Entretien mené par Patrick Ferla, journaliste Mardi 26 janvier 2021 de 12h30 à 14h00
Après des études d’histoire de l’art, Sarah Biasini part deux années à Los Angeles où elle suit les cours de l’Actors Studio. On la découvre pour la première fois sur les écrans français en 2004 dans une courte série télévisée, Julie, chevalier de Maupin, aux côtés de Pierre Arditi. Suivront, entre autres, Un homme et son chien de Francis Huster ( 2009 ) ou encore Dors mon lapin de Jean-Pierre Mocky ( 2012 ). Attachée à se faire son propre nom, la fille de Romy Schneider et de Daniel Biasini laisse éclater son naturel et son ardeur. Parallèlement à sa carrière cinématographique, elle mène avec succès une carrière théâtrale et joue dans plus de vingt pièces, notamment sous la direction de Christophe Lidon. Tout en continuant de jouer au théâtre, Sarah Biasini change de mode d’expression et choisit l’écriture : La beauté du ciel ( Stock, 2021 ). Une femme écrit à sa fille qui vient de naître. Elle lui parle de ses joies, ses peines, ses angoisses, et surtout d’une absence, celle de sa propre mère, Romy Schneider. Dans ce récit fulgurant, poétique, hanté par le manque, Sarah Biasini se livre et explore son rapport à sa mère, à la mort, à l’amour.
Infos pratiques : Société de Lecture : Grand-Rue 11, 1204 Genève Le mardi 26 janvier 2021 De 12h30 à 14h00
En 1594, lorsqu’il écrit "la Mégère apprivoisée", William Shakespeare ne pouvait se douter que son texte trouverait un écho de grande actualité près de 400 ans plus tard. L’audacieuse mise en scène de Frédérique Lazarini, qui transpose la Mégère dans le cinéma italien des années 1950, soulignant ainsi le caractère intemporel de cette comédie, au delà de l’évolution des moeurs, se joue à l’Artistic Théâtre à Paris avec Sarah Biasini, Delphine Depardieu, Cédric Colas… à partir du 15 décembre, date où réouvrent les théâtres : merci d’être au rendez-vous de ce nouveau départ pour soutenir le spectacle vivant qui en a le plus grand besoin !
La langue incisive de Shakespeare est à l’œuvre dans cet échange vif entre Petruchio et Catarina au début de la pièce quand leur affrontement est très direct. Petruchio tente de séduire et d’apprivoiser une Catarina «insoumise» :
PETRUCHIO : Bonjour Cateau, car c’est là votre nom ai-je entendu dire ? CATARINA : Ne seriez-vous pas précocement sénile ? En tous les cas vous avez l’oreille un peu dure car ceux qui parlent de moi me nomment Catarina. ETRUCHIO : Vous mentez, ma parole ! Car on vous nomme Cateau tout court, ou la jolie Cateau, ou bien parfois Cateau-la-harpie : mais Cateau, la plus ravissante Cateau de la chrétienté, Cateau du Château-Gâteau, Cateau ma super-sucrerie, car tout gâteau est friandise, donc, Cateau, écoute un peu, Cateau ma consolation, ce que j’ai à te dire : ayant entendu, dans toutes les villes que je traversais, louer ta douceur, célébrer tes vertus et proclamer ta beauté, bien moins cependant qu’elles ne le méritent, je me suis porté à ta recherche pour te prendre pour épouse. CATARINA : (Lui crachant à la figure) Porté ! Voyez-vous ça ! Et bien puisque vous vous êtes porté jusqu’ici, remportez-vous ! Sur le champ… J’ai tout de suite vu que vous n’étiez rien d’autre qu’un meuble !
Cet affrontement violent qui court tout au long de la pièce résonne de façon très pertinente à notre époque de dénonciation sexiste d’une domination masculine has-been mais trouve sa place naturelle dans le contexte cinématographique de l’Italie (encore très machiste) des années 1950–60 où l’inventivité de la mise en scène de Frédéric Lazarini place cette comédie intemporelle. Alternent les scènes jouées et les scènes filmées qui font des acteurs leurs propres spectateurs rajoutant au cocasse de l’intrigue shakespearienne.
La déesse Mégère La grande question qui court la pièce est celle des rapports hommes femmes dans le mariage avec, quelle que soit l’époque, les tentatives féminines de révolte contre le pouvoir masculin alors encore indiscutable. Shakespeare noue habilement les situations tendues et comiques qui émanent de cet affrontement séculaire pour résoudre un conflit que tous savent alors – et maintenant encore – insoluble, celui des conflits conjugaux centrés sur la rivalité du pouvoir. Dans la mythologie grecque, Mégère (étymologiquement : la haine) est l’une des trois Erinyes, ces déesses chargées de punir les auteurs de crimes tout au long de leur vie jusqu’à les rendre fous. C’est exactement ce que prétendent souvent les couples en conflit au long cours : «Il/elle me rend fou !» On comprend là que c’est un châtiment !
Toujours dans la mythologie, les mégères sont des créatures hideuses, ayant pour cheveux des serpents, munies d’ailes et de fouets et dont le sang coule par les yeux. En d’autres termes : «une furie !» Cette image ancestrale de l’épouse en colère – évidemment souvent en réaction à la domination masculine – a traversé les siècles au point où le mot «mégère» est devenu un nom commun pour désigner une femme violente et agressive. Catarina (Delphine Depardieu)
Dilemme Les hommes se bousculent pour épouser Bianca, douce et cadette fille de Baptista qui ne peut – tradition oblige – marier la cadette avant l’aînée et surtout pour que l’indomptable Catarina ne lui reste pas «sur les bras» ! Baptista s’adresse directement à tous les prétendants, Grémio, Hortenso, Lucentio, Tranio… : «Ne m’importunez plus, messieurs. Vous le savez, ma résolution est ferme : je n’accorderai pas ma fille cadette Bianca avant d’avoir trouvé un mari pour l’aînée Catarina. Si l’un de vous deux aime Catarina, comme je vous connais bien et vous tiens en amitié, il a ma permission de lui faire la cour.» Ce qui laisse Lucentio et Tranio, son valet, perplexes… Baptista (Maxime Lombard), Lucentio (Pierre Einaudi) et Tranio (Guillaume Veyre)
Devant cette «furie» que personne ne sait dompter, Baptista, se sent soulagé lorsque Petruchio dit vouloir épouser sa fille aînée : «Seigneur Petruchio, je vous envoie ma fille ! Courage !»
PETRUCHIO : Nous y voilà… Je lui fais ma cour gaillardement. Si elle se met à vociférer, eh bien je lui dis que son chant est aussi suave que celui du rossignol, si elle s’avise à froncer le sourcil, je maintiens que son visage est aussi limpide et pur que la rose du matin ! Si elle me somme de faire mes paquets, je la remercie comme si elle m’invitait à demeurer la semaine chez elle, si elle refuse de m’épouser, je lui demande avec tendresse à quelle date je dois faire publier les bans !
Apprivoisement La pièce de Shakespeare se conclut sur «l’apprivoisement» de la mégère, selon les mœurs d’une époque encore très misogyne et méfiante du pouvoir des femmes :
BAPTISTA : Allons, cher Petruchio, toutes mes félicitations ! Vous avez gagné le gage et c’est encore une nouvelle dot que je veux vous offrir car ma fille Catarina a tant changé qu’on ne saurait la reconnaître. TRANIO : Ah ça ! La panthère s’est transformée en une douce colombe. (Baptista rechante la chanson) PETRUCHIO : Mes amis, mes amis ! Vous n’avez pas cessé de vous émerveiller et je vais vous donner une nouvelle preuve de son obéissance et de son mérite. Catarina va se charger de vous expliquer à vous, messieurs et à vos épouses rebelles, tout le respect qu’elles doivent à leurs époux…Catarina, viens t’assoir près de moi Catarina, ma chérie.
La fine mise en scène de Frédérique Lazarini double cette fin d’un retournement «féministe» d’actualité que je vous laisse découvrir en allant assister à cette comédie intemporelle qui constitue l’un des très grands moments du théâtre universel.
"La Mégère apprivoisée" de William Shakespeare, mise en scène de Frédéric Lazarini, à l’Artistic Théâtre, 45 bis, rue Richard Lenoir 75011 Paris, Du 15/12/2020 au 17/01/2021 les mardi, jeudi et vendredi à 19 heures, les mercredi, samedi et dimanche à 15 heures et samedi à 18h30. Réservation au 01 43 56 38 32 ou sur http://artistictheatre.com
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Même si la carrière de Robert Enrico reste riche, avec des films d’aventures à la française ("Les Grandes Gueules", "Les Aventuriers", "Boulevard du Rhum"), des polars ("Pile ou face") et même un grand film historique (la première partie de "La révolution Française"), c’est "Le Vieux Fusil" qui reste son œuvre la plus célèbre, récompensée par plusieurs Césars. Un film fort, dominé par la présence et le talent de ses comédiens. "Le Vieux Fusil" s’ouvre et se clôt sur la même image : un homme, une femme et une enfant se promenant en vélo sur un petit chemin de campagne, accompagnés d’un chien. Image d’un bonheur familial dans un cadre calme et serein encore renforcée par la superbe musique de François de Roubaix.
Mais si la scène est identique, le sentiment éprouvé par le spectateur est très différent. Car entre-temps, le spectateur a été témoin de choses dures, éprouvantes. "Le Vieux Fusil" est un film émouvant, une belle œuvre qui ne cède pas à la facilité mais touche et bouleverse en profondeur.
"Le Vieux Fusil" est nettement divisé en trois parties. Au début, le film de Robert Enrico nous entraîne à Montauban en 1944. Philippe Noiret incarne le docteur Dandieu, un médecin dont la profession est forcément bouleversée par la guerre et l’Occupation. Les blessés s’entassent dans la salle principal de l’hôpital, les médicaments manquent, le chirurgien passe des journées entières au bloc opératoire, et la milice se permet de faire irruption dans l’hôpital pour enlever des blessés “communistes” ou “saboteurs”. En règle générale, c’est toute la vie à la ville qui est rendue extrêmement compliquée par l’Occupation. L’armée patrouille sans cesse, deux hommes sont pendus à des armes le long des rues, Dandieu doit se fournir en médicaments au marché noir, sans même mentionner les canonnades et explosions qui ébranlent les maisons et terrifient leurs habitants.
Au milieu de ce contexte difficile, la seule consolation de Dandieu, c’est sa petite famille, sa mère, sa fille, et surtout sa femme Clara. Romy Schneider est exceptionnelle dans ce rôle. Lumineuse, radieuse, elle incarne plus qu’un personnage : une lumière (ce quoi renvoie son prénom). Même au milieu des bruits de bombardements, elle conserve sa grâce. Cette lumière donne la vie autour d’elle. Elle est littéralement la raison d’être de Dandieu et le centre de toute la famille.
Cette image restera constamment, tout au long du film. Si, en nombre de minutes, Romy Schneider est peu présente à l’écran, son personnage est pourtant le centre même du film. C’est son souvenir qui va guider le docteur dans son expédition vengeresse. La seconde partie du film se déroule dans deux temporalités différentes : le présent, où le docteur découvre qu’un hameau entier a été exécuté par une troupe de soldats nazis (l’épisode s’inspire du massacre d’Oradour-sur-Glane), et le passé des souvenirs.
A ce moment-là, le film aurait pu sombrer dans le plus grave des pathos. La scène du viol et du meurtre de Clara est à la limite de l’insoutenable. Mais l’irruption des flashbacks va redonner une vie, une lumière paradoxale à ce qui aurait pu être insupportablement sombre. Pendant qu’il prépare sa vengeance contre les soldats nazis, Dandieu va être assailli par les souvenirs de sa femme, sa rencontre avec elle, sa petite vie de famille de bon père bourgeois de province avant la guerre, etc. Et, là aussi, là surtout pourrait-on dire, la jeune femme représente la vie, la lumière, la grâce.
De ces flashbacks va donc se dégager une impression paradoxale, mélange de bonté, de sérénité, de joie, et de douleur (car cette lumière s’est éteinte, car tout cela est irrémédiablement du passé désormais). Clara Dandieu, c’est la vie au sein de la mort.
A travers cette histoire de massacre(s), Le Vieux Fusil nous montre comment l’horreur de la guerre se répand et contamine tout le monde. Rien ne laisse présager, dans la première partie du film, que le docteur se transforme en un vengeur qui assassine froidement.
Au début, Dandieu est un homme qui essaie de faire son métier de son mieux (au vu des circonstances). Il avoue clairement qu’il ne fait pas de politique. Mais est-il possible de rester neutre en une telle période ? Est-il possible de rester stoïque quand les miliciens emportent des blessés ?
Dandieu pensait sincèrement échapper à tout cela et protéger sa famille en l’envoyant à la campagne, dans le hameau de la Barberie. Et c’est vrai que les images bucoliques semblent être à l’opposé de la situation tendue et compliquée de la ville. Aucun bruit de canons, aucun mort pendu aux arbres, aucune patrouille qui circule, aucun papier à contrôler…
Mais pourtant, la guerre ne préserve rien, tout est touché, souillé par sa folie destructrice. La Barberie devient la Barbarie. Et même Dandieu, que tout nous présente comme un homme doux et débonnaire, se transforme en un tueur froid et méthodique.
"Le Vieux Fusil" est un grand film. Philippe Noiret est exceptionnel (il faut voir cette image, furtive, lorsqu’à la fin du film il se rend compte de tout ce qui vient de lui arriver). Il est parfaitement secondé par un Jean Bouise qui a toujours été un des meilleurs seconds rôles du cinéma français. La présence de Romy Schneider évite au film, avec justesse, de sombrer dans le désespoir absolu en lui apportant la lumière et la grâce. Une grâce paradoxale qui donne au film sa tonalité si particulière.
Le Vieux Fusil : fiche technique Réalisation : Robert Enrico. Scénario : Pascal Jardin, Robert Enrico Interprètes : Philippe Noiret (le docteur Dandieu), Romy Schneider (Clara Dandieu), Jean Bouise (François) Photographie : Etienne Becker Montage : Eva Zora Musique : François de Roubaix Production : Pierre Caro Sociétés de production : Artistes associés, Mercure Productions, TIT Filmproduktion Société de distribution : Les Artistes associés Date de sortie en France : 20 août 1975 Genre : drame Durée : 103 minutes