Source : ParisMatch.com - 26 avril 2012
Il y a trente ans, l’actrice abandonnaitla vie. Un livre hommage retrace sa carrière et des photos, parfois inédites, rendent plus cruelle son absence.
Par Arnaud Bizot - Paris Match
C’est un homme éperdu de tristesse qui, rue Barbet-de-Jouy, marche à pas lents. Hagard, Michel Piccoli pousse la porte de l’immeuble où, hier matin, un samedi de Pentecôte, le cœur de son amie a cessé de battre, à l’âge de 43 ans. Blême, tenant 43 roses rouges à la main, Jean-Claude Brialy franchit à son tour le hall d’entrée. Alain Delon s’est déjà recueilli devant le cercueil ouvert. Romy porte une longue tunique noir et rouge, au corsage brodé de fleurs. Son visage est apaisé, comme si «une main de rêve avait effacé toutes les crispations et les angoisses», dira l’acteur. Le matin du 29 mai 1982, treize ans après la sortie de «La piscine», pompiers, docteurs, médecin légiste se sont relayés dans sa chambre. Convaincu qu’il s’agit d’un arrêt cardiaque, et «soucieux de ne pas envoyer Sissi à l’institut médico-légal», le procureur n’ordonne pas d’autopsie. Sarah Biasini, la fille de l’actrice, 4 ans, se souvient de cette agitation dont elle a retenu, avec son imagination d’enfant, «l’image d’une énorme araignée» penchée sur sa mère.
Les dernières années, comme l’araignée, la vie de Romy Schneider ne tenait qu’à un fil : son fils David. «Le seul être qui lui donnait la force de continuer», dit une amie. Les hommes ? Elle a poursuivi l’ombre de ceux qui lui parlaient d’amour, guettant toujours la trahison. Le cinéma ? Jouer la bouleverse et l’épuise. «Je ne peux plus supporter le trac et l’angoisse, déclare-t-elle pendant le tournage du “Vieux fusil”. L’appel du vide, vous savez ce que c’est ? Comment peut-on vivre en perpétuel état de vertige ? » Son engagement est total. «On lui demande pour une scène un rien de sensibilité, elle offre tout le désespoir du monde», dit Pierre Granier-Deferre. La présence de David fait disparaître ses fantômes. David est aussi un compagnon d’une maturité incroyable. A 13 ans, il est sixième assistant sur le plateau de «La mort en direct». Il fait répéter des scènes à sa mère, la reprend pour corriger son accent. «Ils se parlaient comme deux adultes, c’était magnifique de les voir ensemble», se souvient Bertrand Tavernier. Un an plus tard, le 5 juillet 1981, l’adolescent décède à l’hôpital, une artère déchiquetée sur une grille qu’il escaladait chez ses grands-parents, pour ne pas les déranger.
«Mon enfant, mon enfant est mort», écrit Romy Schneider dans son journal. Jour et nuit, les amis se relaient auprès d’elle. Elle veut essayer sans David, elle va tenir dix mois. Romy Schneider est morte au combat. Avant le drame, elle a subi l’ablation du rein droit. Puis en novembre, en Allemagne, elle tourne endeuillée «La passante du sans-souci», son soixantième et dernier film, où elle joue avec un garçon du même âge que David. Parfois, tous les techniciens sont en larmes. Dans sa chambre d’hôtel, des photos de son fils, partout. Elle écoute en boucle «Le petit garçon» de Serge Reggiani. Après le tournage, repos aux Seychelles, avec son dernier compagnon et Sarah. Puis Paris, où elle erre d’un appartement à l’autre. Nouvelle coiffure, cheveux courts. «Je veux être belle, pour moi et dans ma vie privée !» dit-elle à son coiffeur dans un éclat de rire. Elle pose pour « Vogue », arrive rayonnante au rendez-vous, mais c’est une politesse du désespoir : son regard mélancolique émeut tout le monde. En avril, elle achète Les Grands Prés, une maison de village près de Paris, bordée de saules pleureurs près desquels David reposera. «Je veux être une mémé à la campagne avec ma fille, mes fruits. Vivre !» Mais elle confie le lendemain à son frère : «Je n’y arrive pas.»
La veille de son décès, coup de fil à son agent. Ils évoquent des projets. Elle félicite ensuite Costa-Gavras, Palme d’or à Cannes pour «Missing», puis lui parle d’une adaptation. Dîne avec des amis, mange peu mais plaisante. De retour rue Barbet-de-Jouy avec son compagnon, elle s’isole, comme chaque soir, munie de vin et de pilules. Elle rédige une lettre pour s’excuser de devoir reporter un rendez-vous, et la missive s’arrête sans qu’elle ait pu terminer le mot «faire». Après le «i», le stylo trace une ligne qui va se perdre en bas de page. « Pourquoi dois-je payer si cher, tout payer si cher ? La vie tape si dur », répète-t-elle. Pierre Granier-Deferre évoquait « sa générosité extravagante, celle des gens culpabilisés par on ne sait quoi ». Même en vacances, resplendissante, Romy Schneider devient soudain triste, torturée. «C’était poignant à voir», se souvient Simone Duckstein, propriétaire de l’hôtel de La Ponche, à Saint-Tropez. Sur le tournage de «L’important c’est d’aimer», le réalisateur, Andrzej Zulawski, va découvrir l’un de ses fantômes, son traumatisme de l’Allemagne. Elevée non loin de la résidence de Hitler, à Berchtesgaden, où défilent la bonne société nazie, des intellectuels, des artistes. Ses parents, comédiens, sont célèbres. Sur un film amateur*, Magda Schneider est présentée au Führer par Eva Braun. Elle figure sur la liste des artistes exonérés d’impôts. A Zulawski, Romy parle d’une mère égocentrique, soupçonnée d’être la maîtresse de Goebbels, ministre de la Propagande. Un père volage, un beau-père qui la tripote. Bien plus tard, Romy épousera un metteur en scène juif, déporté à 17 ans. Choisira David et Sarah comme prénoms pour ses enfants. Priera dans les synagogues. Sera révoltée par l’attentat rue Copernic. Tournera à bout de forces «La passante», projet qu’elle a initié, l’histoire d’une Allemande qui résiste aux nazis. Et portera au cou, jusqu’au cercueil, l’étoile de David.
La vie de Romy ne tenait qu’à un fil, seul son fils David lui donnait la force de continuer...
Son beau-père la vole aussi, allègrement. Des sommes dont la bénéficiaire, Sissi, découvrira plus tard qu’elles ont été englouties dans de sombres affaires. A 15 ans, Romy Schneider ne se voit pas valser sous une crinoline pour l’éternité. «Sissi, c’était bien gentil, mais j’étais la seule, apparemment, à savoir que je ne lui ressemblais pas !» Elle cède à sa mère pour tourner les deuxième et troisième épisodes, mais dit non pour un quatrième, malgré un cachet de 4 millions de marks. Elle a 18 ans. On la traite de folle, mûre pour l’asile. Romy a déjà entendu ce discours chez les bonnes sœurs, séchant les cours et décrivant dans son journal des fugues fictives. « Je vivrai à Paris, célèbre et aimée d’un beau garçon», écrivait-elle à 13 ans. Elle trouve d’abord Delon, 23 ans, «brusque et prétentieux». Il revient d’Algérie, la considère comme une « bourgeoise gâtée de 20 ans». En 1958, elle tourne «Christine» avec lui. Leur liaison est planétaire, insultée dans la presse allemande. Le couple vivra cinq ans ou, plutôt, survivra. La star, c’est Delon, sans cesse en tournage. Elle a besoin de stabilité. « Romy devait tout le temps sentir qu’on l’aimait, sans quoi elle pouvait aller au conflit pour provoquer la déclaration d’amour », dit Albina du Boisrouvray, son amie productrice. Elle confie sa solitude à Marlene Dietrich, qui vit à Paris et qui est, à ses yeux, l’anti-Magda Schneider. Le cinéma l’exténue, le théâtre la terrorise. En 1961, à un mois de la générale de « Dommage qu’elle soit une putain », mis en scène par Visconti et que Romy interprète avec Delon, une péritonite la conduit au bord de la tombe. Cocteau lui écrit à l’hôpital : « La France t’ordonne d’être en bonne santé. » C’est sanglée de bandages qu’elle monte sur scène et triomphe. Deux ans plus tard, en tournée en Avignon, on l’emmène se reposer en clinique. A 25 ans, sa force nerveuse s’est brisée. «Je n’ai pas de répit et je sais que je dévore ma propre vie», dit-elle. Le cinéaste Joseph Losey : «Romy ne nourrissait aucune illusion. Ses espoirs mêmes étaient désespérés.» C’est la séparation avec Delon. Un billet d’adieu posé près d’un bouquet de roses, « Je pars avec Nathalie », et une lettre de 12 pages qu’elle lit sans comprendre. Romy ne peut se résoudre à la rupture. C’est une jeune fille détruite qui traque Delon dans Paris, recouvrant son pare-brise de petits mots. Et puis un jour, elle demande à son chauffeur de tout brûler, photos et souvenirs de ce «bourgeois macho, ambitieux, qui veut avoir un jour un appartement plein de Renoir».
Telle est Romy Schneider, «tourmentée, pure, violente, orgueilleuse», selon Claude Sautet. «Depuis mon enfance, j’ai confondu la vie avec le cinéma», confie-t-elle à son journal. Violée dans une scène du « Vieux fusil » tournée sans le son, elle hurle quand même, s’arrache les ongles et ressort de là couverte de blessures. « Elle peut devenir un cheval de course incontrôlable quand on dit “moteur”, a expliqué Michel Piccoli. C’est un tel état de survoltage qu’un rien peut provoquer un court-circuit, l’accabler ou la mettre hors d’elle. Jamais apaisée, elle n’a pas conscience d’être une extraordinaire comédienne. Elle veut toujours aller plus loin, jusqu’à refaire des prises parfaites.» Piccoli est le seul qui l’apaise. Ils se comprennent dans le silence. Le scénariste Georges Conchon : « Devant une caméra, il s’agissait pour elle de dépasser Romy Schneider, de l’effacer, de l’écraser. C’était sa grande affaire : qu’on aime la petite bonne femme, la vraie derrière la star.» Ses scripts sont couverts d’annotations, elle est le personnage 24 heures sur 24. Si l’on modifie son texte, elle peut exploser. « Non, non, j’ai bossé ! Tout est là-dedans... c’est trop tard. » Elle sait qu’elle peut être insupportable. « Mon agressivité cache l’angoisse de ne pas donner le meilleur de moi-même. » Derrière la porte d’une loge de cinéma, c’est à une femme recroquevillée de peur qu’on vient parfois le demander. Toujours elle le donnera, mais ce sera pour le pire. « Dans la vie, je ne sais rien faire », juge-t-elle. Brialy : « Fière comme une amazone, fragile comme un miroir, elle ne savait pas tricher, et ses élans du cœur, violents ou contenus, l’emportaient tout entière. » Des périodes de naufrage nourries par les médicaments que Marlene Dietrich lui fait livrer, cachés dans des livres anciens. Staurodorm, Optalidon qu’elle mélange au champagne et au vin blanc. Conviant un jour quelqu’un à l’heure du thé, elle demande tout naturellement : «Vous ne voulez pas un petit Librium ?» Insomniaque, elle déambule dans Paris en attendant qu’agissent les cachets pour dormir. L’après-midi, elle en avale d’autres pour se réveiller. Sur le plateau de «L’important c’est d’aimer» – où elle joue une star tombée dans le X –, à midi elle n’est plus en état. Elle dort chez Zulawski et sa femme. Romy Schneider remporte avec ce film le César de la meilleure actrice, contre Adjani et Deneuve.
Trois ans plus tard, en 1979, «Une histoire simple », de Sautet, lui offre un second César. Le réalisateur la décrit comme l’absolu féminin. « Elle déstabilise le macho dans l’homme. En face d’elle, sur un plateau, souvent ils ne savent plus où se mettre.» Mais en prostituée, ouvrière, amoureuse ou aventurière, Romy Schneider est avant tout une femme qui magnétise : dans un restaurant où elle arrive non maquillée, personne ne la reconnaît mais, petit à petit, tous les regards convergent vers elle. Elle signe en 1973 le manifeste pour l’avortement, précisant qu’elle l’a pratiqué. Elle sera poursuivie par un tribunal de Hambourg et malmenée par la presse allemande, pour qui la voilà maintenant «putain ». Elle pose nue, indépendante, courageuse. «Mon image, je m’en fous. Je trimballe un miroir dans mon sac à main, alors ma gueule, je la connais !» A côté de ça, effrayée, vulnérable, mélancolique : «Je suis une femme très malheureuse.» « S’il y a un dieu, c’est un très mauvais dieu.» Son inquiétude majeure : se réveiller totalement vide. Sarah cherche aujourd’hui à remplir ce vide, où se mélangent souvenirs, impressions et témoignages. Elle cherche aussi à se réapproprier sa mère alors que, dit-elle, « elle appartient à tout le monde ». A recréer du lien, enfin, «avec quelqu’un que tout le monde veut et que je voudrais garder pour moi».