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Source : Paris Match.fr - 10 janvier 2021
Sarah Biasini : "Je considère que ma fille est un cadeau du ciel, où ma mère est…"
Dans « La beauté du ciel », la fille de Romy Schneider raconte la comédienne et la femme qu’elle a trop peu connue. Tout en s’interrogeant sur son propre parcours. Le livre touchant de cette rentrée.
Paris Match : On vous proposait depuis longtemps d’écrire sur votre mère ?
Sarah Biasini : Pas du tout ! Et au départ je ne voulais pas “écrire sur ma mère”. Encore moins régler mes comptes. Mais, comme tous les enfants, j’ai voulu aller m’entretenir avec des gens qui l’ont connue. Il se trouve que ces gens sont Claude Sautet, Michel Piccoli, Alain Delon, mais ce n’est pas le cinéma et la notoriété qui m’intéressent. C’est la mort, l’absence, le souvenir et ce qu’on fait avec. J’ai essayé d’écrire un livre plus large que ma simple histoire. Car on n’arrête jamais d’être la fille de sa mère. On n’arrête jamais d’être l’enfant de ses parents, même quand on devient parent à son tour. On est toujours la petite fille, toujours ! C’est une problématique universelle.
Le réel point de départ de ce livre est la profanation en 2017 de la tombe de votre mère, suivie de près par votre grossesse à 40 ans. Vous écrivez : "Le laps de temps entre ces deux journées profanation-procréation ne peut qu’exciter mes croyances, mes pensées magiques… Sans contraceptif depuis dix ans, c’est maintenant que ça marche ? Y aurait-il une cause et un effet ? Future chérie, dis merci à ta grand-mère."
Sarah Biasini : Oui. Cette profanation m’a beaucoup émue et je n’ai pas compris pourquoi sur le moment. Je trouvais ça suffisamment romanesque pour que ce soit le point de départ du livre. Depuis longtemps, j’avais envie de prendre la plume, je tournais autour de sujets de fiction tout en sachant qu’au fond il fallait que j’écrive sur ce que je connaissais le mieux : l’absence. Lorsque j’ai appris que j’étais enceinte, j’ai compris qu’il était là mon sujet : comment devenir mère quand on a soi-même perdu sa mère et quel genre de mère on devient quand on a connu la mort ? Tout l’intérêt a été non pas de romancer parce que tout est vrai, mais de trouver une façon littéraire de le raconter. J’étais obsédée par la forme plus que par le fond.
C’est la raison pour laquelle vous l’avez intitulé “La beauté du ciel” ? Il s’agissait de trouver un sens à la tragédie ?
Sarah Biasini : Oui. J’avais tous ces thèmes : les morts, la naissance, le souvenir, la maternité, la famille… et je me suis dit que ce serait bien d’essayer de faire du beau avec du laid. Je considère que ma fille est un cadeau du ciel, où ma mère est… C’est toujours plus beau de voir les choses de façon un peu mystique. J’ai choisi de le vivre comme ça.
Vous racontez comment vous avez longtemps eu du mal à partager avec le public le souvenir de votre mère, à quel point même le prénom Romy donné à des enfants vous agressait, comme une dépossession. Dans le même temps, vous avez posé pour de nombreuses couvertures de magazine à l’adolescence… C’est vous qui vouliez les faire ?
Sarah Biasini : Non, paradoxalement, c’était pour être un peu tranquille parce qu’il y avait des photographes qui traînaient devant chez moi, donc on faisait des photos de temps en temps… Mais moi, l’actrice, je m’en foutais. A chaque fois qu’on me parlait d’elle, ce que j’entendais c’était surtout qu’elle était morte. Et on n’a pas envie d’y penser tout le temps parce qu’on n’a pas envie d’avoir du chagrin tout le temps. Donc, par instinct de survie, je ne m’appesantissais pas. Il n’y a pas 46 000 façons de vivre avec ça. Soit on est complètement dépressif, on finit avec des cachets et des séjours en maison de repos, soit on décide de vivre normalement. Raconter m’a permis de faire un pas de côté et de prendre un peu de recul…
Ce qui est troublant dans le livre, c’est le transfert qui s’opère entre elle et vous. D’autant que vous avez reproduit le même schéma familial : un grand garçon d’une précédente union de votre compagnon et cette petite Anna…
Sarah Biasini : [Elle rit.] Allô docteur ! Petite, je n’ai jamais eu de manque de ma mère parce que j’ai eu toute la tendresse, tout l’amour, tous les bras, toutes les bouches qui m’embrassaient, qui me touchaient… C’est génial parce que, finalement, c’est de tendresse dont un enfant a besoin… Le manque vient plus tard, mais c’est plutôt un manque d’adulte, une curiosité de femme à femme : quelles auraient été nos conversations ? Quels auraient été nos rapports ? Et puis le fait de devenir mère, d’avoir ma fille sous les yeux, c’est comme si soudain j’étais renvoyée à mon statut de petite fille. Par moments, je ne savais plus si j’étais la mère de ma fille, si ma fille était ma mère, c’était assez troublant. D’autant que, sans chercher que ma fille soit mon sosie, elle me ressemble et je trouvais qu’elle ressemblait aussi à ma mère… c’est beau. Mais je me suis fait peur aussi quelques fois. En la regardant ou en essayant de chercher des souvenirs personnels à son âge à elle.
Vous décrivez votre manière de redouter sans arrêt l’accident, la mort de votre fille comme la vôtre… Par peur que tout se reproduise. Ce livre, c’est aussi une façon de laisser un témoignage de votre amour “au cas où” ?
Sarah Biasini : Bien sûr. Toutes les mères ont peur des accidents… Plein de femmes peuvent avoir ces angoisses-là, mais moi encore plus car je sais qu’elle peut mourir avant moi et que, moi, je peux mourir demain.
Vous publiez ce livre à l’âge qu’avait votre mère lorsqu’elle a disparu... Est-ce vraiment un hasard ?
Sarah Biasini : Oui… J’ai commencé à écrire lorsque j’étais enceinte. Le temps d’écrire, ça tombe comme ça.
Vous allez la dépasser, vieillir plus qu’elle et donc braver la fatalité. Vous y pensez ?
Sarah Biasini : Forcément on y pense. On se dit : “C’est jeune pour mourir.” Je montre des photos à ma fille en lui disant : “Voilà, c’est mamie, c’est la maman de maman.”
Il y a une très jolie scène dans le livre quand vous tombez sur “Sissi” à la télé et que vous dites à votre fille : “Regarde, c’est mamie !” et qu’elle ne comprend pas, pensant que vous parlez de votre grand-mère paternelle qui vous a élevée…
Sarah Biasini : Oui. Elle a plusieurs grand-mères. Mon père s’est remarié donc la femme de mon père, c’est aussi sa mamie… On multiplie beaucoup les sentiments chez nous ! [Elle rit.] Aujourd’hui, elle pourrait mieux comprendre, elle va avoir 3 ans en février. J’ai plein de copines qui me disent : “Alors, ça y est, tu lui as montré une photo de ta mère ? Alors, tu lui as dit ?” Attends, deux secondes ! Je commence seulement un peu. Je lui montre des photos en lui disant : “Voilà, c’est mamie, c’est la maman de maman.”
Vous lui avez donné, entre autres prénoms, celui de Rosalie, en hommage à “César et Rosalie” qui est l’un de vos films préférés...
Sarah Biasini : Oui. Mais je ne l’ai pas écrit exactement comme le film.
Vous êtes agacée qu’on ramène toujours Romy Schneider à “L’important c’est d’aimer” et à la fameuse scène de larmes face caméra ?
Sarah Biasini : Oui, je trouve ça dommage ! Je vois tout le monde gloser devant : “Oh, regardez, c’est elle qui nous parle dans cette scène !” Il y a quand même une grosse branlette intellectuelle ! C’est voyeur de la part des gens et encore plus pervers connaissant la fin de son histoire. Mais bon, je suis sa fille donc je n’ai aucun recul. Je préfère quand on passe un extrait du “Vieux fusil”, la scène où elle rencontre Philippe Noiret à La Closerie des lilas, avec sa petite voilette. Là, ils sont tellement beaux tous les deux ! Je trouve ça plus joli que de passer l’extrait de “L’important c’est d’aimer” où elle est à califourchon en larmes.
Jeune femme, vous avez connu tardivement Sautet puis Piccoli… L’actrice que vous êtes devenue ne regrette pas de ne pas avoir travaillé avec ces géants ?
Sarah Biasini : J’aime ce cinéma mais, au moment de nos entrevues, je ne leur ai posé aucune question. Je m’en veux d’ailleurs aujourd’hui. Quand j’ai fait la connaissance de Sautet, je ne pensais même pas à devenir actrice moi-même. C’étaient de beaux personnages. Piccoli, Sautet, quelle classe ! C’étaient des gens qui avaient une élégance incroyable.
Le cinéma a peu fait appel à vous depuis vos débuts. C’est un choix de privilégier le théâtre ?
Sarah Biasini : Je ne suis pas détendue devant une caméra. Peut-être que je ne devrais pas le dire, mais c’est la vérité : je ne me sens pas très libre, je me regarde faire, je m’écoute… J’ai une part de responsabilité, je ne montre pas énormément d’envie, enfin je ne vais pas chercher les projets. Je questionne d’ailleurs beaucoup mon propre désir de jouer. Encore aujourd’hui… Ce qui est sûr, c’est que je suis beaucoup plus à l’aise sur les planches.
Vous évoquez dans votre texte vos entraves, votre “auto-sabordage systématique”… Les pas dans lesquels vous marchez sont trop grands ?
Sarah Biasini : Oui, mais on apprend à faire avec. C’est la peur de mal faire, de rater. Vous répétez une pièce pendant des semaines, vous travaillez, et le moment arrive où la peur paralyse, et on trouve toujours un truc pour scier la branche sur laquelle on est assise… Mais je préfère ça plutôt que de me dire : “Tu sais quoi ? J’y vais tranquille ! Ça va hyper bien se passer !” Quelque part, c’est ça qui donne tout le sel et l’adrénaline à une scène.
En 2018, le film sur votre mère “3 jours à Quiberon” vous a scandalisée. Vous écrivez : “Le monde extérieur me renvoie l’image d’une icône au destin brisé, vouée au malheur.” C’est le décalage entre l’image qu’ont les autres et la femme que vous avez connue qui est dérangeant ?
Sarah Biasini : Oui, il y a le respect des morts aussi. Il faut faire attention. Le destin tragique, la fatalité… Comme si une telle beauté ou un tel talent ne se vivaient pas impunément… C’est sûr que, dans les faits, il y a eu des choses tellement dramatiques que c’est vraiment digne d’une tragédie grecque, je comprends, c’est vrai. On aurait voulu l’écrire, on n’aurait pas osé. En l’occurrence ce film allemand, il n’aurait pas fallu que je le voie. A partir du moment où je l’ai vu, c’était foutu. Ils parlent de toute ma famille dedans ! Et puis, c’est assez dur de se dire que c’est parce qu’elle est morte qu’ils ont pu faire ce film. Je suis intervenue pour rappeler que c’était une fiction. Parce que lorsqu’un film est annoncé comme un biopic, la plupart des gens prennent tout ce qui est à l’écran pour argent comptant. Moi la première. C’est tout le problème, même avec la série “The Crown”, il faut sans cesse se demander où commence la fiction.
Vous vous sentez écrivaine aujourd’hui ? Vous avez envie de poursuivre dans cette voie ?
Sarah Biasini : J’aimerais bien. Fiction ou pas, on verra. Je pense pouvoir jouer et écrire. J’espère. J’aimerais bien écrire un livre pour enfants aussi !
Vous avez peur pour votre métier ? Pour le cinéma, le théâtre ?
Sarah Biasini : Non, je pense qu’on finira bien par y retourner. Déjà les tournages ont repris… Mais ce qu’il faut, c’est une vraie date. Il faut qu’on arrête de dire : “Peut-être telle date” et en fait non. Parce qu’il y a toute une économie derrière et c’est dramatique : tous les investissements pour les ré-affichages, la remise en route des théâtres. Je ne sais même pas si le Festival d’Avignon aura lieu en 2021. J’aimerais bien parce que je dois y rejouer “Mademoiselle Julie”. Quand on ne peut pas exercer son métier, on n’a pas de raison sociale, on n’existe pas. C’est terrible ! Ça vaut pour n’importe quelle profession. Alors bien sûr les acteurs, les techniciens, les intermittents… Mais les restaurateurs, c’est pareil, c’est catastrophique ! Et ce n’est pas près de s’arrêter…
Karelle Fitoussi
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