Source : A voir - A lire.com - 03 novembre 2009
Quarante-cinq ans après l’arrêt du tournage de L’enfer par Henri-Georges Clouzot, Serge Bromberg retrace l’histoire de ce film légendaire inachevé, avec une impressionnante précision documentaire.
L’argument : En 1964, Henri-Georges Clouzot choisit Romy Schneider, 26 ans, et Serge Reggiani, 42 ans, pour être les vedettes de L’Enfer. Un projet énigmatique et insolite, un budget illimité, un film qui devait être un "événement" cinématographique à sa sortie. Mais après 3 semaines de tournage, le drame. Le projet est interrompu, et les images que l’on disait "incroyables" ne seront jamais dévoilées. Ces images, oubliées depuis un demi-siècle, ont été retrouvées et elles sont plus époustouflantes que la légende l’avait prédit. Elles racontent un film unique, la folie et la jalousie filmées en caméra subjective, l’histoire d’un tournage maudit et celle d’Henri-Georges Clouzot qui avait laissé libre cours à son génie de cinéaste. Jamais Romy n’a été aussi belle et hypnotique. Jamais un auteur n’aura été aussi proche et fusionnel avec le héros qu’il a inventé. Serge Bromberg et Ruxandra Medrea réussissent ici une "recomposition" de l’oeuvre disparue, créant un nouveau film qui raconte l’histoire de ce naufrage magnifique et qui permet au projet d’exister enfin.
Notre avis : Coincé dans un ascenseur, Serge Bromberg fait connaissance avec sa compagne d’infortune qui se révèle être la veuve d’Henri-Georges Clouzot. Deux heures plus tard, le projet de L’enfer d’Henri-Georges Clouzot voyait le jour. En effet, au cours de cette rencontre claustrophobe, Bromberg apprend que la femme du réalisateur de L’assassin habite au 21 a conservé les bobines du film inachevé, L’enfer (1964). Cette production, avec pour tête d’affiche Romy Schneider et Serge Reggiani, s’annonçait comme une œuvre qui allait marquer son temps, à la frontière de la fiction et du cinéma expérimental.
Le documentariste nous raconte ainsi l’aventure qu’a été la réalisation - partielle - de L’enfer. Il nous en donne toutes les clés. Aucun détail n’est omis de la pré-production au tournage. On découvre troublés le casting de Romy Schneider ainsi que ses essayages multiples de vêtements pour créer son personnage. Se superposent en permanence le récit de la création et l’histoire proprement dite du film, le scénario. On comprend ainsi l’ampleur du projet et la fascination qu’il aurait pu produire s’il avait été terminé. Henri-Georges Clouzot avait réussi à monter quelques séquences, ce que nous voyons à l’écran est donc bien le fruit de son travail et de son imagination.
Toutes les scènes n’ont pas pu être tournées. Celles-ci sont jouées par deux acteurs, Jacques Gamblin et Bérénice Bejo, qui reprennent les rôles tenus par Serge Reggiani et Romy Schneider. Tout comme le réalisateur donne une seconde vie à L’enfer, ces comédiens héritent de l’expérience de ces acteurs incontournables du cinéma français. Ces séquences modernes montrent également que L’enfer n’était pas uniquement une expérimentation esthétique et technique incroyable, mais que son scénario et ses dialogues étaient d’une qualité indiscutable. Tout avait été pensé au détail près ; paradoxalement, c’est ce perfectionnisme qui a précipité l’abandon du tournage, chaotique et conflictuel.
Au sortir de L’enfer d’Henri-George Clouzot, la sensation d’avoir assisté à un grand film est tenace. Clouzot n’avait pas réussi à donner forme à L’enfer. Serge Bromberg et Ruxandra Medrea, grâce à un rigoureux travail documentaire et de restauration, ont réussit à le faire exister. Dans cet esprit, les cinéastes participent à la conservation du patrimoine cinématographique français et nous livrent une œuvre empreinte de l’esprit du réalisateur des Diaboliques, enrichie de leur regard passionné sur Henri-Georges Clouzot.
Marine Bénézech