Source : L'illustré.ch - 06 juin 2012
On les appelait «les fiancés de l’Europe». Romy Schneider, disparue il y a trente ans, et Alain Delon ont vécu une passion qui est entrée dans la légende. C’est au bord du lac de Lugano que les deux acteurs se sont fiancés, en 1959, devant la presse internationale. Retour sur un destin amoureux hors du commun.
Cimetière de Boissy-Sans-Avoir, près de Paris, 29 mai 2012. Un homme qui cache son émotion derrière des lunettes de soleil, face à la tombe de Romy Schneider. Il se penche, embrasse la photo de la star décédée il y a tout juste trente ans, à l’âge de 43 ans. Terrassée par le chagrin, l’alcool et les tranquillisants.
C’est Alain Delon, géant du grand écran, bien sûr, mais un être humain comme les autres face à la mort de l’aimée: démuni et inconsolable. Romy et Delon. Une relation passionnée, passionnante, qui n’a duré officiellement que quatre ans, huit mois et vingt-quatre jours. Mais cet amour impossible est entré depuis dans la légende.
L’image est émouvante, le lion de 77 ans à la crinière grise, seul, comme figé soudain dans ses souvenirs. Il y a trente ans, la même posture sûrement, mais personne pour prendre la photo. Alain avait refusé d’assister aux obsèques de Romy, il n’avait pas envie d’offrir en pâture aux paparazzis embusqués l’image du samouraï qui pleure. Il se rendra le jour suivant au cimetière.
L’acteur, en couple à l’époque avec Mireille Darc, était pourtant arrivé parmi les premiers au domicile parisien de Romy Schneider dès l’annonce de sa mort. Proche parmi les proches, il a veillé l’actrice jusqu’au bout de la nuit, lui écrivant une dernière lettre expliquant sa défection: «Pardonne-moi, j’irai te voir le lendemain de l’enterrement, et nous serons seuls. Ich liebe dich, je t’aime ma Pupele.» On dit qu’il garde toujours dans son portefeuille trois photos de Romy prises cette nuit-là.
Les fiançailles de Sissi
«J’aurais dû l’épouser», a-t-il avoué un jour de 2009 à un journaliste. S’empressant d’ajouter qu’il n’aurait pas supporté de voir sa Romy vieillir. S’il avait passé à l’acte, ironie du destin, cette fabuleuse actrice serait devenue citoyenne de Chêne-Bougeries (GE), le 23 septembre 1999, date à laquelle Alain Delon a obtenu son passeport rouge à croix blanche.
La Suisse, parlons-en, a présidé aux destinées de ce couple hors du commun. C’est au bord du lac de Lugano que les fiançailles officielles de Mlle Romy Schneider et de M. Alain Delon ont été célébrées, le 22 mars 1959, devant un parterre de journalistes. Magda, la mère de Romy, et Hans, son beau-père, possédaient une villa à Morcote, bordée de magnolias et de lauriers, où la jeune actrice aimait passer ses vacances. A l’époque, elle n’a que 20 ans mais est déjà une star planétaire grâce à la trilogie des Sissi. Delon, de trois ans son aîné, n’est encore qu’un jeune acteur prometteur, choisi d’ailleurs par la jeune Autrichienne sur photo pour incarner son partenaire dans le film Christine.
A leur première rencontre, sur le tarmac de l’aéroport d’Orly, le 10 avril 1958, elle le trouve trop beau, trop jeune et trop arrogant. Lui voit en elle une «oie blanche», une petite bourgeoise trop gâtée, caste qu’il déteste par-dessus tout. Un trajet en train (encore une spécialité helvétique) les fera dérailler… sentimentalement. Il est ému par son rire et sa beauté, elle craque pour ce côté mauvais garçon, cette fureur de vivre à la James Dean. «Tu seras malheureuse avec lui», prédit Magda. Romy n’en fait qu’à sa tête et déménage à Paris.
Ce serait pour éviter le scandale d’une union libre que madame mère se met dans la tête d’organiser des fiançailles officielles. A l’insu de sa fille. La jeune femme est même étonnée que Delon se soit laissé si facilement prendre au piège. Etonnant, en effet, avec le recul, cette photo où l’on voit le héros du Guépard, assis sur une balancelle avec sa future belle-mère et sa fiancée. Il lui offre, ce jour-là, trois anneaux d’or rouge, que Romy portera jusqu’à leur rupture. Mais Delon ne lui passera jamais la bague au doigt. Les deux vedettes vont rester pour l’éternité «les fiancés de l’Europe».
«Personne ne peut se renier, Alain ne le pouvait pas, je ne le pouvais pas non plus. C’est pourquoi, dès le début de nos rapports, la fin était inévitable», confiait Romy dans une des rares interviews évoquant sa vie privée.
Le V de Rembrandt
Elle lui apprendra les bonnes manières et Mozart. Il lui fait découvrir les nuits à Saint-Germain- des-Prés, Rome, Visconti. La carrière de Delon s’envole, celle de Pupele (petite poupée) s’étiole. L’Allemagne ne lui pardonne pas cette histoire d’amour avec un Français réputé volage. Michael Jurgs, ancien rédacteur en chef de Stern: «Les Allemands la considéraient comme une traître à la patrie. A Berlin, on la traitait de putain!»
C’est justement dans Dommage qu’elle soit une p…, la pièce de théâtre mise en scène par Visconti que le couple va s’imposer à Paris. Ils font la première couverture de Paris Match en 1961. Ils sont beaux, jeunes, ambitieux. «Ils ont entre les sourcils, s’exclamait le grand metteur en scène italien, le même V qui se fronce de colère, de peur de la vie et d’angoisse. Le V de Rembrandt, visible sur ses autoportraits!» Le V de victoire, mais aussi de vanité et violence. Chez les Delon-Schneider, les noms d’oiseau volent plus souvent qu’à leur tour.
Annie Girardot évoquait des engueulades mémorables. «Romy, qui se libérait à peine du joug maternel, n’admettait pas qu’on lui dicte sa conduite. Elle se révoltait et frappait de grands coups sur la table. Tout d’un coup, la Chleuh qui dormait en elle se déchaînait (…) et envoyait une bordée d’injures en allemand sur Alain qui sortait de la pièce en gueulant!» Delon s’enfuira pour de bon en 1963. Entretemps, il le lui promet : «Si on ne se dispute pas pendant trois mois, je t’épouse !» Ce qui n’empêchait pas Romy de le surnommer en public «mon mari».
Elle tourne à Hollywood lorsqu’il lui fait remettre une lettre de quinze pages. Le séducteur patenté a croisé le chemin de la belle Nathalie. Il la quitte, écrit-il, mais lui abandonne son «cœur pour toujours».
Les ex-amants terribles ne se reverront plus avant La piscine, en 1968. A cette époque, il est devenu la star de cinéma que l’on sait, tandis que la carrière de Romy, réfugiée à Berlin avec son mari et son fils, connaît un nouveau déclin. Renversement de situation. C’est Delon qui, vingt ans après avoir été choisi par Romy, va l’imposer à son tour dans ce chassé-croisé amoureux où l’on ne sait pas très bien si les scènes d’amour entre les deux acteurs sont du domaine de la fiction ou de la réalité. En 1981, un sondage de Paris Match fait d’eux les stars de l’année.
«Il a été l’homme déterminant de ma vie», reconnaîtrat- elle. Lui dira que leur sentiment a évolué en «autre chose, de plus fort, plus puissant, plus que les mots ne peuvent le dire».
Après la mort de Romy, Alain Delon a longtemps refusé d’évoquer son souvenir en public. Pudeur du grand fauve blessé, envie de la garder tout entière comme dernier emblème figé de sa jeunesse. En 2007, pourtant, alors qu’il remet le prix d’interprétation féminine sur la scène du Festival de Cannes, il demande spontanément au public vingt-cinq secondes d’applaudissements pour «une femme exceptionnelle, une actrice immense. Sans elle, je ne serais pas l’ombre de l’homme et de l’acteur que je suis.»
Par Patrick Baumann