Source : Le Journal du Dimanche.fr - 11 janvier 2009
Il y a ceux qui sont en larmes et ceux qui crient au scandale. Difficile de dire si on a aimé ou pas ce film très sombre. Seule certitude, Jean-Paul Belmondo, 75 ans et une centaine de films au compteur, nous a terriblement émus aux côtés d'Hafsia Herzi et une pléiade de seconds rôles prestigieux, dans le dernier film de Francis Huster, "Un homme et son chien".
Le visage est buriné, les cheveux sont blancs, la voix traîne un peu, il a du mal à marcher, qu'importe, Dieu qu'il est beau ! Jean-Paul Belmondo, 75 ans, reste cette gueule magnétique du cinéma français. Toujours dans notre coeur malgré l'absence, son nom réveille à chaque fois un pan de notre mémoire collective. A bout de souffle, Léon Morin prêtre, Borsalino, Le Magnifique, L'As des as, Itinéraire d'un enfant gâté... presque 100 films qui balaient plusieurs décennies avec toujours cette séduction inaltérable.
Depuis son accident vasculaire cérébral, en 2001, on pensait ne plus jamais revoir l'acteur au cinéma. Trop malade, trop fatigué, trop diminué ? Jean-Paul Belmondo s'est battu pour renaître. Des centaines d'heures de rééducation, de la souffrance et, au bout, la récompense : marcher un peu, parler aussi. Et ce film qu'il a tourné pendant dix semaines, Un homme et son chien, qui le replace au centre de l'écran noir, avec aux commandes le plus improbable des acteurs-cinéastes, Francis Huster. Il fallait sans doute sa foi, sa fougue, sa folie pour convaincre Belmondo de se lancer dans un projet encore plus dingue: réaliser le remake d'un film culte du néoréalisme italien, "Umberto D", de Vittorio De Sica (1952).
"Indécent de le montrer dans cet état"
Pas facile d'approcher un chef-d'oeuvre. Le fallait-il d'ailleurs ? Certains invoqueront le crime de lèse-majesté. Huster assume ce risque. A l'origine, l'histoire, aujourd'hui encore brûlante d'actualité, raconte la dérive d'un vieil homme quasiment sans ressources. Charles tente de survivre dans la rue avec son chien, unique et fidèle compagnon, après avoir été chassé de l'appartement de son ex-maîtresse qui veut refaire sa vie. Il va errer en quête d'une main tendue, tel un SDF, jusqu'au bout de ses forces.
Alors Belmondo a dit oui. Malgré les obstacles, n'exigeant de Huster qu'une chose: "Tu me filmes tel que je suis." A-t-il eu raison ? Voir Belmondo le pas hésitant, entendre les dialogues qui peinent à sortir de sa bouche, se dire que celui qui a un genou à terre a vraiment voulu se montrer comme il est, sera pour certains insupportable. Huster ne s'en défend pas. Il explique que ce film est comme une tragédie de Racine, que le public l'a reçu de deux façons bien différentes dans les festivals où, par deux fois, il a été récompensé par un prix.
Le film de trop ?
"J'ai vu des gens en larmes, émus comme jamais", dit Francis Huster. La garde rapprochée de Jean-Paul a elle aussi pleuré à la sortie du film. Certes, il y a eu ceux qui ont crié au scandale, ceux qui ont dit : "C'est indécent de montrer un homme dans cet état." A ceux-là, le réalisateur répond : "J'ai filmé Belmondo comme il me l'a demandé, sans trucages, mais il n'est pas le personnage. Il ne faut par confondre. C'est une composition d'acteur. La souffrance de Charles n'est pas celle de Jean-Paul."
Pour autant, le public le comprendra-t-il ? Acceptera-t-il de voir le mythe presque déchu, avec ses faiblesses, sa difficulté d'élocution, l'effort douloureux que l'on ressent quand il se déplace de quelques mètres ? Belmondo a-t-il repris le chemin des studios pour un film de trop? Certes pas. On est heureux de le revoir, sa prouesse inspire le respect. L'acteur est remarquable, incroyablement émouvant. En même temps, avouons qu'on est de ceux qui se révoltent de le voir ainsi. Mais aussi de ceux qui sont restés scotchés dès qu'il apparaît - et il est de toutes les scènes. Malgré une réalisation dépouillée, économe, volontairement sombre, étrangement passéiste.
Payés au tarif syndical
Huster n'a utilisé qu'une caméra (à l'exception d'une scène avec sa fille "parce qu'avec les enfants, on ne sait jamais ce qui va sortir"). Il a aussi limité à l'extrême tous les déplacements de Bebel. On le voit deux ou trois fois marcher, tous les autres plans fixes le montrent debout, assis, couché, bougeant le moins possible. Une cinquantaine de comédiens (Jean Dujardin, Robert Hossein, Michèle Bernier, Antoine Duléry, Françoise Fabian, José Garcia, Pierre Mondy, Sarah Biasini, Max Von Sydow, et tous les autres) ont accepté de participer au projet pour un jour ou deux, au tarif syndical, tournant juste une scène, ouvrant une porte, conduisant une voiture...
L'hommage ne nous en paraît que plus superbe, plus terrible. Car c'est bien cela qui nous déchire, ce sentiment funèbre, à l'image du héros qui court à sa perte. Alors, il est bien difficile de vous dire si on a aimé ou pas ce film. Pas vraiment, c'est vrai. Mais il y a Belmondo. On s'est parfois laissé hypnotisés, les yeux presque humides. Lui, si grand, si déchirant, si magnifique, nous a troublés. Et ce trouble s'est confondu avec la peine. Le géant blessé mais digne, l'acteur qui irradie, nous donne finalement une belle leçon de courage. Surmontant son drame humain, Jean-Paul Belmondo revient au cinéma. Pour une fois. La dernière? Pour plusieurs ? Peut-être. Quoi qu'on en pense, c'est la grande affaire de cette rentrée.
Danielle ATTALI