Source : La Revue du Spectacle - 18 septembre 2020
Comme l'annonce Christophe Lidon, directeur du CADO et metteur en scène de la pièce, en préambule à sa plaquette de saison : "Mademoiselle Julie" s'est fait attendre… La première de la pièce était prévue il y a six mois, le 20 mars 2020, quelques jours après le début de l'interdiction de toutes représentations sur la France. Après ce long sommeil, cette étrange belle au bois dormant surgit pour une nuit de la Saint-Jean bondée d'ivresse, de danses et de folies.
Aussi bien dans le décor qu'il a créé que dans les trajectoires des personnages, Christophe Lidon met en place une géométrie de l'inéluctable. Quatre immenses panneaux blancs encadrent l'espace de jeu : la cuisine de la maison où va se dérouler toute l'action. Sur ces panneaux, les projections successives créées par Léonard vont imager les différents extérieurs, et faire évoluer l'ambiance. À noter les très belles chorégraphies de Maud Le Pladec que le travail de vidéaste de Léonard transcende. On y voit dès les premières secondes du spectacle, le "bal" de la Saint-Jean où les couples s'attisent, où les corps se dissolvent dans la chaleur de cette nuit lunaire.
La cuisine, un peu à l'écart de cette fête sensuelle où le petit peuple s'affranchit de tout, est comme un îlot de calme, les coulisses d'un spectacle. C'est aussi le domaine de Christine, la cuisinière, la promise de Jean. Avec Julie, ce sont les deux seuls personnages de la pièce. Un triangle qu'on ne peut pas dire amoureux, point de romantisme ni dans le couple formé par Christine et Jean, ni dans le rapport qui fait l'action de la pièce entre Julie et Jean. Les échanges de ces deux derniers se teintent en permanence de force, de pouvoir, d'humiliation.
On pourrait croire en surface que la trame de "Mademoiselle Julie" est cette séduction croisée teintée d'ivresse et d'une forme de harcèlement. Sans en repousser cet aspect, Christophe Lidon en fait une autre lecture. Il met en avant le passé des protagonistes dont les aveux parsèment le texte, en faisant paraître en filigrane ces lignes géométriques que sont les fils des vies. C'est ainsi que le passé de Julie et de Jean éclaire les mots qui vont les mener à cette étreinte échangée dans la froideur violente du désir. Jusqu'à ce réveil dans la crudité des règles sociales qui les soumet : elle, fille de notables en mal d'émancipation, lui, serviteur rêvant d'un avenir libre et sans maître.
Les trois interprètes se glissent dans leurs personnages avec une totale conviction et beaucoup de réalisme. Sarah Biasini crée une Julie dense, tout sauf superficielle, imprégnée de sa propre histoire, son éducation réprimée, tentatrice mais aussi et surtout victime. Yannis Baraban impose un Jean terrien, carré, sans trop de doutes, qui prend parfois le visage implacable du destin face aux deux figures féminines. Deborah Grall incarne une Christine fragile et sensible, mais dotée d'une énergie vitale farouche.
L'épilogue à cette nuit de fête (la fête de Jean) sonne comme la condamnation de ceux qui veulent changer le cours de leur vie dans un monde sclérosé où les rôles et les places sont imposés par l'ordre ancien, celui du père, du comte, du maître dont l'ombre rode sans cesse sur les esprits de tous, et qui clôt cette nuit de son pas lourd, implacable comme la morale.
Bruno Fougniès
"Mademoiselle Julie"
Texte : August Strindberg.
Version scénique : Michael Stampe.
Mise en scène et scénographie : Christophe Lidon.
Assistante à la mise en scène : Valentine Galey.
Avec : Yannis Baraban, Sarah Biasini, Deborah Grall.
Chorégraphie du bal : Maud Le Pladec, directrice du Centre chorégraphique national d'Orléans avec les amateurs d'Orléans.
Lumières : Cyril Manetta.
Costumes : Chouchane Abello-Tcherpachian.
Images : Léonard.
Musique : Cyril Giroux.
Durée : 1 h 20.
Du 15 au 26 septembre 2020.
Mardi et vendredi à 20 h 30, mercredi à 19 h, jeudi 17 à 19 h, jeudi 24 à 20 h 30, samedi à 14 h 30 et 20 h 30, dimanche à 15 h.
CADO Centre National de Création Orléans Loiret, Salle Pierre-Aimé Touchard, Orléans (45) : 02.38.54.29.29.
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