Source : La revue marseilleise du théâtre
Parlez, vous êtes filmés…
Personne ne voit la vidéo dissèque sans contrefaçon la société de consommation via un institut de sondage. L’auteur britannique Martin Crimp dépeint, avec cruauté et un humour grinçant, cet univers normalisé, où chacun est fiché.
Le décor est planté, nous sommes dans un entrepôt, débordant de cartons. Les comédiens, tour à tour, font quelques pas dans une cage de verre, s’immobilisent, reprennent leur gestuelle saccadée, robotique. A l’image de mannequins, disposés dans une vitrine. Une installation sobre, impersonnelle vient accentuer le caractère insolite, dérangeant de cette pièce. Des rencontres scénarisées s’ensuivent, les personnages se veulent superficiels, totalement stéréotypés, dépourvus de sentiments humains. Et Martin Crimp excelle à vrai dire dans ce genre d’ambiance crispante. Il décrit une fois encore, la violence des temps modernes, l’indifférence d’une société atomisée. Linda Blanchet signe la mise en scène de la pièce de Martin Crimp, considéré comme l’un des plus brillants auteurs de théâtre européen. Le spectacle relate l’histoire d’une conversion professionnelle d’une femme au foyer. «Vous arrive-t-il de consommer des pizzas surgelées ? Souvent, fréquemment, parfois ou rarement ?», c’est le début d’une longue liste de questions, posées par Karen (Lila Aissaoui). Juchée sur des rollers, vêtue d’un imperméable blanc, elle poursuit son sondage auprès de Liz (Sarah Biasini, qui n’est autre que la fille de Romy Schneider). Un discours saugrenu s’engage entre les deux femmes, «vous ne travaillez pas ? Vous ne rentrez dans aucune catégorie ? ».
«Dites-le avec vos propres mots»
Mais «vous êtes sélectionnée pour avoir un entretien en profondeur». Ainsi Liz passe un véritable interrogatoire avec Colin Parker (Boris Le Roy). Rien n’est négligé : la «machine» marketing passe au crible les goûts, les habitudes, les désirs, les doutes de Liz. «Mon mari travaille à domicile, il est écrivain. Il écrit les modes d’emploi pour logiciels informatiques. Il aimerait écrire un roman», silence. Déstabilisée, elle avoue «je vous ai menti, je ne vis plus avec mon mari Paul». Colin réplique, «navré, on ne peut pas continuer, vous n’êtes pas un ménage. Je viens de perdre 15 % de mon échantillon représentatif». On est plongé dans un véritable théâtre de l’absurde. Et le responsable marketing de poursuivre, «je pourrai vous embaucher, j’ai ce pouvoir là. C’est un emploi de cadre mais rien à voir avec les compétences». Ainsi, Liz débute sa nouvelle activité professionnelle. Elle tombera dans les mêmes travers que Colin. L’exploitation de l’autre, à tout prix, «elles adorent parler d’elles, je suis faite pour ce boulot. Je manipule les gens». Personne ne voit la vidéo est une inquiétante incursion dans la vie de l’autre.
Traitée avec une ironie implacable, la pièce dénonce avec force ce monde urbain où chacun est en quête de sens, victime d’un système sans concession. Pas de place au rêve. Tout va mieux, nous assure Martin Crimp.
Le 3 octobre, dans le cadre du festival actOral.7, toujours à la Criée, l’auteur a fait une lecture bilingue avec Thierry Raynaud de… "Tout va mieux".
Myriam Mounier
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