Source : Le Journal du Dimanche - 29 décembre 2020
La comédienne et fille de Romy Schneider, Sarah Biasini, a perdu sa mère à 4 ans et demi. Dans La beauté du ciel (Stock), elle se livre sur son enfance, tout en s'adressant à sa fille, Anna.
Tantôt règlements de comptes œdipiens, tantôt exhibitions d'excès en milieu privilégié, les livres des enfants de vedette se distinguent souvent par leur complaisance racoleuse et leur insignifiance littéraire. De là notre – bonne – surprise lorsque nous avons ouvert cette Beauté du ciel : plutôt que de donner à l'époque les drames prémâchés dont elle aime se gaver, l'auteure, la comédienne Sarah Biasini, 43 ans, raconte de manière délicate ce que c'est que de devenir mère quand on est la fille de Romy Schneider.
Sans prétendre dénoncer ou rétablir quoi que ce soit. Et sans rien céder aux injonctions du marketing : les stars, le cinéma sont évoqués dans les dernières pages, et les drames qui ont marqué sa famille – la mort de son frère et celle de sa mère, sources de toute une légende noire – sont énoncés sans un mot de trop.
Pour l'essentiel, le livre restitue, dans une langue à la simplicité travaillée, les réflexions qui pourraient être celles de tout jeune parent : devenir mère, n'est-ce pas renouer, par les petits miracles des réminiscences, avec la fille que l'on a été, et retrouver ainsi sa propre mère? N'est-ce pas aussi se vouer à vivre avec la peur de voir les drames passés se répéter? S'y ajoutent les questionnements découlant de la célébrité : comment faire la part de la mère dont on se souvient fugacement et de l'actrice dont tout le monde voudrait vous parler?
J'avais envie d'écrire sur ma mère depuis longtemps
"J'avais envie d'écrire sur ma mère depuis longtemps", nous dit Sarah Biasini, bras croisés dans les bureaux de son éditeur, avant de reprendre : "J'avais envie de l'aimer publiquement. J'avais envie d'écrire depuis longtemps. Avec les événements déclencheurs, les raisons étaient toutes trouvées." Parfois, la vie se change en livre de signes et Sarah Biasini le raconte fort bien : le premier mai 2017, elle apprend, mortifiée, que la tombe de sa mère a été profanée.
Néanmoins, elle décide de prendre ce retour au cimetière comme une occasion de faire enfin son deuil – elle avait 4 ans et demi au moment du décès. Trois semaines plus tard, elle qui essayait d'avoir un enfant et envisageait une fécondation in vitro apprenait qu'elle était enceinte…
Toutes les familles peuvent vivre des tragédies. Toutes ne s'y voient pas perpétuellement renvoyées et, si Sarah Biasini nous touche, c'est aussi parce qu'elle expose, sans insistance, des sentiments simples et légitimes. Comme le désir de se réapproprier une mère capturée par sa propre mythologie. "Je n'en veux pas aux gens qui me parlent d'elle, même si j'ai un peu de mal à partager leur peine. Mais chaque fois que j'entends son nom, j'entends sa mort. C'est cela, les survivants… Et puis c'est ma mère, pour moi, elle n'est que ça. Parfois, je me fiche de l'actrice."
Sarah Biasini porte, sur son visage, le souvenir de celui de sa mère. Dans le livre, cette ressemblance donne lieu à de jolies scènes, lorsqu'elle rencontre Claude Sautet ou Michel Piccoli et relate la stupeur que sa vue provoque chez ces artistes qui ont tant aimé Romy. Cette beauté a son revers – elle est aussi une assignation à s'entendre sans cesse rappeler son ascendance. Elle a appris à faire avec. Son livre raconte à la fois jusqu'où va l'emprise et quelle joie, quelle gratitude on peut trouver à s'en libérer. Ainsi, lorsque, en plein accouchement, une infirmière a voulu lui parler de Romy Schneider, c'est la sage-femme qui l'a interrompue : "Ah, non, hein ! C'est son moment, là !" Parfois, la lumière surgit de sources les plus inattendues, et l'une des beautés de ce livre est de savoir la saisir.
J'ai eu si peu de ma mère
Sarah Biasini a baptisé sa petite fille Anna – et rit lorsqu'on observe qu'il s'agit d'un prénom palindrome (qui se lit dans les deux sens). On y retrouve inscrits comme en médaillon les deux mouvements du livre. Un retour vers le passé, à travers les souvenirs de l'auteur et de ceux qui ont connu sa mère – et qui en livrent une image "bien plus gaie, vivante et complexe" que celle restituée par les biopics tire-larmes. Et un appel vers l'avenir, une façon d'offrir à sa fille une mémoire déminée. Certes, écrire permet de conjurer la peur, mais elle ne l'abolit pas. Sarah Biasini a rédigé son texte pour sa fille, "si jamais" elle ne pouvait l'accompagner jusqu'à l'âge adulte.
Cela peut se comprendre : "J'ai eu si peu de ma mère." Elle a eu, par contre, deux mères de substitution auxquelles elle rend un bel hommage : sa grand-mère paternelle, fumeuse invétérée, qui lui jetait les mêmes regards énamourés qu'elle adresse aujourd'hui à sa fille, "une mère à la Romain Gary ou à la Albert Cohen". Et cette Bernadette, dite "Nadou", "nourrice comme on n'en fait plus", embauchée par sa mère en 1975 et avec laquelle elle est toujours liée. "Il y a toujours une urgence à dire aux gens qu'on les aime. Encore plus dans ma famille, où l'on connaît les risques de la mort brutale. Alors on s'arrange pour ne pas rester sur une fâcherie, on essaie de se dire les choses, au cas où nous nous verrions pour la dernière fois. C'est un peu une obsession."
Et néanmoins une forme de sagesse? "Je suis d'accord. Il n'y a pas tant de choses importantes dans la vie."
Aujourd'hui, Sarah Biasini sait aller à l'essentiel, et cela se voit dans son livre.
Par Alexis Brocas
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