Source : Télérama.fr - 07 février 2020
La metteuse en scène et comédienne a monté “La Mégère apprivoisée”, une pièce qui chahute les codes identitaires attachés aux deux sexes.
Excentriques de la scène, furieux des planches, certains heureusement osent trop, en font trop et transforment leurs rêves en délirante réalité. Christian Hecq et Frédérique Lazarini, acteur(rice) et metteur(euse) en scène, sont de ces excessifs dont la vie entière semble théâtre et dont la folle énergie constamment émeut. La seconde, sans la jouer — ce dont elle aurait eu toute la démesure —, a monté une Mégère apprivoisée de sa façon. Elle a métamorphosé la tourbillonnante comédie shakespearienne (1594) en une de ces farces caustiques et tendres qu’affectionnait le cinéma italien des années 1950-1960. Shakespeare aimait fort l’Italie, on le voit à ses nombreuses pièces situées là-bas ; en homme de la Renaissance, il narguait tout type de frontières. Et sans doute appréciait-il la liberté et l’audace de narration de la commedia dell’arte qui y surgirent au début du XVIe siècle. Une vitalité qui enchante
Pourquoi alors ne pas revisiter l’Italie en l’adaptant ? Et une Italie d’après-guerre en plein mouvement, renouvellement, où les femmes commencent à revendiquer et prendre leurs places. Comme à l’âge baroque. Catarina est ainsi réputée « mégère » parce qu’elle clame ce qu’elle pense, rejette l’autorité du père comme l’hypocrisie régnante, face à une sœur plus jolie et douce qu’elle, Bianca, dont tous les jeunes hommes seraient fous. Peut-être, aussi, parce que ces deux filles-là sont de riches héritières… Histoire d’apparent dressage amoureux, de jeux de rôle masculin-féminin : Shakespeare chahute les codes identitaires traditionnellement attachés aux deux sexes. Autour d’un cinéma ambulant, sur une place de village, chacun joue ici la partition sociale et sentimentale attendue, sous le regard ironique, sceptique, voire cynique de l’auteur…
Belle idée que d’avoir recentré sur cinq acteurs la comédie endiablée. L’adaptation court à l’essentiel avec une vitalité qui enchante. Sur grand écran, face au public, des scènes qu’on ne verra pas en chair et en os activent l’action ; sur le plateau, des acteurs caracolent dans une sarabande amoureuse, ils s’amusent de leurs masques, défient leurs propres désirs. Sarah Biasini impose une Catarina carrée, franche, solaire, féministe déjà. Et si forte que Bianca, sa sœur rivale, est condamnée à n’apparaître qu’à l’image. La première forme avec Cédric Colas, bondissant et troublant Petruchio, un couple irrésistible qui compose avec humour avec la société de son temps…
Fabienne Pascaud
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