Source : Rappels Magazine.com
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SARAH BIASINI - HORS SCENE
Longtemps tentée par une toute autre carrière, la fille de Romy Schneider a beaucoup attendu avant de se tourner vers le théâtre. Nommée l’an dernier pour le Molière de la révélation théâtrale, Sarah Biasini s’est imposée, en quelques années seulement, comme un espoir très prometteur de la scène française.
Rappels : Alors que votre mère était actrice, vous avez envisagé une autre carrière que celle de comédienne. Finalement, vous vous êtes tournée vers ce métier très tardivement…
Sarah Biasini : C’est un peu les clichés de tous les enfants de comédiens. Il y a une sorte de rejet au début. Je cherchais à me persuader que je pouvais faire autre chose, que je pouvais avoir un métier normal. Je suis donc allée à la fac avec l’idée de travailler dans les musées. Mais, après ma maîtrise je me suis dit que, si je devais changer quelque chose, si j’avais une autre direction à prendre, c’était le moment ou jamais.
Rappels : Aviez-vous déjà une idée de ce qu’aurait pu être cette autre direction ?
Sarah Biasini : Pas du tout, non. Mais j’avais la certitude que je n’étais pas totalement épanouie. Pourtant, de tous les métiers, en dehors du théâtre, cette voie était celle que je préférais. Les musées, la conservation d’un patrimoine, étaient des choses qui m’intéressaient mais je n’avais pas l’impression que j’allais pouvoir m’y exprimer pleinement et que je pourrais y consacrer ma vie entière.
En fait, il n’y a pas eu de déclic particulier si ce n’est que, au moment où j’arrivais à la fin de mes études, il a fallu que je me pose la question sérieusement. Le miracle c’est que, à ma grande surprise, j’ai formulé tout haut ce désir que je devais avoir depuis très longtemps. Tout d’un coup, cette chose qui me paraissait impossible et que j’avais toujours niée, me semblait tout à fait naturelle et accessible. A tous les gens qui me demandaient si je ne voulais pas faire le même métier que ma mère, j’avais toujours répondu que c’était hors de question, que je ferais tout sauf ce métier. Je m’en étais toujours défendue, pourtant, à ce moment-là, ça m’est apparu comme une évidence. C’était comme si une porte que je n’avais jamais vue s’ouvrait brusquement : j’ai voulu aller voir ce qui se cachait derrière.
Rappels : Avec un peu de recul, qu’est-ce qui a déclenché cette décision?
Sarah Biasini : Peut-être que le fait d’envisager autre chose que la voie dans laquelle j’étais lancée m’a libérée. Inconsciemment, ça m’a autorisée à penser à ce métier qui me semblait jusque-là totalement inenvisageable. Mais ce qui a vraiment été décisif, c’est l’urgence: j’avais déjà 24 ans, c’est très tard pour commencer un apprentissage de comédien. J’ai toujours eu tendance à attendre le dernier moment : je devais avoir besoin d’être un peu acculée pour prendre cette décision.
Rappels : Quelle a été la réaction de votre entourage, quand vous leur avez annoncé ce choix inattendu ?
Sarah Biasini : Ils ont été très surpris bien sûr, mais je crois qu’ils en étaient aussi très heureux. Parce que, même si ça semble avoir été très soudain, cette décision était en fait très réfléchie. Ça n’était pas juste une lubie.
Rappels : Vous auriez pu suivre des cours d’art dramatique en France, pourquoi être partie aux Etats-Unis ?
Sarah Biasini : Je voulais pouvoir apprendre tranquillement. Pouvoir me tromper, pouvoir être nulle. Parce que, au début, on est forcément très maladroit. Je ne voulais surtout pas être jugée par d’autres étudiants sous prétexte que je suis la fille de ma mère. Aux Etats-Unis, les gens la connaissent moins, c’était plus facile. Et puis, quand vous êtes à l’étranger, tout vous semble plus simple, changer de vie est moins brutal. J’avais beaucoup moins de problèmes à dire pourquoi j’étais là, dans ce cours de théâtre. Assumer l’influence de ma mère ne me posait plus de souci.
Rappels : On ne sait pas comment ça se serait passé en France, mais comment est-ce que votre apprentissage s’est passé à l’Actor Studio de Los Angeles ?
Sarah Biasini : Très bien. Je n’y suis pas restée très longtemps. Un an seulement. J’avais trois profs de jeu pur et on travaillait aussi l’escrime, le chant, la danse. C’est un enseignement très complet. Et puis, au-delà du fait que je me sentais très libérée là-bas, j’étais très curieuse de découvrir la méthode de l’Actor Studio. Je voulais avoir cette base de technique et de travail.
Une année de cours c’est peu, mais j’étais très appliquée et j’avais l’impression d’avoir compris la méthode, de l’avoir bien intégrée. Je suis donc revenue à Paris où j’ai continué à apprendre en travaillant avec Eva Saint-Paul et Raymond Acquaviva. Il m’a beaucoup préparée à mon premier tournage, un téléfilm en costume pour TF1, en travaillant des personnages du répertoire classique.
Rappels : En partant aux Etats-Unis, vous n’avez jamais eu l’intention de tenter de faire carrière là-bas ? Ça aurait pu être une suite logique à un apprentissage sur place…
Sarah Biasini : Non, je voulais juste y prendre des cours. Bien sûr, on se dit que pourquoi pas. L’idée d’une carrière aux Etats-Unis peut être séduisante. Mais on se rend très vite compte que c’est impossible. Parce que c’est une jungle monstrueuse. Et puis, même si mon accent n’est pas trop mauvais, ils voient immédiatement que je suis étrangère: ça limite beaucoup les possibilités. Et, après un an à travailler en anglais, j’avais aussi l’envie de commencer à jouer des textes en français.
Rappels : Finalement, la transition a été très rapide : de retour en France vous avez presque immédiatement débuté dans "Julie, chevalier de Maupin". Pour quelqu’un qui, un an avant, voulait éviter d’être trop exposée, c’est un peu paradoxal de commencer d’emblée par un téléfilm en deux parties diffusé en prime-time sur TF1 ?
Sarah Biasini : Oui. Mais en fait, en rentrant en France, je ne me sentais pas encore prête à débuter. Je ne voulais pas prendre d’agent tout de suite, ni courir les castings. C’est le hasard des rencontres qui m’a amenée-là. Et, même si je n’étais pas tout à fait mûre, cette proposition était séduisante : jouer en costumes une sorte de D’Artagnan au féminin, ça ne se refuse pas.
Pour le reste, c’est l’éternel paradoxe de ce métier. On prend la décision de le faire pour des raisons personnelles, parce qu’on sait qu’on va s’y épanouir, et, en même temps, c’est un métier où l’on n’existe que par et pour le regard des autres.
Rappels : Comment avez-vous vécu cette exposition?
Sarah Biasini : Pas mal, je crois. Bien sûr, c’était un peu cliché, parce que c’était TF1, parce que c’était un film de cape et d’épée et parce qu’il y avait un petit côté “regardez ce qu’on sort du chapeau”. Il y avait, j’imagine, des ingrédients marketing intéressants pour TF1. Mais ça avait été bien reçu donc je l’avais très bien vécu. D’autant plus que le film était réussi.
Rappels : Le théâtre n’est arrivé que plus tard dans votre parcours. Là encore, c’est assez rare que des comédiens sollicités par la télévision privilégient la scène. Comment avez-vous débuté au théâtre ?
Sarah Biasini : D’une façon très classique, même si, comme toujours le hasard n’y est pas étranger. J’ai rencontré Steve Suissa un jour chez mon agent. Il préparait "Pieds nus dans le parc" de Neil Simon, une pièce qui est devenue un classique des comédies contemporaines américaines et que j’avais étudiée aux Etats-Unis. Comme il est aussi réalisateur de cinéma, j’ai d’abord pensé qu’il voulait en faire un film. Le quiproquo a duré une demi-heure, puis nous avons fait des lectures avec Olivier Sitruk. Steve Suissa a probablement dû auditionner d’autres comédiennes, mais il a fini par me choisir.
Rappels : En dehors de ce hasard, est-ce que vous aviez déjà l’envie de tenter l’aventure au théâtre ?
Sarah Biasini : Oui, bien sûr. J’étais très enthousiaste, j’ai eu immédiatement très envie de faire cette pièce, mais, comme tout est arrivée très vite, cette fois je ne me sentais pas du tout prête. J’avais très peu travaillé avant ça. Et, à l’époque, le théâtre me paraissait beaucoup plus difficile que de tourner au cinéma ou à la télévision. J’avais encore cette idée que, sur un tournage, on peut refaire les prises aussi souvent qu’il le faut et que, par conséquent c’est plus simple que le théâtre. Maintenant, je sais que, pour moi, le théâtre est plus facile ! C’est énormément de travail pour que tout devienne naturel, mais, ensuite, au théâtre, vous n’êtes pas contraint par un cadre. Au contraire, vous avez besoin d’élargir, de projeter. Vous pouvez tout faire avec votre voix, avec votre corps. C’est plus facile parce que vous n’êtes pas limitée.
Rappels : Comment est-ce qu’on aborde le plateau pour la première fois, quand on n’a pas trop de repères ?
Sarah Biasini : J’ai essayé de faire les choses à l’instinct. C’était aussi le sens du travail avec Steve Suissa. Il laisse beaucoup de place aux comédiens, il voulait qu’on en revienne toujours à des choses que l’on aurait pu faire nous dans notre vie de tous les jours. Il voulait qu’on se mette dans la peau de nos personnages, dans les situations qu’ils vivent. Ensuite on a affiné tout ça, petit à petit on est revenu sur certaines choses : une démarche qui pouvait être un peu lourde, des gestes un peu brusques.
Rappels : Après ce travail de répétitions, les premières représentations et le premier contact avec le public ont dû être une autre étape très intense ?
Sarah Biasini : C’est sûr, on n’en dort plus ! D’autant plus qu’il y avait encore beaucoup d’imperfections dans mon jeu ! Heureusement, mes proches se sont chargés de me mettre en garde sur certaines choses. Bien sûr, j’étais très angoissée. J’avais un trac terrible, mais j’essaie de faire en sorte que ce ne soit pas un trac paralysant, parce qu’il peut me faire perdre tout mes moyens. Je peux ne plus avoir confiance en moi du tout et ça peut devenir infernal.
Là, il a bien fallu un mois avant que j’arrive à me détendre et à me sentir à l’aise sur scène. Ce n’est qu’à partir de ce moment-là que j’ai pu commencer à tenter de nouvelles choses.
Rappels : Quand est-ce que vous avez eu la sensation que le théâtre était, pour vous, plus facile que le cinéma ou la télévision ?
Sarah Biasini : Progressivement. Finalement, j’ai plus souvent joué au théâtre que tourné dans des films. Et, à chaque fois, je vérifie que le temps de répétition est un luxe absolu. Ce temps que l’on prend pour chercher, pour s’accorder, est incroyablement précieux : c’est ce travail, long et précis, qui rend le théâtre plus facile. Une fois que ce travail est fait, si vous arrivez à être totalement libéré mentalement, la représentation est un moment de liberté extraordinaire, où vous n’êtes concentré que sur ce que vous faites.
Rappels : La découverte de ce travail spécifique au théâtre a-t-elle eu une influence sur votre façon de travailler vos rôles sur les tournages ?
Sarah Biasini : Non, pas vraiment. Bien sûr mon expérience de l’un me sert pour l’autre, mais ce dont j’ai vraiment besoin c’est d’être le plus détendue possible. Ma seule préparation, en dehors bien sûr de connaître mon texte et mes intentions, c’est de me détendre, de me laisser aller. Comme un sportif qui cherche le relâchement total. La chose la plus importante c’est, pour moi, la préparation mentale : me sentir capable de tout, libérée de toute peur, presque sans limite.
Rappels : Après "Pieds nus dans le parc", qui était une comédie contemporaine, vous avez enchainé avec "L’antichambre", une pièce historique de Jean-Claude Brisville, très fidèle à la langue du XVIIIe siècle. C’est un vrai changement de registre, comment avez-vous abordé cette pièce ?
Sarah Biasini : Il s’agissait d’essayer d‘imaginer comment ces gens, qui côtoyaient les philosophes, avaient le plaisir de la phrase, du mot, d’étirer les syllabes. Il fallait retrouver le phrasé spécifique de l’époque et trouver la respiration dans la phrase, mais ce n’était pas le plus difficile. L’attitude corporelle était plus délicate: il fallait trouver le bon maintien, l’allure juste, l’élégance des gestes sans que ce ne soit trop affecté.
Rappels : C’est sur ce spectacle que vous avez rencontré le metteur en scène Christophe Lidon avec qui vous avez de nouveau travaillé cet été sur une pièce à Avignon. S’il est encore trop tôt pour parler d’une fidélité artistique, est-ce que cette notion de travail sur la durée est importante pour vous ?
Sarah Biasini : Très. Christophe est un metteur en scène très intelligent et très fin. J’aime sa manière de diriger les acteurs, il trouve toujours les mots justes pour vous amener où il faut. C’était une très belle rencontre. D’ailleurs, on travaille ensemble sur deux nouvelles idées.
D’une façon plus générale, mes envies ne se définissent pas en termes de rôles ou de personnages mais plutôt en termes d’univers. Ce qui me plait au théâtre ce sont les rencontres humaines. J’ai envie de coups de foudre. Pour des artistes ou pour des univers.
Propos recueillis par Nicolas Roux et Charles Saâcy
BIO EXPRESS
En 2004, son apparition dans le rôle principal de "Julie, chevalier de Maupin", avait signée son entrée fracassante dans le métier. Là où d’autres font des débuts plus confidentiels, Sarah Biasini a d’emblée frappé un grand coup : un téléfilm de deux fois 90 minutes diffusé en prime-time sur TF1, accompagné, bien sûr, de la machine promotionnelle de la première chaine de France. Pourtant, la fille de Romy Schneider, née en 1977, avait longtemps repoussé l’idée de jouer la comédie. Ce n’est qu’à 24 ans, après des études d’Histoire de l’art, qu’elle décide de partir étudier l’art dramatique au prestigieux Actor Studio de Los Angeles. Un exil volontaire, pour aborder la scène en toute confidentialité, loin de l’image trop écrasante que sa mère continue d’incarner en France. A son retour tout s’enchaine : après la télévision, le cinéma lui tend les bras (Pascal Thomas, en 2004, avec "Mon petit doigt m’a dit"), mais c’est au théâtre que Sarah Biasini s’épanouit. Après une première expérience en 2005, "Pieds nus dans le parc" de Neil Simon mis en scène par Steve Suissa au Théâtre Marigny salle Popesco, elle retrouve les planches en 2008 avec "L’antichambre" de Jean-Claude Brisville au Théâtre Hebertot. Dirigée par Christophe Lidon aux côtés de Roger Dumas et Françoise Lebrun, elle est remarquée par l’ensemble de la profession qui la nomme pour le Molière de la révélation. Elle a retrouvé le metteur en scène Christophe Lidon cet été au festival d’Avignon dans "Maestro" de l’auteur islandaise Hrafnhildur Hagalin.
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