Entretien mené par Patrick Ferla, journaliste Mardi 26 janvier 2021 de 12h30 à 14h00
Après des études d’histoire de l’art, Sarah Biasini part deux années à Los Angeles où elle suit les cours de l’Actors Studio. On la découvre pour la première fois sur les écrans français en 2004 dans une courte série télévisée, Julie, chevalier de Maupin, aux côtés de Pierre Arditi. Suivront, entre autres, Un homme et son chien de Francis Huster ( 2009 ) ou encore Dors mon lapin de Jean-Pierre Mocky ( 2012 ). Attachée à se faire son propre nom, la fille de Romy Schneider et de Daniel Biasini laisse éclater son naturel et son ardeur. Parallèlement à sa carrière cinématographique, elle mène avec succès une carrière théâtrale et joue dans plus de vingt pièces, notamment sous la direction de Christophe Lidon. Tout en continuant de jouer au théâtre, Sarah Biasini change de mode d’expression et choisit l’écriture : La beauté du ciel ( Stock, 2021 ). Une femme écrit à sa fille qui vient de naître. Elle lui parle de ses joies, ses peines, ses angoisses, et surtout d’une absence, celle de sa propre mère, Romy Schneider. Dans ce récit fulgurant, poétique, hanté par le manque, Sarah Biasini se livre et explore son rapport à sa mère, à la mort, à l’amour.
Infos pratiques : Société de Lecture : Grand-Rue 11, 1204 Genève Le mardi 26 janvier 2021 De 12h30 à 14h00
En 1594, lorsqu’il écrit "la Mégère apprivoisée", William Shakespeare ne pouvait se douter que son texte trouverait un écho de grande actualité près de 400 ans plus tard. L’audacieuse mise en scène de Frédérique Lazarini, qui transpose la Mégère dans le cinéma italien des années 1950, soulignant ainsi le caractère intemporel de cette comédie, au delà de l’évolution des moeurs, se joue à l’Artistic Théâtre à Paris avec Sarah Biasini, Delphine Depardieu, Cédric Colas… à partir du 15 décembre, date où réouvrent les théâtres : merci d’être au rendez-vous de ce nouveau départ pour soutenir le spectacle vivant qui en a le plus grand besoin !
La langue incisive de Shakespeare est à l’œuvre dans cet échange vif entre Petruchio et Catarina au début de la pièce quand leur affrontement est très direct. Petruchio tente de séduire et d’apprivoiser une Catarina «insoumise» :
PETRUCHIO : Bonjour Cateau, car c’est là votre nom ai-je entendu dire ? CATARINA : Ne seriez-vous pas précocement sénile ? En tous les cas vous avez l’oreille un peu dure car ceux qui parlent de moi me nomment Catarina. ETRUCHIO : Vous mentez, ma parole ! Car on vous nomme Cateau tout court, ou la jolie Cateau, ou bien parfois Cateau-la-harpie : mais Cateau, la plus ravissante Cateau de la chrétienté, Cateau du Château-Gâteau, Cateau ma super-sucrerie, car tout gâteau est friandise, donc, Cateau, écoute un peu, Cateau ma consolation, ce que j’ai à te dire : ayant entendu, dans toutes les villes que je traversais, louer ta douceur, célébrer tes vertus et proclamer ta beauté, bien moins cependant qu’elles ne le méritent, je me suis porté à ta recherche pour te prendre pour épouse. CATARINA : (Lui crachant à la figure) Porté ! Voyez-vous ça ! Et bien puisque vous vous êtes porté jusqu’ici, remportez-vous ! Sur le champ… J’ai tout de suite vu que vous n’étiez rien d’autre qu’un meuble !
Cet affrontement violent qui court tout au long de la pièce résonne de façon très pertinente à notre époque de dénonciation sexiste d’une domination masculine has-been mais trouve sa place naturelle dans le contexte cinématographique de l’Italie (encore très machiste) des années 1950–60 où l’inventivité de la mise en scène de Frédéric Lazarini place cette comédie intemporelle. Alternent les scènes jouées et les scènes filmées qui font des acteurs leurs propres spectateurs rajoutant au cocasse de l’intrigue shakespearienne.
La déesse Mégère La grande question qui court la pièce est celle des rapports hommes femmes dans le mariage avec, quelle que soit l’époque, les tentatives féminines de révolte contre le pouvoir masculin alors encore indiscutable. Shakespeare noue habilement les situations tendues et comiques qui émanent de cet affrontement séculaire pour résoudre un conflit que tous savent alors – et maintenant encore – insoluble, celui des conflits conjugaux centrés sur la rivalité du pouvoir. Dans la mythologie grecque, Mégère (étymologiquement : la haine) est l’une des trois Erinyes, ces déesses chargées de punir les auteurs de crimes tout au long de leur vie jusqu’à les rendre fous. C’est exactement ce que prétendent souvent les couples en conflit au long cours : «Il/elle me rend fou !» On comprend là que c’est un châtiment !
Toujours dans la mythologie, les mégères sont des créatures hideuses, ayant pour cheveux des serpents, munies d’ailes et de fouets et dont le sang coule par les yeux. En d’autres termes : «une furie !» Cette image ancestrale de l’épouse en colère – évidemment souvent en réaction à la domination masculine – a traversé les siècles au point où le mot «mégère» est devenu un nom commun pour désigner une femme violente et agressive. Catarina (Delphine Depardieu)
Dilemme Les hommes se bousculent pour épouser Bianca, douce et cadette fille de Baptista qui ne peut – tradition oblige – marier la cadette avant l’aînée et surtout pour que l’indomptable Catarina ne lui reste pas «sur les bras» ! Baptista s’adresse directement à tous les prétendants, Grémio, Hortenso, Lucentio, Tranio… : «Ne m’importunez plus, messieurs. Vous le savez, ma résolution est ferme : je n’accorderai pas ma fille cadette Bianca avant d’avoir trouvé un mari pour l’aînée Catarina. Si l’un de vous deux aime Catarina, comme je vous connais bien et vous tiens en amitié, il a ma permission de lui faire la cour.» Ce qui laisse Lucentio et Tranio, son valet, perplexes… Baptista (Maxime Lombard), Lucentio (Pierre Einaudi) et Tranio (Guillaume Veyre)
Devant cette «furie» que personne ne sait dompter, Baptista, se sent soulagé lorsque Petruchio dit vouloir épouser sa fille aînée : «Seigneur Petruchio, je vous envoie ma fille ! Courage !»
PETRUCHIO : Nous y voilà… Je lui fais ma cour gaillardement. Si elle se met à vociférer, eh bien je lui dis que son chant est aussi suave que celui du rossignol, si elle s’avise à froncer le sourcil, je maintiens que son visage est aussi limpide et pur que la rose du matin ! Si elle me somme de faire mes paquets, je la remercie comme si elle m’invitait à demeurer la semaine chez elle, si elle refuse de m’épouser, je lui demande avec tendresse à quelle date je dois faire publier les bans !
Apprivoisement La pièce de Shakespeare se conclut sur «l’apprivoisement» de la mégère, selon les mœurs d’une époque encore très misogyne et méfiante du pouvoir des femmes :
BAPTISTA : Allons, cher Petruchio, toutes mes félicitations ! Vous avez gagné le gage et c’est encore une nouvelle dot que je veux vous offrir car ma fille Catarina a tant changé qu’on ne saurait la reconnaître. TRANIO : Ah ça ! La panthère s’est transformée en une douce colombe. (Baptista rechante la chanson) PETRUCHIO : Mes amis, mes amis ! Vous n’avez pas cessé de vous émerveiller et je vais vous donner une nouvelle preuve de son obéissance et de son mérite. Catarina va se charger de vous expliquer à vous, messieurs et à vos épouses rebelles, tout le respect qu’elles doivent à leurs époux…Catarina, viens t’assoir près de moi Catarina, ma chérie.
La fine mise en scène de Frédérique Lazarini double cette fin d’un retournement «féministe» d’actualité que je vous laisse découvrir en allant assister à cette comédie intemporelle qui constitue l’un des très grands moments du théâtre universel.
"La Mégère apprivoisée" de William Shakespeare, mise en scène de Frédéric Lazarini, à l’Artistic Théâtre, 45 bis, rue Richard Lenoir 75011 Paris, Du 15/12/2020 au 17/01/2021 les mardi, jeudi et vendredi à 19 heures, les mercredi, samedi et dimanche à 15 heures et samedi à 18h30. Réservation au 01 43 56 38 32 ou sur http://artistictheatre.com
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Même si la carrière de Robert Enrico reste riche, avec des films d’aventures à la française ("Les Grandes Gueules", "Les Aventuriers", "Boulevard du Rhum"), des polars ("Pile ou face") et même un grand film historique (la première partie de "La révolution Française"), c’est "Le Vieux Fusil" qui reste son œuvre la plus célèbre, récompensée par plusieurs Césars. Un film fort, dominé par la présence et le talent de ses comédiens. "Le Vieux Fusil" s’ouvre et se clôt sur la même image : un homme, une femme et une enfant se promenant en vélo sur un petit chemin de campagne, accompagnés d’un chien. Image d’un bonheur familial dans un cadre calme et serein encore renforcée par la superbe musique de François de Roubaix.
Mais si la scène est identique, le sentiment éprouvé par le spectateur est très différent. Car entre-temps, le spectateur a été témoin de choses dures, éprouvantes. "Le Vieux Fusil" est un film émouvant, une belle œuvre qui ne cède pas à la facilité mais touche et bouleverse en profondeur.
"Le Vieux Fusil" est nettement divisé en trois parties. Au début, le film de Robert Enrico nous entraîne à Montauban en 1944. Philippe Noiret incarne le docteur Dandieu, un médecin dont la profession est forcément bouleversée par la guerre et l’Occupation. Les blessés s’entassent dans la salle principal de l’hôpital, les médicaments manquent, le chirurgien passe des journées entières au bloc opératoire, et la milice se permet de faire irruption dans l’hôpital pour enlever des blessés “communistes” ou “saboteurs”. En règle générale, c’est toute la vie à la ville qui est rendue extrêmement compliquée par l’Occupation. L’armée patrouille sans cesse, deux hommes sont pendus à des armes le long des rues, Dandieu doit se fournir en médicaments au marché noir, sans même mentionner les canonnades et explosions qui ébranlent les maisons et terrifient leurs habitants.
Au milieu de ce contexte difficile, la seule consolation de Dandieu, c’est sa petite famille, sa mère, sa fille, et surtout sa femme Clara. Romy Schneider est exceptionnelle dans ce rôle. Lumineuse, radieuse, elle incarne plus qu’un personnage : une lumière (ce quoi renvoie son prénom). Même au milieu des bruits de bombardements, elle conserve sa grâce. Cette lumière donne la vie autour d’elle. Elle est littéralement la raison d’être de Dandieu et le centre de toute la famille.
Cette image restera constamment, tout au long du film. Si, en nombre de minutes, Romy Schneider est peu présente à l’écran, son personnage est pourtant le centre même du film. C’est son souvenir qui va guider le docteur dans son expédition vengeresse. La seconde partie du film se déroule dans deux temporalités différentes : le présent, où le docteur découvre qu’un hameau entier a été exécuté par une troupe de soldats nazis (l’épisode s’inspire du massacre d’Oradour-sur-Glane), et le passé des souvenirs.
A ce moment-là, le film aurait pu sombrer dans le plus grave des pathos. La scène du viol et du meurtre de Clara est à la limite de l’insoutenable. Mais l’irruption des flashbacks va redonner une vie, une lumière paradoxale à ce qui aurait pu être insupportablement sombre. Pendant qu’il prépare sa vengeance contre les soldats nazis, Dandieu va être assailli par les souvenirs de sa femme, sa rencontre avec elle, sa petite vie de famille de bon père bourgeois de province avant la guerre, etc. Et, là aussi, là surtout pourrait-on dire, la jeune femme représente la vie, la lumière, la grâce.
De ces flashbacks va donc se dégager une impression paradoxale, mélange de bonté, de sérénité, de joie, et de douleur (car cette lumière s’est éteinte, car tout cela est irrémédiablement du passé désormais). Clara Dandieu, c’est la vie au sein de la mort.
A travers cette histoire de massacre(s), Le Vieux Fusil nous montre comment l’horreur de la guerre se répand et contamine tout le monde. Rien ne laisse présager, dans la première partie du film, que le docteur se transforme en un vengeur qui assassine froidement.
Au début, Dandieu est un homme qui essaie de faire son métier de son mieux (au vu des circonstances). Il avoue clairement qu’il ne fait pas de politique. Mais est-il possible de rester neutre en une telle période ? Est-il possible de rester stoïque quand les miliciens emportent des blessés ?
Dandieu pensait sincèrement échapper à tout cela et protéger sa famille en l’envoyant à la campagne, dans le hameau de la Barberie. Et c’est vrai que les images bucoliques semblent être à l’opposé de la situation tendue et compliquée de la ville. Aucun bruit de canons, aucun mort pendu aux arbres, aucune patrouille qui circule, aucun papier à contrôler…
Mais pourtant, la guerre ne préserve rien, tout est touché, souillé par sa folie destructrice. La Barberie devient la Barbarie. Et même Dandieu, que tout nous présente comme un homme doux et débonnaire, se transforme en un tueur froid et méthodique.
"Le Vieux Fusil" est un grand film. Philippe Noiret est exceptionnel (il faut voir cette image, furtive, lorsqu’à la fin du film il se rend compte de tout ce qui vient de lui arriver). Il est parfaitement secondé par un Jean Bouise qui a toujours été un des meilleurs seconds rôles du cinéma français. La présence de Romy Schneider évite au film, avec justesse, de sombrer dans le désespoir absolu en lui apportant la lumière et la grâce. Une grâce paradoxale qui donne au film sa tonalité si particulière.
Le Vieux Fusil : fiche technique Réalisation : Robert Enrico. Scénario : Pascal Jardin, Robert Enrico Interprètes : Philippe Noiret (le docteur Dandieu), Romy Schneider (Clara Dandieu), Jean Bouise (François) Photographie : Etienne Becker Montage : Eva Zora Musique : François de Roubaix Production : Pierre Caro Sociétés de production : Artistes associés, Mercure Productions, TIT Filmproduktion Société de distribution : Les Artistes associés Date de sortie en France : 20 août 1975 Genre : drame Durée : 103 minutes
En 1970, c’est un curieux projet que Romy Schneider choisit pour son premier long-métrage de l’autre côté des Alpes (après avoir tourné dans le sketch de Visconti pour le film collectif "Boccace 70", en 1962). Premier film du poète et romancier Alberto Bevilacqua, "La Califfa" tente un numéro d’équilibriste entre poésie fellinienne et drame socio-politique reflétant l’ère du temps, sur une partition d’Ennio Morricone. Hélas, la prestation impeccable du duo Schneider-Tognazzi ne suffit pas pour franchir les nombreux obstacles dressés par cette œuvre brouillonne d’un débutant. Entre "La Piscine" et "L’Assassinat de Trotsky", "La Califfa" donna néanmoins l’occasion à la comédienne de tenter une aventure audacieuse qui lui permit de dépasser définitivement son image de Sissi.
Alberto Bevilacqua, qui manie avant tout la plume, réalise en 1970 son premier long-métrage, l’adaptation de son premier succès en tant qu’écrivain, "La Califfa". Il transpose toutefois son récit dans le contexte des années de plomb en Italie – les Brigades rouges sont fondées l’année de sortie du film. Plus généralement, l’œuvre se nourrit à la fois de l’âge d’or du cinéma italien et des tendances naissantes. D’une part, on y trouve un côté opératique à travers de nombreuses scènes fantasmées et quelques personnages grotesques (comme celui du «Prince»), qui renvoient à Fellini. De l’autre, le film s’inscrit pleinement dans une époque d’agitation sociale et de radicalisation politique (Elio Petri et Francesco Rosi réalisent au même moment leurs grands films engagés), à la suite des mouvements sociaux de 1968, quoique Bevilacqua s’en distingue par un regard particulièrement désabusé : rien ni personne n’est à sauver.
Dans le cadre de grèves récurrentes, le mari d’Irene (qu’on désignera presque exclusivement par le surnom de Califfa, référence aux meneuses d’hommes dans la plaine du Pô) est tué. Irene (Romy Schneider) épouse alors le combat social et devient une sorte de Pasionaria des grévistes. Elle fait face à Annibale Doberdò (Ugo Tognazzi), ancien ouvrier devenu patron d’industrie, un homme pragmatique, insensible aux passions humaines – dans une scène, il dit accepter de «parler chiffres, pas de morale» – et prêt aux compromissions politiques et éthiques. Le film vaut aujourd’hui surtout pour ses comédiens principaux, qui tous deux s’attachent à l’époque à casser leur image. Dans un rôle de forte tête, Romy Schneider embrase la pellicule dès la première scène grâce à sa plastique de rêve et à son regard ensorcelant. La comédienne franco-allemande n’hésite pas à jouer à fond de sa sensualité, jusqu’à se mettre littéralement à nu dans plusieurs scènes (les livres de Bevilacqua sont très érotiques). La gentille Romy des Heimatfilms de ses débuts est bien loin ! Son partenaire à l’écran, Tognazzi, se situe dans une même démarche, lui qui est surtout connu comme un acteur de comédies, même s’il est déjà sorti plus d’une fois de sa zone de confort, notamment avec Porcherie (Porcile) de Pasolini, sorti l’année précédente. Il utilise à bon escient son charisme d’homme qui s’est fait tout seul, mais au prix d’une conscience au rabais et d’une déconnexion avec ses émotions.
Le contexte social brûlant pousse d’abord les deux protagonistes dans des camps opposés, comme par principe. "La Califfa" excite les passions des masses ouvrières, balance rageusement les fournitures de l’usine au nom de Doberdò dans la rivière et n’hésite pas à se dresser sur la route de la voiture du patron, préfigurant cet étudiant chinois sur la place Tian’anmen, au printemps 1989. Alors qu’il manque de l’écraser, elle crache sur le véhicule. Doberdò, lui, feint l’insensibilité et maîtrise tous les codes pour s’imposer aux autres. Ainsi, il tente d’humilier "La Califfa" – sans succès – en lui reprochant un manque de cohérence, puisqu’elle est revenue travailler après avoir craché sur sa voiture la veille. En filigrane, le passé fasciste de l’Italie est régulièrement convoqué en guise d’avertissement : alors que Doberdò quitte le site de l’usine dans sa berline rutilante avec chauffeur, on aperçoit une pancarte à l’entrée, portant le message : «Doberdo, souviens-toi comment a fini Mussolini». Le crépuscule des idoles est annoncé.
Nos deux héros vont cependant se révéler capables de dépasser ce cadre social qui les enferme. Entre ces deux êtres que tout oppose va alors naître une passion qui, quoique improbable, ne manque pas d’intérêt. La relation amour-haine des débuts (lui est arrogant et impulsif, elle méprise ce qu’il représente) évolue en sentiments sincères lorsqu’ils parviennent à se nourrir l’un de l’autre. Tandis que "La Califfa" apprend à Doberdò à renouer avec son humanité et son passé, elle découvre un homme plus nuancé qu’elle ne le pensait et commence à le comprendre. Cet apprentissage amoureux amènera Doberdò à proposer aux ouvriers une solution radicale pour débloquer la grève : les associer à la direction de l’usine. Cette rédemption représente toutefois une trahison impardonnable vis-à-vis de sa caste, qui finira par lui coûter la vie. L’idéalisme de "La Califfa" ne lui aura rapporté qu’un second deuil à endurer, tandis que, dans les rues, l’heure n’est pas plus à l’apaisement (lors de l’enterrement d’un ouvrier suicidé, une partie de la population locale traite les membres de la procession de «communistes», et l’affrontement éclate avec les forces de l’ordre).
Si l’on retient son beau duo de comédiens et le lyrisme de la bande-son, omniprésente, signée du maestro lui-même, Ennio Morricone, le film s’égare hélas dans son ambition déraisonnable. Le scénario de Bevilacqua est particulièrement confus, la psychologie des personnages inexistante, les dialogues fumeux, la mise en scène sans génie et le montage trop généreux en ellipses. Cela fait beaucoup… L’intrusion fréquente de tableaux irréels ne fait, au mieux, qu’accentuer le côté artificiel de l’intrigue, au pire il ajoute au film une suffisance qui manque d’inspiration.
Pour sa première réelle expérience du cinéma italien, Romy Schneider n’a assurément pas choisi la voie de la facilité. Ce film peu convaincant ne ralentit cependant guère l’irrésistible ascension internationale de la star, qui a déjà, à l’époque, fait son trou en France et ailleurs, et qui tournera encore avec bon nombre de grands cinéastes (Sautet, Zulawski, Chabrol, Costa-Gavras, Tavernier…) jusqu’à sa disparition tragique en 1982, âgée d’à peine 43 ans. Elle revint par ailleurs bien vite en Italie, cette fois pour une œuvre nettement plus aboutie, le "Ludwig" de Visconti (1972), où elle interpréta pour la quatrième fois le personnage de "Sissi" !
Synopsis : Des grèves secouent l’Italie. Le mari de "La Califfa" est tué et elle devient la meneuse des grévistes. Elle s’oppose surtout au patron de l’usine, Doberdò, lui-même ancien ouvrier. L’opposition se transforme soudain en passion amoureuse…
Thierry Dossogne
La Califfa : Fiche technique Réalisateur : Alberto Bevilacqua Scénario : Alberto Bevilacqua Interprétation : Romy Schneider (Irene Corsini, «La Califfa»), Ugo Tognazzi (Annibale Doberdò), Marina Berti (Clementine Doberdò) Photographie : Roberto Gerardi Montage : Sergio Montanari Musique : Ennio Morricone Producteur : Mario Cecchi Gor Durée : 112 min. Genre : Drame Date de sortie : 16 juin 1972 Italie – 1970
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Il a souvent été reproché à Claude Sautet de faire un cinéma d’hommes, sur les hommes, mettant en minuscule la jonction féminine de la société, et portant son regard sur l’amour ou les amertumes d’une certaine frange de la société, souvent parisienne. Pourtant, cette fois-ci, avec "Une histoire simple", le cinéaste offre un rôle sur mesure pour celle avec laquelle il a déjà beaucoup travaillé : Romy Schneider.
Le titre du film, "Une histoire simple", est peut-être évocateur : il n’est pas aussi poignant que "Les Choses de la vie" ou aussi sentimental que "César et Rosalie", mais le film n’en demeure pas moins un Claude Sautet admirable, précieux par la justesse de ses traits et la candeur de son propos. Dans une œuvre au cadre sociologique et à l’environnement habituels chez Claude Sautet (les fameuses grandes réunions de familles «bourgeoises» et les immenses tables), c’est dans ces œuvres-là que le talent des acteurs joue beaucoup. A cette occasion, Une histoire simple sera parfaitement servi par la magnétique Romy Schneider mais aussi par le brumeux Bruno Cremer. C’est alors que se construit devant nous un beau portrait de femme (même de plusieurs femmes), au destin nébuleux, dans une époque 70’s où un vent de liberté pointe le bout de son nez, tout en voyant un questionnement de mœurs s’ajouter par-dessus.
Marie est le personnage central du film (Romy Schneider) mais est aussi le point névralgique par lequel tous les arcs narratifs passent. La caméra, prenant souvent le point de vue de Marie, analyse autant les femmes que les hommes, pour disséquer, comme aime le faire Claude Sautet, la sphère du couple amoureux, mettant en exergue le poids et les controverses de chacun. C’est cette cohabitation qui fait tout le charme et toute la beauté intrinsèque du film : voir une femme de plus en plus sûre d’elle, libre et indépendante, et qui observe, presque hagarde, des hommes autour de plus en plus fantomatiques et déchirés par les heurts de la vie, à l’image des personnages de Jérôme, Georges ou même Serge.
Dans un monde professionnel de plus en plus rude, entre demande de performance destructrice et mondialisation omniprésente, il y a cette épée de Damoclès qui survole chacun des personnages. "Une histoire simple", c’est aussi un monde masculin sûr de lui au préalable, pensant pouvoir divaguer sans rendre de compte, et pensant que parler plus fort que les autres est une marche à suivre, et qui voit par la suite craqueler ses certitudes par une société mutante et mouvante, notamment dans l’affranchissement du monde féminin (Jérôme qui ne savait pas qu’on pouvait quitter quelqu’un pour personne). Que cela soit sur le rôle de mère, d’épouse, d’amie, d’amante ou de salariée, Claude Sautet prend le temps de tout observer et de rassembler toutes les pièces du puzzle, pour laisser la parole à Marie et lui faire vivre l’indépendance qu’elle s’octroie elle même.
Pourtant, de cette mélancolie, de cette noirceur presque intangible, de ces drames qui marquent une vie (suicide, grossesse, avortement, rupture, licenciement), Une histoire simple est d’une fraîcheur inattendue, qui vaut le détour autant par l’écriture du personnage de Marie que par la prestation, tout en nuance, de Romy Schneider. A travers son regard parfois lourd de sens, sa voix posée, sa prestance naturelle ou même la beauté de son sourire, l’actrice illumine le film à elle seule et est le marqueur de la fluidité habituelle du cinéma de Claude Sautet, tant dans les dialogues que dans la mise en scène. Elle gagnera le César de la meilleure actrice pour ce rôle, en 1979.
Commençant par des larmes de solitude et de regrets, voyant Marie assise ou au fond d’un lit, le film se terminera sur son sourire dévoilant une liberté apaisante, une prise de décision personnelle, pleine d’assurance et embellie par le mouvement.
Fiche technique – Une histoire simple Réalisateur : Claude Sautet Scénario : Claude Sautet, Jean-Loup Dabadie Casting: Romy Schneider, Bruno Cremer, Claude Brasseur… Durée : 1h47 Genre: Drame Date de sortie : 22 novembre 1978
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