Source : A voir - A lire.com - 13 août 2023
Une œuvre à part dans la filmographie de Dino Risi, qui tentait une audacieuse intrusion dans le romanesque onirique avec ce récit d’une beauté étrange.
Reprise : 23 août 2023
Résumé : À bord d’un autobus à Pavie, Nino Monti, expert fiscal installé, prête une pièce de cent lires à une dame à l’air déboussolé. Le soir même, cette dernière retrouve sa trace et lui téléphone en se présentant comme Anna Brigatti, une ancienne maîtresse que Nino a follement aimée, vingt ans auparavant. Comment cette femme si séduisante a-t-elle pu changer au point de devenir méconnaissable ? C’est alors qu’un vieil ami médecin lui assure qu’Anna est morte trois ans plus tôt d’une terrible maladie. Plus Nino cherche à démêler le vrai du faux, plus la réalité se trouble sous ses yeux…
Critique : Tiré d’un roman de Mino Milani adapté par Bernardino Zapponi, "Fantôme d’amour" se situe dans la veine sombre de Dino Risi et adopte une veine onirique inédite dans son œuvre. Le réalisateur a longtemps été, à juste raison, assimilé à un maître de la "comédie italienne", ce que confirment de grandes réussites comme "Les monstres" ou "Le veuf", perle méconnue de sa filmographie. Pourtant, l’humour noir imprégnait déjà ces œuvres et la noirceur était carrément installée dans ses deux plus brillants opus des années 1970, à savoir "Parfum de femme" et "Cher papa". Et l’on ne trouvera qu’une unique pointe de burlesque dans "Fantôme d’amour", à travers le pittoresque personnage d’un ancien prêtre allumé reconverti dans les sciences occultes (Michael Kroecher). Coproduction italo-franco-allemande, le métrage voit son action se situer essentiellement à Pavie, filmée comme une ville irréelle, la brume et la pluie rendant ses ruelles mystérieuses et propices à la songerie (splendide photo de Tonino Delli Colli).
Nino Monti (Marcello Mastroianni), notable quinquagénaire, y vit une existence paisible en compagnie de sa bienveillante mais conventionnelle épouse (Eva Maria Meineke), s’accordant de rares moments de détente avec de vieux camarades de jeunesse. Lorsqu’une femme vieillissante et en situation de précarité (Romy Schneider) se présente à lui comme son ancien amour, Anna, Nino voit tout un pan de son passé ressurgir avec nostalgie. Mais lorsqu’on lui apprend que la femme est décédée il y a trois ans, sa vie va véritablement basculer. Nino est-il victime d’une aventurière ? Le chirurgien qui se dit avoir été témoin de sa mort se trompe-t-il ? Le titre français du film mène le spectateur sur la piste la plus crédible, mais son titre italien, "Fantasma d’amore", offre une alternative. Et si Nino prenait ses désirs pour la réalité, à l’instar de Séverine dans Belle de jour ? Cette lecture à plusieurs niveaux est l’un des intérêts du film, qui convoque aussi d’autres références, comme "L’aventure de Madame Muir" de Mankiewicz et surtout le "Vertigo" de Hitchcock, la partition douce de Riz Otolani (thème du film interprété à la clarinette par Benny Goodman) faisant écho à celles, plus lyriques, de Bernard Herrmann.
Croisant plusieurs genres dont le romanesque, le fantastique, le policier voire le gore (le meurtre atroce d’une concierge), "Fantôme d’amour" mérite vraiment une seconde chance, car le film fut accueilli plutôt tièdement à sa sortie, à quelques exceptions près, comme un article de Jean A. Gili dans La Revue du cinéma (n°361, mai 1981). Et il n’a pas été un franc succès public, malgré la présence de ses deux stars. Marcello Mastroianni est éblouissant et montre la face fragile de sa persona. Quant à Romy Schneider, elle émeut forcément, surtout quand on sait qu’il s’agit de l’un de ses derniers films, et qu’une authentique douleur se lit sur son visage. On regrettera toutefois le doublage inhérent aux coproductions puisque dans la version originale, sa voix est celle d’une comédienne italienne (Vittoria Fabi), ce qui gâche une partie de sa composition. "Fantôme d’amour" a fait l’objet d’une restauration et ressort en salle en même temps que "Cher papa", à l’initiative du distributeur Les Acacias.
Gérard Crespo