Source : DVD Drama - le 18 mars 2008
Romy Schneider est une légende du cinéma français. Une figure tragique, autant dans la vie que dans ses rôles. Sa beauté rayonne toujours, d'une manière frappante, une comédienne toujours en équilibre entre les extrêmes («des éclats de rire pour éviter les éclats de larmes» disait Piccoli). Elle est avant tout totalement dévouée à son art, plongée dans ses personnages de manière absolue, tentant sans cesse d'explorer de nouvelles pistes, d'aller un peu plus loin. Elle jouait pour s'éloigner d'elle-même peut-être, comme une manière d'exorciser ses démons ou les maintenir à bonne distance, le temps d'un tournage. C'est toujours cette urgence qui bouleverse, cette tension... Cette manière aussi de raconter sa vie en choisissant des films, cette coïncidence troublante entre la vie et l'oeuvre. A l'occasion de la sortie DVD de La Piscine le 26 avril, dont vous pouvez retrouver notre test en bas de page, voici un portrait du mythe Schneider, entre fiction et réalité.
Entre Romy la femme et Romy la comédienne, dont on a le sentiment qu'il n'existait pas de séparation. Un peu à la manière de Patrick Dewaere, autre immense référence, qui jetait toute son âme à chaque performance, jusqu'à se consumer sans doute. Romy Schneider est caractérisée par son intransigeance et s'impose comme un modèle absolu et toujours revendiqué par les acteurs. Peut-être parce qu'elle a ce caractère entier, qui vivait totalement dans ses rôles. On peut, par exemple la deviner dans les troublantes retrouvailles qu'elle a avec Alain Delon dans la Piscine (qui sort le 26 Mars en DVD), dans le mal-être de Nadine Chevalier, l'actrice ratée de L'important, c'est d'aimer, dans la tragédie de la Passante du sans-souci. Romy Schneider se racontait subtilement, dans une filmographie qui a souvent des accents de biographie.
Un rôle a marqué sa carrière et par la suite l'a empoisonnée comme une obsession dont elle voulait se dissocier à toutes forces. Il est effarant de voir des interviews d'époque où on entend un journaliste s'adresser à elle en l'appelant « Sissi ». Elle fut l'héroïne de cette saga de guimauve, de princesse qui rencontrait son prince charmant. Elle était alors très jeune (17 ans) et sous la coupe de la grande ambition maternelle (actrice elle-même), qui fit d'elle une icône de l'Allemagne d'après guerre. Mais comme la vraie Elizabeth d'Autriche, Romy se sentait étouffée et enfermée dans ce rôle écrasant, elle ne voulait pas devenir ce symbole rose bonbon. Malgré une offre mirobolante, elle ne tournerait pas le quatrième Sissi. Elle échappe à l'influence familiale et à la voie qui lui était toute tracée, on tenterait sans cesse de l'y ramener, elle s'en tiendrait éloignée avec une constance têtue, presque cassante quand on évoquait ce début amer qui était pour elle une impasse.
Elle s'exile donc en France, sa terre d'accueil de cinéma. Elle va y tourner Christine, encore un film d'époque prestigieux, pour lequel son statut de star lui permet de distinguer parmi ses partenaires potentiels, un jeune acteur encore inconnu, Alain Delon. Les deux comédiens vont alors former un couple de légende, dans la grâce de leur jeunesse et de leur beauté encore juvénile. Tous deux vont avoir un grand Pygmalion en la personne du grand Visconti. Il offrira à Delon le beau rôle du jeune homme pur de Rocco et ses frères avant de l'immortaliser dans la fresque du Guépard aux côtés de Burt Lancaster. Pour Romy, il sera, selon ses propres termes, son «grand professeur». L'exigence du metteur en scène la pousse à se transcender, à surmonter les difficultés et à révéler sa vraie nature. Il l'entraîne aux côtés de son compagnon dans l'aventure de Dommage qu'elle soit une P... au théâtre, la poussant à jouer en Français. La carrière de Delon prend des allures de météores, entraînant un temps Romy dans son sillage, notamment dans le grand classique Plein Soleil de René Clément. Mais leurs parcours respectifs les éloignent l'un de l'autre, Romy signe un contrat de sept films avec un studio Hollywoodien, Delon est entraîné ailleurs (en Sicile notamment pour le Guépard). Le couple n'y résistera pas. Il est pourtant resté comme une incarnation glamour et légendaire, dont Delon porte encore la mémoire (comme on a pu le constater lors de la dernière cérémonie des césars où il rendait un hommage émouvant à la comédienne).
Par la suite, Romy se familiarise avec l'histoire de son pays, notamment aux côtés d'Otto Preminger, avec qui elle tourne Le Cardinal. Le metteur en scène, d'origine autrichienne (comme elle) et juif. Vivant comme beaucoup de gens dans l'insouciance et l'ignorance de ce qui s'était joué en Allemagne dans son enfance, il décille l'actrice. Elle se fera à plusieurs reprises l'interprète de cette époque douloureuse (dans Le Vieux Fusil et La passante du sans souci). Elle participe à Quoi de neuf Pussycat?, première adaptation d'un scénario de Woody Allen et surtout affirme son ambition profonde en servant des univers et des grands auteurs comme lorsqu'elle est à l'affiche du Procès de Orson Welles, adaptation du chef d'oeuvre de Kafka (roman perturbant sur la terreur d'un homme traduit devant la justice sans qu'il sache pourquoi, victime des rouages d'une administration aveugle et absurde). Les choix de l'actrice ont une grande finalité: rompre définitivement avec l'image trop lisse et trop mièvre de ses premiers rôles. Elle veut explorer des terrains neufs, parfois troubles ou sulfureux (participant au Boccace 70 dans le segment réalisé par Visconti). Cette volonté intransigeante d'émancipation fait sa grandeur et l'impose dans des rôles de plus en plus intéressants. Elle refusera toujours de se compromettre dans la facilité.
Elle s'éloigne pourtant des plateaux pour élever son fils et se consacrer à sa vie privée, s'éloigner de l'effervescence des médias dont elle se méfie beaucoup. C'est Delon qui l'invite à revenir sur les plateaux pour les belles retrouvailles de la Piscine de Jacques Deray. La rencontre est sensuelle, pleine de ce qu'ils ont vécu ensemble, mais il s'agit surtout d'un très beau huis clos sentimental et plein de tension, finement suggérée et allant en crescendo dans des relations amoureuses qui se troublent, des individus qui se déchirent. Il s'agit surtout d'un film existentiel, sur la fragilité de l'amour, le désir qui vient tout bouleverser. Delon et Schneider apparaissent tous deux radieux, au zénith de leur beauté. Cette période serait aussi celle d'une manière de rédemption. Elle aura enfin l'occasion de se racheter de Sissi en reprenant le personnage dans Ludwig de Visconti. Elle n'y est plus cette égérie mièvre pour fillettes en mal de contes de fée, elle incarne l'Elizabeth d'Autriche historique, la femme libre, indépendante et délaissée par son mari, éternelle voyageuse, fantasque et insaisissable, une héroïne romantique (au sens littéraire du terme). Son originalité la rapproche de Louis II de Bavière et de son exaltation. Mais elle est beaucoup plus mesurée que lui et accepte son amour platonique avec ironie et amusement. Elle tente d'user de l'influence qu'elle a sur lui pour le maintenir dans la limite du raisonnable. Romy rayonne dans le rôle de cette femme à la force de caractère impressionnante, légèrement cynique. Visconti lui permet d'exorciser ce vieux démon. On sent la jubilation qu'elle a à reprendre ce rôle et à lui donner enfin sa vraie nature, rendre justice à son modèle. Mais elle n'aime pas refaire ce qu'elle a déjà exploré, sauf en ce qui concerne ce rôle qu'elle transforme en véritable mise au point.
Le trio qu'elle forme avec Claude Sautet et Michel Piccoli lui permet de s'aventurer ailleurs, de s'imposer dans un nouveau registre, dans un état de confiance et de symbiose qui lui permet de surmonter son trac. Elle partage un état d'esprit avec Sautet qu'elle citait d'ailleurs volontiers lorsqu'il disait qu' «on vit constamment avec la peur au ventre». Elle connaît pour lui un véritable coup de foudre artistique. Il trouve en elle une alter ego, comme il en trouve un en Piccoli. La complicité qui les unit donnera de grands films: Les choses de la vie, Max et les ferrailleurs, César et Rosalie. Le réalisateur a trouvé des interprètes idéaux pour explorer les rapports humains. Romy sera pour lui multiple : la putain et la relation étrange qui la lie à un flic, la maîtresse qui doute des sentiments de son amant, le femme que deux hommes se disputent. C'est une période heureuse et foisonnante pour elle au cinéma où elle peut enfin se déployer avec intensité, dans toute l'ampleur de son registre. Elle peut prêter son visage à des personnages très différents, comme elle en avait l'ambition depuis toujours. Il règne dans ces films une alchimie étonnante, on sent une intimité profonde entre les acteurs et leur metteur en scène. Grâce à Sautet, elle explore les doutes, les souffrances quotidiennes, les déceptions amoureuses, les attentes insatisfaites ou inquiètes (surtout dans les choses de la vie, véritable chef d'oeuvre consacré à ces petits riens qui composent une existence, cette insécurité permanente et dérisoire qui nous ronge). Il lui permet d'incarner des femmes complexes et tourmentées, proches de sa nature sans doute, à qui elle donne une grande justesse (toujours en équilibre entre joie et mélancolie).
C'est auprès de Zulawski dans L'important c'est d'aimer, que Romy va au bout de son jeu, au coeur de sa part d'ombre. Elle flirte avec les gouffres, lorsqu'elle dépeint l'échec d'une actrice ratée. Elle va très loin dans le rôle, n'hésite pas à s'enlaidir, à aller dans la fièvre, dans le malaise, ce qui rend son interprétation troublante, presque dérangeante tant elle est au coeur de l'autodestruction. Elle représente les tourments de cette femme avec intensité, en empathie totale, sur la corde raide. Elle a incarné des personnages très sombres : elle était déjà l'image du bonheur profané dans Le Vieux fusil, apparaissait dans des flash backs radieux et enjoués, terrifiants de contraste avec la vengeance de Noiret. Elle pouvait être à la fois totalement lumineuse et totalement sombre, équilibrant son personnage entre ces extrêmes. Elle peut être aussi une femme mystérieuse qui suit l'errance de Yves Montand dans Clair de Femme de Costa Gavras. Elle peut aussi être déterminée, comme dans La banquière, où l'on retrouve son caractère fort et inébranlable, qui ressemble à son intransigeance artistique. Le dénominateur commun de la plupart de ses personnages est d'ailleurs, et contre toute attente la force.
Jusqu'à la fin de sa vie elle dresse des portraits de femmes bouleversants de vérité comme dans La passante du sans-souci. Brisée par la mort de son fils, elle incarne ce rôle dans cette coïncidence toujours troublante entre sa vie et sa carrière. Elle y est une mère et une femme qui se débat pour se sauver des troubles de la guerre. Elle revisite de nouveau le passé d'une victime du nazisme. Le début du film est étrange, un homme important assassine un ambassadeur, puis on plonge dans son passé, celui de ses parents assassinés. C'est le dernier rôle de Romy. Le film sort un mois avant sa mort. Difficile d'oublier son destin lorsqu'elle tient cet enfant dans ses bras, son regard douloureux, expressif qui suggère tous ses sentiments à elle qui viennent enrichir son personnage. Et il y a toujours son sourire qui rayonne avec une fragilité poignante, tant il est inattendu, éclatant au milieu de la tragédie.
Romy Schneider bouleverse toujours. Peut-être parce qu'on connaît le drame de sa vie, les débuts insouciants et lumineux, les tempêtes de drames qui se sont abattus sur elle. Lorsqu'on la voit, c'est d'abord à cela qu'on pense. Mais elle frappe surtout par son exigence, sa trajectoire d'actrice qui l'incitait à aller vers l'inconnu, vers ce qu'elle n'avait pas déjà fait, avec une exigence têtue, une implication inébranlable. Au delà de l'image un peu évidente, du mythe autour d'elle, de ce que l'on projette sur elle, c'est cette intégrité intense et profonde qui la caractérise avant tout. Cette façon qu'elle avait d'incarner viscéralement ses rôles, d'aller plus loin, jusqu'à se faire violence et vaincre un trac dévorant. Des images éternelles et gracieuses: le beauté de son couple avec Delon, la complicité avec Piccoli et Sautet.
Elle est une légende, intense. Une actrice à présent débarrassée de son aura de princesse de conte de fée, cette réputation encombrante qui la minait et a gagné la place qui lui revient, celle d'une comédienne de référence, qui a imposé une nouvelle forme d'exigence dans son jeu, comme Patrick Dewaere. Ils étaient des comédiens qui osaient aller trop loin, quitte à y laisser un peu de leur âme, à se consumer, à ne pas savoir s'arrêter, à ne pas séparer l'art de la vie. C'est fragile, on pressent la tragédie, le danger d'évoluer sans filet. Et c'est peut-être cette fragilité là, cette urgence, cette souffrance qui fonde les vraies légendes et qui fait la vraie grandeur de l'art.
Romy Schneider aurait eu 70 ans cette année. Mais en dehors de toute commémoration, exercice toujours un peu apprêté et artificiel, sa carrière est sans cesse à redécouvrir et célébrer. Elle est une actrice qui a su s'imposer, faire oeuvre, trouver des rôles qui lui ressemblent et qui racontent de fort belle manière la femme qu'elle a été et l'influence majeure qu'elle exerce encore.
Nicolas Houguet
Merci pour cet article.
Rédigé par : sandrine | 20 mars 2008 à 17h04