Source : Cannes 2009 - RFI - 19 mai 2009
Dans le cadre de la section Cannes Classics dédiée, comme son nom l'indique, aux grands classiques du 7ème d'art, les festivaliers ont l'opportunité durant une semaine de revoir de vieux films restaurés. Cette année, on a ainsi projeté "Pierrot le fou" de Godard, "Accident" de Losey ou encore "Les vacances de monsieur Hulot" de Jacques Tati. Ce mardi est présenté "L'Enfer d'Henri-Georges Clouzot" de Serge Bromberg et Ruxandra Medrea. Ni fiction ni vieux film, ce documentaire, qui sortira le 23 septembre, dans les salles françaises raconte le tournage insensé de "L'Enfer" de Clouzot, film inachevé et dont personne n'avait pu voir les images, jusqu'à ce mardi.
Ce documentaire, Serge Bromberg - intarissable sur cette formidable aventure - l'a réalisé comme on mène une enquête. Et pour causes, si chacun savait qu'Henri-Georges Clouzot avait, durant le mois de juillet 1964, tourné pendant deux semaines, personne n'avait jamais vu la moindre image de ce qui aurait dû être "L'Enfer", le film le plus ambitieux du réalisateur français (soutien de la Columbia américaine et budget illimité). «Mais tous les témoins de ce tournage s'accordaient pour le décrire comme incroyable même si tous avaient une version différente du tournage», raconte Serge Bromberg qui, dès lors, ne voit plus d'autre alternative que celle de retrouver ces images, pour en quelque sorte tirer l'affaire au clair.
La providence a voulu qu'il mette la main sur les 185 boîtes de bobines, ce qui représente rien moins que 16 heures d'images. «Et là, reprend notre interlocuteur, j'ai compris». Compris quel enfer ce fut effectivement tant pour le metteur en scène qui s'est littéralement perdu dans son projet et pour toute l'équipe du film, à commencer par les acteurs, Romy Schneider (26 ans) absolument sublime, et Serge Reggiani, carrément malmenés par un Clouzot qui s'abîme dans la recherche sans fin de la perfection et dont les doutes laissent tout un chacun dans une incompréhension totale.
Et pourtant, rappelle Serge Bromberg, «L'Enfer était à l'origine un film intimiste». En l'occurrence l'histoire d'un homme, Marcel, patron d'une auberge de province, saisi par le démon de la jalousie. Il se met à soupçonner son épouse, Odette, puis à l'espionner, puis à la harceler. Le film - tantôt en couleurs tantôt en noir et blanc, au gré des crises de Marcel -, devait nous faire pénétrer dans la folie, les délires de cet homme, à grand renfort d'emprunts à l'art cinétique, ce que nous montrent les essais fascinants tournés avec les deux acteurs.
«Clouzot est rentré dans sa propre folie, ce qui l'a mené à la catastrophe. C'est comme si le film qu'il avait écrit sur une obsession lui était revenu comme un boomerang». La catastrophe, ce fut l'infarctus dont fut victime le réalisateur de Quai d'orfèvre et qui interrompit définitivement le tournage devenu de toute façon impossible de ce qui s'apparentait déjà à un film maudit. La seule issue possible, finalement.
Pour nous raconter l'histoire de ce naufrage, Serge Bromberg a fait le choix de suivre deux pistes : «Il y a deux histoires, d'abord celle de Clouzot qui se fixe un défi improbable qui le conduira au drame ; et puis il y a celle de ce qu'aurait été le film s'il avait été mené à son terme. Aux images existantes, et pour combler les manques, j'ai donc demander à deux comédiens Bérénice Bejo et Jacques Gamblin de jouer les scènes du scénario originale, à partir des dialogues écrits par Clouzot». La première histoire étant construite autour des témoignages des collaborateurs du réalisateur et les fameuses images dont la découverte ne fait qu'aviver le regret de savoir ce film à jamais inachevé. Mais retrouvé. Et devant les tâtonnements d'un Clouzot qu'on découvre tenté par l'inconnu, lui dont le nom est le symbole même d'un cinéma maîtrisé et de facture plutôt classique («C'était sans doute le film de sa vie», estime le réalisateur), devant la beauté éblouissante de Romy Schneider et le parfum de mystère qui enveloppe les images, on reçoit ce documentaire comme un formidable cadeau, après quarante cinq ans d'obscurité.
Par Elisabeth Bouvet
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