Source : Le Mag du Cinéma - 19 mai 2022
Difficile de parler de la vie de Romy Schneider sans la placarder dans le sempiternel cliché du "destin brisé". Le documentaire Romy, femme libre de Lucie Cariès opère un virage à 360 degrés. En interrogeant le mythe "Romy Schneider", la cinéaste offre à la comédienne un magnifique écrin posthume qui lui permet de (ré)affirmer sa modernité autant que sa liberté.
(Dé)construire le mythe de la star
Cannes. Jour 2. En cette matinée ensoleillée du jeudi 17 mai 2022, alors que la Croisette peine à se remettre de la présence de Tom Cruise, venu la veille présenter la suite du mythique "Top Gun", le public cannois a eu la chance de découvrir le documentaire de Lucie Cariès. Magiquement intitulé "Romy, femme libre", le documentaire s’attache à déconstruire le mythe (malheureux) qui colle à la peau de l’actrice.
D’entrée de jeu, le documentaire casse les codes qui ont jusqu’ici prévalu dès lors qu’il était question de raconter la vie de la comédienne. Si la vie personnelle de Romy Schneider n’a cessé de fasciner, Lucie Cariès refuse le traditionnel misérabilisme que l’on associe au destin de la star. "Cela fait 40 ans qu’on nous la raconte, qu’on se la raconte sous l’angle du déterminisme, du drame annoncé, et c’est sûr qu’il y a eu drame, mais ce n’est tellement pas que cela Romy Schneider ! Or, on oublie qu’elle est vraiment une femme extrêmement combattante[1]" explique Lucie Cariès.
"Redonner la parole" à la femme derrière l’actrice
"Je désirais avancer en même temps qu’elle. Pour ce faire, j’ai essayé de me situer à l’intérieur de sa temporalité. Je voulais vraiment lui redonner son point de vue" ajoute la réalisatrice. Lucie Caries redonne la parole à une femme trop souvent spoliée par une narration médiatique avide de la classer dans la catégorie (rentable) des "destins brisés". Nous y (re)découvrons ainsi la vie d’une femme qui ne manque pas de panache. Tour à tour épouse modèle ou signataire d’un manifeste pro-avortement, Romy Schneider n’aura cessé de (se) (dé)jouer des critiques comme des classifications.
Ni féministe ni antiféministe, l’actrice est un véritable "électron libre" qui, selon les mots de Lucie Cariès, refuse les étiquettes, mettant sa liberté au-dessus de tout. Le documentaire brosse le portrait d’une femme qui a fait de l’indépendance une exigence personnelle autant qu’artistique, et ce, à une époque où l’autonomie (financière et sexuelle et affective) des femmes constitue encore un débat de société.
"Romy, femme libre" mêle des images d’archive, pour la plupart inédites, qui donnent à voir une autre facette d’une actrice que l’on croit trop souvent connaître (à tort). Lucie Cariès tient à effacer cette collusion fallacieuse entre la femme et l’icône, l’actrice et son rôle. "Il y a eu une espèce de confusion, encore une fois, par les drames qu’elle a traversés à la fin et aussi par les rôles qu’elle endossait, au bout d’un moment parce qu’elle est devenue une tragédienne au sens noble du terme. Il y a eu une espèce de confusion entre sa vie et ses rôles". Le documentaire renouvelle la réflexion (ancienne) sur le pouvoir de l’image et sa puissance identificatrice. Si "le cinéma, c’est la vie" comme l’affirmait François Truffaut, il ne saurait se confondre avec elle.
Rosalie pour toujours
"Romy, femme libre" permet d’opérer un recul salutaire sur notre rapport aux acteur.trice.s. Par le choix des images, autant que par le soin du montage, Lucie Cariès décortique le mythe ou plutôt la construction de l’icône (féminine) cinématographique. La misogynie criarde qui se dégage de certains extraits n’est pas sans faire écho à celle qui agite encore (très largement) la scène médiatique actuelle. Ce faisant, la réalisatrice va à contre-pied des normes narratives traditionnelles (et sexistes) en s’éloignant de l’objectification attendue. "J’ai voulu me débarrasser de la beauté de Romy Schneider. C’est pour cela que j’ai souhaité commencer le documentaire par la phrase "Cela commence toujours par sa beauté". Une fois qu’on a posé cela, on peut rentrer dans notre histoire".
Ce choix de mise en scène permet, ainsi, d’explorer plus largement le lien qui nous unit à l’actrice. En interrogeant nos a priori sur Romy Schneider, le documentaire questionne du même coup les frontières entre le privé et le public, l’image et la réalité. Romy Schneider devient, en somme, par la force des images, la vectrice d’une réflexion autour du star-system d’hier et d’aujourd’hui.
"Quoi qu’elle joue, Romy Schneider, de toute façon, elle te donne" évoque, dans un sourire, Lucie Caries. Romy Schneider n’est ni une icône de papier glacé ni une plate antonomase, elle est un être dont la présence, la liberté et le talent continuent d’irradier notre quotidien. Ne dit-on pas que les étoiles ne meurent jamais ?
Berenice Thevenet
[1] Tous les propos en italique ont été recueillis lors d’une interview à l’occasion du Festival de Cannes le jeudi 19 mai 2022.
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