Source : Le Parisien.fr - 14 janvier 2009
Plus de huit ans après l’accident cérébral dont il garde des séquelles, le géant du cinéma français revient à l’écran dans «Un homme et son chien», de Francis Huster. Au-delà de l’émotion suscitée par ces retrouvailles, le film divise notre rédaction.
o0o POUR o0o
Courageux et bouleversant
Reconnaissons-le. Nous nous rendions à reculons à la projection d’ «Un homme et son chien». Ce remake d’ «Umberto D.», de Vittorio de Sica (1955), réalisé par Francis Huster et dans lequel un vieil homme est impitoyablement jeté à la rue avec son chien, créait plus le malaise que l’événement.
L’événement ? Le retour en haut de l’affiche de Jean-Paul Belmondo, 75 ans. Le malaise ? L’acteur est un revenant. Terrassé par un accident cérébral le 8 août 2000, Bébel paraissait perdu pour le cinéma. Le long combat qu’il a mené, et gagné, n’a évidemment pas fait disparaître les séquelles d’une élocution difficile. Or, Huster n’imaginait personne pour interpréter le rôle. «D’accord, mais tu me filmes comme je suis» , lui a dit Belmondo. Dont acte. Et d’où le malaise. Qu’allions-nous voir au juste ? Un film ? Ou un homme diminué rejouant à l’acteur ? Un spectacle ? Ou le spectacle d’un chant du cygne ?
Des dialogues sur mesure
Une heure et demie plus tard, nous ressortions sonnés par la bouleversante présence d’un géant du cinéma. Comme si Belmondo avait dans sa faiblesse puisé une force démultipliée. Nul besoin de donner des coups de poing : le coup de poing, c’est lui. Chaque mot prononcé — les dialogues ont été fabriqués sur mesure —, chaque sourire, chaque expression donnent à ce film singulier une intensité troublante, en adéquation totale avec le propos. «Un homme et son chien», traversé par la beauté et la jeunesse d’Hafsia Herzi et dans lequel figurent une cinquantaine d’acteurs célèbres, témoigne d’un univers du chacun-pour soi où la règle est d’abandonner les êtres lorsqu’ils deviennent encombrants.
En cinéaste, Huster a la maladresse émouvante. Il monte au gros plan comme on monte au filet. En s’approchant des visages, il en cherche la part d’humanité. Alors oui, «Un homme et son chien» ne collectionne pas les atouts pour être un succès : un acteur rescapé et une descente aux enfers. Mais il fallait le faire parce qu’il est courageux. Et le faire avec Belmondo : loin des derniers feux d’un grand acteur auxquels on croyait assister, ce film s’embrase jusqu’au bout de la puissance d’un animal de cinéma.
o0o CONTRE o0o
Pas à la hauteur de la star
Entendons-nous bien, nul ne saurait être «contre» Jean-Paul Belmondo. Ni contre ce retour, que l’acteur espérait de tout son cœur, ni contre la main tendue de FrancisHuster, à la fois derrière et devant la caméra. Les choses étant claires, on peut s’interroger : au-delà de l’émotion, de l’empathie, que penser du film ?On se dit d’abord qu’il faut être inconscient pour s’attaquer au remake d’ «Umberto D.», classique du néoréalisme italien mais, après tout, la solitude d’un vieil homme diminué, ruiné, et son désespoir face à l’indifférence du monde restent des thèmes d’une criante actualité. Outre une star, Huster tenait donc un sujet. Restait à l’écrire et à le tourner. C’est souvent là que les choses se gâtent.
Une théâtralité décourageante
Dès les premières images, le réalisateur perd la partie. Un chien court vers son maître le long d’une voie ferrée. Soudain, caméra subjective : nous voilà durant quelques secondes dans la peau de l’animal haletant… Aïe. Mis bout à bout, les défauts du long-métrage—dialogues empesés, silences lourds de sens, gros plans appuyés, le tout noyé de musique—lui confèrent une théâtralité un peu décourageante. Et puis, il y a le casting, genre quatre étoiles catégorie supérieure. Le peintre en bâtiment ? Tiens, c’est Jean Dujardin ! La dame qui fait les poubelles ? Oh, Micheline Presle ! Le vieux clodo ? Ah, Charles Gérard ! Huster fait défiler tout le cinéma français, y compris sa femme, Cristiana Reali, et l’une de ses filles. Ça sent l’amitié, mais pour le réalisme, on repassera.
Et puis, flûte, disons-le, cet hommage de la profession au «Professionnel» évoque parfois un enterrement de première classe. Sauf qu’il n’est pas mort, Belmondo, il s’est même salement bagarré pour être là. Malgré l’élocution difficile, la démarche douloureuse, on se souvient d’ «A bout de souffle»,du «Doulos» et du «Magnifique», et on formule un souhait : qu’il soit revenu pour de bon, tel qu’il est, acteur jusqu’au bout, et qu’«Un homme et son chien » ne soit pas son dernier film.
Commentaires