Source : Sur la route du cinéma - 05 novembre 2009
NDLR : Cet article est publié avec l'accord de l'auteur que je remercie.
En 1964, Henri-Georges Clouzot entreprend de réaliser «L’enfer», l’histoire d’un homme d’une quarantaine d’années qui épouse une femme beaucoup plus jeune que lui et qui se trouve brusquement et violemment confronté à une jalousie pathologique. Le film est censé décrire les symptômes et conséquences de cette véritable maladie. Les deux interprètes idéaux sont Serge Reggiani (Marcel) et Romy Schneider (Odette).
Rapidement c’est le tournage qui devient l’enfer pour les comédiens, les techniciens, toute l’équipe et pour le réalisateur qui, alors qu’il s’apprêtait à tourner une scène très hot entre Romy et Dany Carrel est victime d’une crise cardiaque. Clouzot ne reprendra jamais le tournage. Le mythique et opaque mystère, l’aura légendaire qui planent sur ce film durent plus de 40 ans.
En 2007, Serge Bromberg (PDG de Lobster Films depuis 1984) se retrouve providentiellement coincé dans un ascenseur avec la femme d’Henri-Georges qui n’a jusque là jamais révélé qu’elle est en possession de 185 précieuses bobines du tournage.
3 heures de claustrophobie plus tard… le charme de Serge Bromberg qui n’en finit plus de remercier Roux et Combaluzier a-t-il opéré sur la dame ?.. toujours est-il qu’elle accepte de lui confier les bobines.
Il découvre des images encore plus époustouflantes que ce que la légende laissait supposer. En effet, Henri-Georges Clouzot souhaitait faire de ce film un évènement monumental capable, voire destiné à remettre en cause les fondements du cinéma.
Ce film relate l’histoire du tournage maudit et évidemment assister à la fabrication d’un film qui finalement ne se fera pas est toujours absolument fascinant d’autant plus ici qu’il s’agissait à n’en pas douter d’une expérience au-delà des limites de ce qui existait et qui en aurait peut-être fait un film expérimental mais en tout cas différent, unique en son genre et donc exceptionnel.
L’état psychologique voire psychique du réalisateur et celui du personnage rongé par la jalousie semblent ne cesser de s’imbriquer l’un dans l’autre jusqu’à se confondre. A cette époque, Clouzot, ainsi qu’il le révèle dans une interview, sortait d’une dépression, d’une «vraie dépression, insiste-t-il, pas une dépression de starlette». On n’en doute pas un instant tant sa mégalomanie et la tyrannie qu’il exerce sur tout son entourage suinte à chaque étape du tournage.
Les témoignages passionnants de Costa-Gavras, William Lubtchansky, Jacques Douy ou de la script d’alors, tous présents sur le tournage ne démentent jamais cette ambiance d’inconfort, de rigueur voire de rudesse imposée par le réalisateur. Au bout de quelques jours, la folie ambiante, l’extrême fatigue de tous, Clouzot insomniaque n’hésite jamais à réveiller toute son équipe pour la remettre au travail, font naître sur le plateau une atmosphère d’incompréhension et de doute et le transforment en cauchemar. Clouzot sait-il lui-même où il veut en venir ?
L’ambiance devient catastrophique et Clouzot de plus en plus tyrannique. Il explore la folie, la maladie, la jalousie du personnage de Serge Reggiani jusqu’au plus profond de son cerveau. Chaque fois que le personnage est en proie à une crise de jalousie, c’est tout son univers mental qui bascule dans la névrose et la paranoïa. A chaque fois qu’un train passe, ce vacarme assourdissant affecte la vision et l’ouïe de Marcel en proie à des crises démentes de plus en plus fréquentes. C’est ainsi que Clouzot expérimente un travail inédit d’effets spéciaux sur les sons et les images.
Manifestement épuisé par le sadisme de Clouzot qui lui fait faire et refaire des scènes auxquelles il ne comprend plus rien, Serge Reggiani quitte le tournage.
Il n’en est pas de même pour Romy qui du haut de ses 26 ans tient tête au réalisateur et n’hésite pas à protester et à se rebiffer en criant plus fort que lui. Cela dit, elle lui fait une confiance aveugle. Il ne faut pas oublier qu’il est à l’origine des chefs d’œuvre tels que «La vérité», «Les diaboliques», «Le salaire de la peur», «Manon», «Quai des orfèvres» ou «L’assassin habite au 21» (j’invite d’ailleurs les plus jeunes qui ne la connaissent pas, à s’intéresser à cette filmographie, ils ne seront pas déçus). Romy s’abandonne à toutes les fantaisies, toutes les bizarreries, à l’imaginaire exubérant, créatif et exalté du réalisateur.
Il la peint en bleu, la couvre de paillettes, l’emballe dans du plastique, l’attache nue sur une voix ferrée, teste sur elle différents éclairages etc… Les garçons qui iront voir le film auront par ailleurs bien du mal à se remettre de ce que Romy, sublime, érotique, sexuelle comme jamais elle ne le fut après, fait avec un ressort ! Docile, soumise, intelligente, gaie et belle belle belle, elle quittait là et définitivement les costumes empesés de Sissi.
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