Source : Le Figaro.fr - 22 février 2008
Voici un bonheur comme on en connaît peu, comme on en vit rarement. Cette représentation de L'Antichambre, de Jean-Claude Brisville, est un exceptionnel moment de qualité, qui désarme toute critique. Dès le lever du rideau, le spectateur est pris en charge, et il se laissera aller à l'intelligence, au charme et à la grâce de ce qu'on lui montre à voir et à entendre. Cela se fera sans émotion forte, sans intensité dramatique particulière. Tel n'est pas l'enjeu. On appelle cela le «théâtre de conversation». C'est un peu restrictif. Jean-Claude Brisville est passé maître dans ce registre, par son talent d'écriture, sa maîtrise de la langue et du dialogue, son savoir historique. Car avec lui, il s'agit le plus souvent d'Histoire. En l'occurrence d'un chapitre de l'histoire des idées, le chapitre des Lumières. L'antichambre en question est celle de Mme du Deffand, esprit fort, caractère affirmé. Elle y reçoit le meilleur de la société intellectuelle de son temps. Guettée par l'âge, elle a engagé pour l'assister sa jeune nièce Julie de Lespinasse, esprit brillant dont le caractère va lui aussi peu à peu s'affirmer. Le ressort de la pièce est dans la compétition qui va opposer les deux femmes.
Mais ce n'est pas la compétition intellectuelle qui intéresse ici Brisville, c'est la compétition sentimentale. On n'est pas dans le théâtre historique, ni dans le théâtre d'idées, on n'entre pas dans le gras des idées, dans la gravité de ces questionnements familiers aux encyclopédistes, on reste dans l'antichambre des idées -et d'ailleurs Mme du Deffand n'aimait pas la philosophie, elle aimait les philosophes-, on est dans l'humain, dans le mouvement discret des coeurs, dans les blessures légères de l'âme.
Quant à la stricte vérité historique, qu'importe, l'essentiel est de respecter la trame de l'Histoire. Car il arrive à Brisville de s'évader élégamment de la vérité, grâce à quoi s'ajoute à l'intérêt du « théâtre de conversation », et pour notre plus grand plaisir, le charme d'un « théâtre d'évasion ». L'auteur nous offre en effet une image idéale de la beauté et de la vertu de Julie. Mais l'Histoire serait bien sévère si le théâtre n'était pas là pour soulever nos émotions au prix de quelques libertés qu'on prend avec elle.
Car bien belle et bien vertueuse nous apparaît Julie de Lespinasse, qui réellement l'était moins, sous les traits de Sarah Biasini, heureuse révélation de la soirée. Quant à Mme du Deffand, peut-on imaginer qu'elle était à la hauteur de la perfection que nous offre Danièle Lebrun ? Dieu, quelle grâce, quelle prestance, quel esprit, quelle actrice ! Son mouvement des lèvres et son intelligence du regard resteront dans notre mémoire. Exceptionnelle. Entre elles deux, un comédien merveilleux, le vrai honnête homme : Roger Dumas. Et dirigeant ce trio de main de maître, le remarquable Christophe Lidon. Décor et costumes élégants. Bref, sur le tout et les parties du tout, on ne tarira pas d'éloges.
Philippe Tesson
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