Source : La Croix - 16 avril 2022
Romy Schneider face à son destin
Exposition : "Romy Schneider", à la Cinémathèque française (Paris)
Quarante ans après sa mort, une exposition et une rétrospective rendent un hommage bouleversant à l’actrice et à la femme libre qu’elle avait choisi d’être, loin du destin tragique auquel on l’a trop souvent réduite.
Elle est là, toujours vivante et palpitante. Avec ce foulard blanc dans les cheveux, son teint hâlé et ce regard lumineux légèrement teinté de mélancolie. À jamais dans nos mémoires, l’Hélène des "Choses de la vie", de Claude Sautet. C’est à l’actrice trop tôt disparue, à 43 ans, et à la femme incroyablement belle et libre que La Cinémathèque française a choisi de rendre hommage pour le quarantième anniversaire de sa mort.
Loin de l’image d’ingénue de ses débuts, de ses amours médiatisées et des drames personnels auxquels on l’a trop souvent réduite. "Depuis quelque temps, la fin tragique de sa vie a pris le pas sur le reste et laisse à d’autres le soin de parler pour elle", regrette la commissaire de l’exposition, Clémentine Deroudille, qui a choisi volontairement de montrer un autre visage de Romy Schneider. Celui de la femme passionnée, investie dans son métier, pétrie de doutes mais qui a su sans cesse se réinventer pour s’affirmer comme l’actrice qu’elle avait choisi d’être. Déjouant les pièges d’une notoriété précoce qui en avait fait la "petite fiancée autrichienne" au regard prude pour devenir cette comédienne talentueuse, sensuelle et épanouie des films de Claude Sautet. L’incarnation de la femme française libérée des années 1970, dans laquelle chacun(e) pouvait se reconnaître.
"En réalité, j’étais en avance sur mon temps", a-t-elle un jour expliqué. À une époque où il n’était nulle part question de libération de la femme, j’ai entrepris ma propre libération". En choisissant de rompre avec sa famille d’abord, et notamment avec sa mère, l’actrice Magda Schneider, qui veillait jalousement sur sa carrière. En s’installant à Paris ensuite, pour vivre son histoire d’amour avec Alain Delon et, loin de la "Sissi" qui lui collait à la peau, repartir de zéro dans l’ombre de la star naissante.
En sélectionnant soigneusement ses metteurs en scène enfin (Alain Cavalier, Luchino Visconti, Orson Welles…) et ses rôles, dans lesquels cette éternelle insatisfaite pouvait se perdre corps et âme. Comme avec Henri-Georges Clouzot, qu’elle suivit jusqu’au bout dans "L’Enfer" d’un tournage avorté. Après un détour décevant par les États-Unis puis l’Allemagne, où elle épouse le dramaturge Harry Meyen et donne naissance à son fils, David, c’est son retour en France – toujours grâce à Alain Delon, qui l’impose dans "La piscine", de Jacques Deray – et sa rencontre avec Claude Sautet qui seront déterminants.
Toute une salle de l’exposition est consacrée à leur collaboration. Elle donnera naissance à cinq films entre 1970 et 1978 ("Les Choses de la vie", "Max et les ferrailleurs", "César et Rosalie", "Mado" et "Une histoire simple"), les plus beaux de ses rôles et un César (le deuxième après celui pour "L’important c’est d’aimer", d’Andrzej Zulawski).
Entre eux, l’entente est immédiate. Les télégrammes, les petits mots adressés à son "Cher Clo" de sa grande écriture déliée témoignent de l’engagement professionnel de l’actrice. "Claude, c’est formidable, j’ai tout lu et travaillé beaucoup, beaucoup", lui envoie-t-elle après avoir reçu le scénario des Choses de la vie, signant Romy-Hélène. Mais aussi de ses angoisses quand elle ne reçoit plus de propositions intéressantes. "Je n’ai pas la position d’une Deneuve ou d’une Jobert. Pas besoin de l’argent mais enfin tu comprends", écrit encore celle qui était l’antistar par excellence, en permanence sur le plateau, refusant de participer à un dîner au motif que les techniciens n’étaient pas invités. "C’est son caractère passionnel qui m’attire, a dit d’elle le cinéaste. Elle a une formidable énergie intérieure, elle n’est pas paisible mais tourmentée, pure, violente, orgueilleuse".
Une exigence et une hypersensibilité qui la conduiront vers des rôles toujours plus dévorants, dans lesquelles cette écorchée vive expie en partie sa culpabilité d’être née allemande, et des tournages qui la laissent exsangue, avec toujours ce sentiment de ne pas avoir la carrière qu’elle aurait mérité. La vie ne lui aura pas laissé le temps de bâtir sa légende. Et pourtant, à voir les extraits de ses films, les centaines de photos de tournage exhumées des archives de la Cinémathèque et les magnifiques portraits qui ponctuent l’exposition, elle reste encore incroyablement présente dans nos esprits. Infiniment fragile et touchante.
Céline Rouden
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