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Article intérieur : * Romy Schneider : "Si je ne suis pas une femme moderne, tant pis !" * "Une histoire simple"
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Source : Télérama - 13 mars 2022
ARCHIVES — A l’occasion de l’exposition qui s’ouvre sur l’actrice à la Cinémathèque, nous republions notre entretien avec Romy Schneider qui commentait alors la sortie en salles d’“Une Histoire simple”, de Claude Sautet.
De Sissi, la jeune et mièvre princesse ingénue, à Marie, l’héroïne d’Une Histoire simple, qui irradie en silence son besoin fou de guetter la peine sur le visage des autres, sa soif d’un bonheur sans ombre, d’une amitié sereine et sans éclairs, Romy Schneider s’est battue avec passion pour imposer l’image d’une femme miraculeusement propre. Elle est femme, volontaire et têtue. Elle ne supporte ni la médiocrité ni la décrépitude des sentiments. Le trac la paralyse. L’angoisse la mine. Elle n’en finit pas de douter d’elle-même en voulant défier l’encombrant portrait de cette bergère de Saxe qui l’a poursuivie si longtemps. Qui la poursuit encore ?
Un sourire illuminant un visage anxieux. Un corps presque frileux de timidité dans son pull et pantalon noir. Un coup d’œil inquiet en direction du magnétophone : « Qu’est-ce que c’est que cette bête-là ? » Un nouveau sourire un peu peureux. Une parole radieuse de gentillesse : « Vous êtes poli ! Vous avez l’air gentil ! C’est rare ! » Romy Schneider parle et, d’entrée, se décharge d’une terreur : que l’on n’aille surtout pas imaginer que le personnage qu’elle interprète lui ressemble, de près ou de loin…
- Marie a quarante ans et elle veut savoir où elle va. Elle regarde autour d’elle, essaie de vivre avec les autres sans se contenter d’être témoin ou spectatrice. Sans cris, explosions ni hurlements, elle essaie de les aider. Il arrive un moment dans la vie où il faut cesser de ne voir que ses propres problèmes. Marie pense que la tendresse et l’amitié sont peut-être plus importants que l’amour-passion. Et moi, je suis une comédienne qui essaie de donner tout ce qu’elle a dans les tripes, comme on dit. Mais j’en ai assez. Je ne veux plus que les gens s’imaginent me reconnaître à travers un personnage. De plus en plus, je choisis des rôles de composition. L’héroïne du film de Sautet n’a rien à voir avec Romy. Suis-je assez claire ?
Télérama : C’est un personnage très différent de ceux que Claude Sautet vous a offert jusqu’ici ?
Romy Schneider : Totalement. Un jour, après Mado, j’ai dit à Claude : "S’il te plaît ! J’en ai un peu marre que tu fasses des films de mecs ! Veux-tu m’offrir un beau film de femme". Il m’a répondu qu’il allait essayer… Et un jour, il est arrivé chez moi pour me dire : "J’ai trouvé ! Mais ce n’est pas l’histoire d’une femme. C’est l’histoire des femmes".
Télérama : S’il a écrit avec Jean-Loup Dabadie ce personnage en pensant à vous, vous devez bien y retrouver des traits de votre propre caractère ?
Romy Schneider : Bien sûr. Mais il y a d’autres traits qui ne me ressemblent pas. Il y a des moments où je ne comprends pas Marie, où j’aurais agi autrement.
Télérama : Lesquels ?
Romy Schneider : Je crois que dans la vie je ne suis pas aussi généreuse qu’elle. Et moi je n’accepte pas les bagarres. Lorsque Serge (Claude Brasseur) me tabasse après notre rupture, moi je l’aurais envoyé paître…
Télérama : Sur l’écran, vous arrivez à être bouleversante, à faire jaillir des émotions sans donner l’impression d’utiliser des trucs, de faire un numéro d’acteur… Comment faites-vous ?
Romy Schneider : Je suis une grande passionnée. C’est pour cela que je suis pleine d’angoisses. Claude Sautet aussi est un passionné. C’est l’une des qualités que je préfère chez lui : une passion droite, courageuse, sans chichis, et qui sait se retenir. Inutile de vous dire que c’est mon meilleur ami, et le metteur en scène qui m’a le mieux comprise. Sur le plateau, il me pompe littéralement. Mais on se comprend sans un mot. D’ailleurs, lorsque nous nous sommes rencontrés la première fois, avant Les Choses de la vie, il ne m’avait jamais vue au cinéma, et je n’avais vu aucun de ses films. Nos regards se sont croisés… Ce qui compte pour moi, c’est qu’il est profondément « bien » dans la vie. Et dans le travail, ce n’est pas un tyran. Une Histoire simple est le fruit d’une longue complicité.
Télérama : Mais le secret du talent, n’est-ce pas lorsqu’une comédienne retrouve dans un rôle qu’elle doit interpréter des émotions qu’elle a réellement vécues ?
Romy Schneider : Je ne crois pas. Le talent… on l’a ou on ne l’a pas ! Ce que je peux vous dire, c’est que j’ai fait 53 films, et qu’il y a des moments d’inquiétude, de désespoir. On se dit qu’il faut arrêter. Ou évoluer. Et savoir dire : "Non, non, non, non, non !" aux metteurs en scène bidons !
Télérama : Vous croyez réellement que l’on peut évacuer sa propre personnalité, faire une composition totale ?
Romy Schneider :Absolument ! C’est ce que j’aime. Et quand je réussis à le faire, je suis assez fière de moi. Je suis satisfaite lorsque sur l’écran je vois que je suis parvenue à être quelqu’un d’autre.
Télérama : Êtes-vous libre d’aller là où vous voulez aller ? L’échec commercial du Trio infernal n’est-il pas dû au fait que le public a été désagréablement surpris de vous voir incarner une meurtrière, un monstre ?
Romy Schneider : C’est juste ! J’ai été même attaquée, très durement. J’ai été agressée dans la rue. "Comment avez-vous pu faire une chose pareille, me disait-on. C’est immoral !" Je leur répondais : "Nom de D… Je suis une comédienne ! Ce n’est pas ma vie." Si je me contentais de jouer des rôles qui me ressemblent, je choisirais la facilité. Alors autant changer de métier…
Télérama : Vous n’avez pas toujours dit cela ! Votre reconversion à la "composition" est relativement récente.
Romy Schneider : Mais les rôles dont je rêvais, on ne me les a pas donnés. J’ai commencé avec les crinolines et quand j’ai voulu les jeter… j’ai tout cassé. Trois fois, j’ai recommencé ma carrière à zéro. Je n’aurais jamais dû tourner Sissi. Quand je pense qu’ils repassent régulièrement ces films à la télévision… Cela blesse ma fierté. On devrait les interdire. Et puis, nouvelle erreur : je venais de rencontrer Max Ophüls qui achevait "Liebelei" avec ma mère Magda Schneider. J’ai eu l’audace de lui dire : "Referez-vous, un jour, ce film avec moi ? » "Jamais, m’a-t-il répondu. Je ne saurais pas comment mieux faire !" J’étais désespérée. Et j’ai tourné "Christine", un film où tout le monde était mauvais, sans exception, en me répétant que j’étais une c…
Télérama : De quand date votre vraie naissance ?
Romy Schneider : De ma rencontre avec Visconti. À cette époque, je me rongeais les sangs. Je regardais les grands comédiens, les grands metteurs en scène. Je voyais Alain Delon tourner avec des gens de qualité et j’étais malheureuse. "M… ! pourquoi ne me donne-t-on pas, à moi, autre chose que du lilas blanc et de la crème fouettée." Et puis Visconti me dit qu’il monte au théâtre "Dommage qu’elle soit une p…" et il me propose le rôle d’Annabella. J’étais terrorisée. "Travailles ! et rassure-toi, me disait-il. Si cela ne va pas, j’ai quelqu’un qui te remplace !" C’était un mensonge, je l’ai su bien plus tard. Un jour, je devais chanter en italien. Paniquée, j’avais le sentiment qu’on m’attendait au tournant. Je lui ai demandé de reporter les répétitions au lendemain. Luchino s’est mis à hurler : "Demain ? Mais demain tu retournes chez ta mère en Autriche !" Deux minutes après, je chantais. Faux, mais je chantais.
Télérama : Vous avez refusé de tourner avec lui, "L’Innocent", son dernier film ?
Romy Schneider : J’étais enceinte de ma Sarah. J’avais peur. Visconti était très en colère contre moi. Aujourd’hui, je regrette. Mais il ne faut pas en parler… Vous savez… vous allez rire… Nous devions tourner ensemble une nouvelle version de "Sissi" : la vraie vie d’Elisabeth d’Autriche (1). Nous en avions très envie tous les deux… La vie en a voulu autrement. La vie a fait quelque chose de mal. On n’y peut rien.
Télérama : Votre seconde rencontre marquante ?
Romy Schneider : Welles ! Pour "Le Procès", il me proposait le rôle d’Hilda… Je me suis battue pour décrocher celui de Léni… Et je l’ai convaincu de jouer lui-même le rôle de l’avocat. "Shut up !" m’a-t-il répondu en criant ; mais il m’a obéi. C’est une victoire que je revendique. Vous voyez ! je me jette des fleurs ! J’ai l’habitude de me battre : les rôles de Lily dans "Max et les ferrailleurs" et de Rosalie dans "César et Rosalie" n’étaient pas prévus pour moi. Je les ai arrachés à Claude Sautet… Et… je ne vous dirai pas à qui…
Télérama : Le film de Zulawsky, L’important c’est d’aimer, a été un tournant dans votre carrière. Vous y jouez à visage dépouillé.
Romy Schneider : Zulawsky non plus ne supporte pas la médiocrité. Et il est arrivé juste au moment où je cherchais à aller plus loin… Comédienne comblée : cela n’existe pas. Plus j’ai du succès, plus je suis couverte d’éloges… plus j’ai peur…
Télérama : Peur de quoi ?
Romy Schneider : De ne pas être capable de faire toujours mieux. De rester dans le confort.
Télérama : Quels sont vos critères de choix pour un rôle ? D’abord le metteur en scène ?
Romy Schneider : Un bon scénario. C’est très rare. Une fois Lelouch m’a parlé d’un projet avec Jean-Louis Trintignant, caméra à la main, avec "un homme et une femme"… Il ne voulait pas me donner le texte. Je n’ai pas accepté.
Télérama : On dit que vous ne vous êtes pas entendue avec Claude Chabrol pendant le tournage des "Innocents aux mains sales" ?
Romy Schneider : Ce n’est ni sa faute, ni la mienne. Nous ne sommes pas faits pour travailler l’un avec l’autre. Moi, j’ai besoin de répéter… longuement. La scène vient doucement, doucement… Jusqu’à ce que, je donne ce que j’ai à donner. Lui, il attendait en spectateur que je vienne sur le plateau avec ma valise toute prête. Il voulait que je donne… et lui ne donnait rien.
Télérama : Et pour "La Dernière Femme" de Marco Ferreri ?
Romy Schneider : Son sujet était beau et courageux. Mais je lui ai dit que le rôle n’était pas pour moi. Sa "dernière femme" ne devait pas avoir plus de vingt-cinq ans. Cependant, même si j’avais encore eu cet âge, je n’aurais pas pu le faire. Ce n’est pas de la fausse pudeur. Je ne veux pas tourner ce genre de scènes. Aujourd’hui, on veut tout expliquer, tout montrer. On va très loin dans l’impudeur… Si la femme moderne, c’est celle de Ferreri, alors je ne suis pas moderne… Tant pis !
Télérama : Si les spectatrices s’identifient tellement aux rôles que vous jouez c’est que - peut-être - "la femme moderne" de Ferreri est une minorité ?
Romy Schneider : Ah ! J’aime les hommes qui parlent comme cela. Il y en a tellement qui pensent que je suis démodée d’être pudique et qui aiment le spectacle de la nudité, même s’il atteint une vulgarité et une grossièreté inadmissibles. S’il y a des comédiennes qui ont des problèmes de frustration, ce n’est pas mon cas. Moi, je n’ai pas besoin d’aller "jusqu’au bout" de vouloir "tout montrer". Je crois au renouveau du romantisme.
Télérama : Et quels sont vos projets ?
Romy Schneider : "Clair de femme", un film de Costa-Gavras, avec Yves Montand : une belle histoire d’amour ; "La Banquière", de Francis Girod ; et "La Mort en direct" de Bertrand Tavernier. Peut-être aussi un film avec Franco Brusati. Mais je ne veux plus enchaîner film sur film. Je veux garder mes nerfs, ma force. Je ne suis pas une usine.
Propos recueillis par Jean-Luc Douin