en est une que quand elle a une fin, voilà on a eu notre histoire, Jean, l’homme qui ne veut renoncer à rien, ni à sa femme Florence ni à son fils Hugo ni à Nina, la plus belle chose qui lui soit arrivée ni aux autres non encore entrées dans le champ de ses pulsions qu’il veut assumer, Florence, l’aimée d’hier, l’épouse et la mère qui ne comprend pas ce qui s’est passé, lui non plus mais qui n’est pas prête à le quitter.
Il s’agit d’histoires banales que les protagonistes analysent plutôt bien, capables de faire le point sur eux, de prendre ce qui peut être pris, le bonheur du jour même si c’est sans issue ou au prix de la souffrance. Le coupable des échecs c’est le quotidien, l’usure du sentiment amoureux pour une histoire de chaussettes n’arrivant jamais dans le panier à linge.
Si je pousse un peu l’analyse, il semble que le personnage pivot soit Jean, le seul homme, auquel trois femmes se confrontent, l’homme voulant tout assumer, les femmes se déterminant par rapport à lui. Voilà qui surprend, cette soumission au mâle. Jean dit des choses sublimes à Nina et c’est pour ça qu’elle l’aime, la femme a besoin de mots, l’homme a besoin d’assouvir des pulsions. Référence est faite à Madame Bovary, à Madame de Rênal mais sans entrer dans les détails.
Dommage. Les échecs d’aujourd’hui ont la même racine que ceux d’hier. Si ça rate entre femmes et hommes c’est que les attentes ne sont pas les mêmes. Sexe ou sentiment semble être ce qui sépare plus que le quotidien. Si le sentiment s’étiole, c’est qu’il n’y a plus les prévenances du garçon capable d’anticiper, de faire plaisir, garçon qu’il faut savoir faire attendre dit Anna n’allant pas plus loin dans ce qui est une véritable éducation à l’amour pour qu’il dure et dont les cours d’amour courtois nous ont donné les bases. Si le désir débande, c’est de même qu’il n’y a pas l’aiguillon, c’est-à-dire le manque. Leur capacité d’analyse reste commune, oublieuse de la poésie courtoise et de la psychanalyse. Les liens proposés dans cet article permettent d'aller plus loin pour ceux qui le souhaitent F ou H.
Il m’a fallu entendre un remarquable exposé interactif sur qu’est-ce qu’être une femme avec Marie-Paule Candillier et Marie-Claude Pezron, le 10 mars 2013 à Toulon, pour clarifier certaines choses quant à la jouissance de certaines femmes, (l'épousée par exemple) ce que Lacan appelle la jouissance supplémentaire, l’Autre jouissance. Disons le autrement, Nina, Anna, Florence se réfèrent au mâle parce qu’elles se sont construites sur l’absence de pénis ou de phallus comme toutes les petites filles mais certaines femmes par leur capacité inconsciente à être du côté du réel et non du fantasme (de castration) ont accès à l’infini ou l’indéfini comme on le voit dans "La femme au miroir" d’Eric-Emmanuel Schmitt.
Cet exposé m'avait amené à poser une question qui n'a pas été entendue.
Amour platonique, amour courtois, pur amour, amour sublimé sont des amours où les mots, ce qu'attend la femme, importent plus que l'acte sexuel. Ce sont des formes d'amour qui entendent sans doute cet appel féminin de l'infini et qui peut-être sont plus gratifiants pour certaines femmes que la sexualité de passage et de passade comme celle d'Anny, la star du roman de Schmitt. Autrement dit, le culte sexe, sea and sun n'est peut-être pas ce qu'il y a de mieux pour certaines femmes (même Anny renonce à la défonce en voulant incarner à l'écran Anne de Bruges, l'extatique). La liberté sexuelle, la libération sexuelle ne favorisent peut-être pas l'accès à la jouissance supplémentaire. L'extase n'est pas à la portée de toutes. Quant aux mâles, combien voudront apprendre l’art de différer et de sublimer la pulsion ?
Ces considérations sur le fond montrent que même un spectacle réaliste (poétique aussi) sur la mécanique du sentiment amoureux peut amener à aller au-delà de ce qui nous est raconté.
Je crois qu’on éviterait beaucoup de souffrances dans le monde (sans doute plus que ce que les crises et guerres engendrent) par une éducation sentimentale qui ne soit pas à l’eau de rose pour les filles et qui ne soit pas pure vanité de coq pour les garçons. Apprendre à différer, apprendre à sublimer c’est dur et jouissif et ça fait durer l’éphémère pulsion, ça transforme le désir en mots, en caresses, en regards, en attentions parce qu’il n’y a plus d’attente mais dérivation. Il faut ruser avec l’inconscient qui se joue de nous, nous joue aux dés désespérés des mots, comme me l’a si bien dit mon amie Emmanuelle Arsan qui avec ses Emmanuelle et autres livres avait tout compris. Anna aurait presque raison en proposant de choisir des vieux mais rares sont les vrais amants, pas libidineux, amoureux de l’Amour qui aujourd’hui a ton Visage.
Discutant après le spectacle avec l’auteur, ayant trouvé le spectacle accrocheur dans ce lieu magique, je lui demande comment elle se retrouve là. La réponse ne m’étonne pas trop car je l’ai déjà entendu deux fois auparavant pour deux autres spectacles : «avec mon argent.» «Vous êtes donc riche ?» «Ma mère m’a aidé.» Ainsi donc en Avignon, la passion amène des gens à investir de l’argent personnel sur une création. Les interprètes sont des amis de l’auteur : ils sont excellents.
Longue vie à Rock’n Love !
Jean-Claude Grosse
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