Source : De la cour au jardin - 14 septembre 2024
Une veuve pas si joyeuse que ça…
Elle doit choisir, Rosaura, elle doit se remarier, son tonton de Pantalone lui a bien stipulé ! Ce ne sont pas les prétendants qui lui font défaut, à la belle vénitienne !
En effet, quatre galants vont se presser autour d’elle afin de gagner son cœur.
Tout droit venu de Madrid, Don Alvaro de Castiglia va faire valoir son illustre lignage, et son arbre. (Je ne vous en dis pas plus…).
On the left side, Milord Runbif, gracieux sujet de sa Majesté Georges II.
Il signor Conte di Bosco Nero est le régional de l’étape, puisque digne enfant de la botte italienne. Et puis, comment pourrait-il en être autrement, la France est présente dans cette compétition, grâce à son représentant Monsieur Le Blau.
Qui sera l’heureux élu ? Y en aura-t-il seulement un ? Comment Rosaura s’y prendra-t-elle pour désigner celui qui aura ses faveurs ?
Giancarlo Marinelli a eu l’excellente idée d’adapter et de mettre en scène cette comédie que Carlo Goldoni écrit en 1748, pour en tirer un très beau et très inspiré moment de théâtre.
Cette comédie peu montée et donc peu jouée dans nos contrées hexagonales, est une pièce charnière dans l’œuvre immenses de l’auteur de "La trilogie de la villégiature", "L’imprésario de Smyrne" ou encore "Les rustres".
Ici, Goldoni, qui entre dans le seconde partie de sa vie, établit une sorte de pont dramaturgique entre deux conceptions du théâtre.
Il s’éloigne du théâtre traditionnel italien, la Comedia Dell’Arte, pour promouvoir son propre style, fait de réalisme social et de vérité sociologique.
"La veuve rusée", donc, nous permet de constater cette inéluctable évolution.
Durant ces presque deux heures, nous allons assister à des restes de jeu traditionnels, avec notamment le personnage d’Arlequin, ainsi que des personnages joués de façon très vériste.
Le metteur en scène a parfaitement su nous montrer ceci, en alternant des scènes très outrées et d’autres beaucoup plus réalistes. Parfois, il réussit à imbriquer ces deux styles de jeu.
Le parti-pris est très judicieux, et fonctionne à la perfection.
Nous serons donc pris entre une mise en scène avec des moments très en puissance, où les corps trouvent toute leur force, et d’autres beaucoup plus intimistes, plus centrés sur une dimension psychologique.
Il parviendra à mettre en évidence un autre aspect assez étonnant de cette pièce : un côté féministe de bon aloi va régner durant ces quelque cent-vingt minutes. Au final, les deux jeunes personnages féminins ne vont pas s’en laisser compter.
Rosaura, sur les bons conseils de Marionnette, sa dame de compagnie, saura rester maîtresse de son destin, et c’est elle qui aura le "final cut" ! La ruse, ça paye !
Deux comédiennes et cinq comédiens tous parfaits dans leur rôle vont nous raconter et nous montrer cette histoire de choix.
Caterina Murino et Sarah Biasini sont la belle vénitienne et sa non moins belle amie.
Elles sont totalement convaincantes, et nous suivons avec jubilation la façon qu’elles ont de faire tirer les ficelles à leur personnage.
Le metteur en scène a parfaitement su mettre en avant les traits de caractère et les sentiments propres à ces deux jeunes femmes.
Le quatuor de prétendants est interprété par quatre comédiens bien connus du public parisien.
Vincent Deniard, Vincent Desagnat, Thierry Harcourt (qui retrouve donc les planches en temps qu’acteur et non plus comme seul metteur en scène) et Pierre Rochefort sont eux aussi parfaits.
Chacun s’en donne à cœur joie de caricaturer gentiment les caractéristiques de chaque nationalité.
Nous rions par exemple énormément des mimiques et du jeu un peu précieux de Vincent Desagnat, en jeune franchouillard avant l’heure, imbu de lui-même et invétéré prétentieux.
Les trois autres eux aussi nous amuseront beaucoup, en exploitant au mieux les travers de leur personnage. Le quatuor masculin est remarquable de cohérence : personne ne cherche à tirer à soi la couverture.
Et puis Tom Leeb sera un Arlequin remarquable de drôlerie, de vis comica. Le jeune comédien déploie beaucoup d’énergie et d'engagement physique. Ses mimiques outrées, ses double-takes, ses ruptures sont épatantes ! Il sera très applaudi.
Un dernier point : ce spectacle est d’une merveilleuse beauté visuelle, avec notamment les magnifiques costumes de l’atelier vénitien de Stefano Nicolao, et les très belles projections vidéo de Francesco Loppergolo.
Vous avez donc compris que vous pouvez diriger vos pas en toute confiance aux Bouffes parisiens.
Une excellente soirée de très beau théâtre vous y attend !
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