De Mariette Navarro
Éditions : Multisonor
Fichier MP3 haute qualité, sans DRM
Lu par Sarah Biasini
Durée : 3h11
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Sortie le : 22 juin 2022
Prix : ~ 20 euros
EAN : 9782374912868
Ecoutez le 1er chapitre (~ 4') :
Ultramarins - Chapitre 1
L'histoire : A bord d’un cargo de marchandises qui traverse l’Atlantique, l’équipage décide un jour, d’un commun accord, de s’offrir une baignade en pleine mer, brèche clandestine dans le cours des choses. De cette baignade, à laquelle seule la commandante ne participe pas, naît un vertige qui contamine la suite du voyage. Le bateau n’est-il pas en train de prendre son indépendance ?
Le livre a reçu les prix suivants : Prix littéraire Frontières-Léonora Miano 2022. Prix des lecteurs de Villejuif 2022. Prix Hors concours des lecteurs 2021. Mention spéciale du prix Marine Bravo Zulu 2021. Prix des lecteurs de L’Usage du monde. Prix des lycéens de Sceaux.
Le 25/06/2022 : Ajout de l'extrait N° 3
Extrait :
D’abord ils tracent un cercle pour en être le centre. Un grand cercle englobant tout : le bleu, ses masses noires, ses crépitements blancs. Borné par rien d’autre que l’horizon devenu rond.
Depuis le bateau, ils tracent un cercle avec leurs yeux.
Ils espèrent le silence.
Leurs regards se perdent sur la courbe qui les entoure.
Ils espèrent l’abstraction. Ils font de ce rond bleu un tissu rigide, un sol où faire leurs premiers pas. Ils plissent les paupières, maintiennent l’illusion jusqu’à l’apparition d’une vague, un clapotis qui de nouveau rend tout liquide, profond.
Ils tracent un cercle à la surface, on dirait qu’ils prennent la mer pour du papier, leurs bras pour les compas de leur enfance. Ils ne se posent pas la question de ce qu’il y a en dessous, ils recherchent la perfection du cercle et de la plongée en son centre. Ils imaginent les ondes concentriques que produira leur minuscule corps humain. Ils croient qu’on peut plonger dans un miroir sans être engloutis par la vague, disparaître du côté du monde où la lumière ne passe plus.
Ils espèrent le silence en coupant les moteurs : c’est sans compter sur le jeu de l’eau, ses battements sur la coque, la revanche du bruit du vent une fois les machines éteintes. Alors tout ce qui grince et souffle n’est plus dû qu’aux forces mécaniques, aux rafales, aux masses d’eau, à l’acier balloté par la houle et aux respirations des hommes en réponse à ces grands chuintements.
Quand les moteurs s’arrêtent, ils perdent l’équilibre qu’ils avaient fini par trouver, ils sont rétrogradés dans leur apprentissage, ils redeviennent chiens fous se cognant partout, vomissant leurs tripes, mais ils sentent comme une euphorie d’en être arrivés là.
Tous sortent de leur cabine à l’heure convenue, sont fidèles au rendez-vous, pas un ne s’est posé la question de faire faux bond. Ils ne sont libérés bien sûr de rien, encore moins de l’inquiétude. Tendus, ils guettent la moindre anomalie, l’embarcation qui penche ou craque, une infiltration peut-être. Incertains de pouvoir déceler le danger quand il y en aura un. Dépourvus de leurs réflexes. Pour se détendre, ils font de ce vacarme vidé de toute habitude une musique.
Ils n’ont plus de métier quand ça s’arrête, plus de trajectoire programmée. Ils n’ont plus beaucoup de connaissances quand ils quittent les tableaux de bord. Sans chaussures le long des coursives ils perdent de l’assurance, mais ils aiment comme le soleil les brûle. Ainsi commence le travail des sensations.
Ils se retiennent de glisser en se moquant d’eux-mêmes, ils font de leurs déséquilibres un nouveau jeu. Dans le tangage, ils se suivent sans commenter, posent leurs mains sur le froid des rambardes pour se rassurer : sensation connue. Ils rient un peu du frémissement identique qui se met à les parcourir, tous.
Ils avancent sur les ponts vers un des canots en mesurant leur degré d’inconscience, en effleurant la question de la nécessité, mais ils exécutent les gestes prévus : déplier les échelles, s’agripper aux cordages, se découvrir d’autres muscles dans la tension des bras. Se préparer à descendre vers la mer.
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