Source : L'oeil d'Olivier - 23 janvier 2020
Mélangeant théâtre et cinéma, dans un dosage parfait, Frédérique Lazarini nous propose, à l’Artistic théâtre, une version expurgée mais solide de "La mégère apprivoisée" de Shakespeare. Un bel hommage à l’âge d’or de la Cinecitta.
Sur scène, cinq personnages, Catarina (Sarah Biaisini), Petruchio (Cédric Colas), Batista (Maxime Lombard, épatant), Lucentio (Pierre Einaudi) et le valet Tranio (Guillaume Veyre), alors que la pièce en contient une vingtaine, plus des figurants ! Notre époque veut cela, de l’économie. Frédérique Lazarini a dépassé la contrainte, en ajoutant des scènes filmées où elle a pu inclure la sœur Bianca (formidable Charlotte Durand-Raucher), les prétendants Gremio et Hortensio (Hugues Petitier et Jules Damas), le prêtre (Didier Lesour) et des scènes de foules ! Le film, réalisé par Bernard Malaterre, est en noir et blanc pour faire contraste avec la scène où les couleurs éclatent. Cela fonctionne fort bien.
Ce parti pris, lui permet de rendre hommage aux comédies de l’âge d’or du cinéma italien qui démarra dans les années 50, avec Fellini, De Sica, Rosi, Visconti. Son spectacle en possède le ton, le style et cela sied à merveille à la comédie de Shakespeare, dont l’action se passe en Italie. C’est également un clin d’œil au film avec le couple Elizabeth Taylor – Richard Burton dont le réalisateur n’est autre que l’italien Zeffirelli. Les costumes de Dominique Bourde sont faits d’un subtil mélange entre le style élisabéthain et celui des années 1950. Le décor de François Cabanat rappelle à la fois les places de village où le linge sèche au vent, et où l’on installe des bancs et un écran de toile pour une projection de film en plein air.
En resserrant l’histoire, Lazarini sert le propos autour de Catarina. Celle qu’il faut marier à tout prix, voire se débarrasser pour pouvoir trouver de belles épousailles à la petite dernière, la douce et gentille Bianca. Catarina est, aux yeux de tous, une fille acariâtre, méchante, une furie, une harpie. Sarah Biasini est épatante dans ce rôle où on ne l’attend pas avec son si beau visage et sa blondeur. Elle donne à la colère de Catarina, qui refuse de se plier aux diktats des hommes, autre chose que du revêche. On sent les fêlures de cette jeune fille au caractère trempée moins aimée que sa cadette. Et quand ce fou de Petruchio décide de l’épouser, la comédienne montre bien le trouble dans lequel se retrouve son personnage. D'un côté, elle a enfin un homme, de l’autre elle se doute que la dot a eu plus d’appât qu’elle. Petruchio va l’apprivoiser en l’affamant, en l’empêchant de dormir, en la torturant presque… Cédric Colas, sorte de mélange de Gassman et de Mastroianni, fait fort bien passer le trouble que ressent son personnage pour celle qu’il a choisi d’épouser. Dans leur jeu du chat et de la souris, où la haine et l’amour se confondent, le duo Biasini–Colas nous a séduits. Et il n’est pas dit que Catarina soit perdante lorsqu'elle cède à son époux.
La pièce se termine sur le monologue où Shakespeare dit qu’une femme doit être soumise à l’homme. En ce début de XXIe siècle, le texte fait grincer les dents. D'autant que toute la pièce parle d’une femme fière et indépendante, en rébellion contre l’autorité, qui refuse d’être assujettie. C’est le paradoxe de la comédie du dramaturge anglais. Frédérique Lazarini a l’excellente idée de le faire suivre par un extrait d’Une chambre à soi de Virginia Wolf où le sourire de Sarah Biasini, en connivence avec les spectateurs, rappelle combien Catarina est bien une femme moderne.
Marie-Céline Nivière
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