Source : Paris Match - 04 août 2017
Jeanne la Française a bouleversé l’ordre du monde cinématographique
Jeanne, c’est une voix. Une voix rauque et grave qui semble sortie de lointains ailleurs. Jeanne, c’est aussi une bouche. Une bouche fiévreuse et frissonnante. A la lèvre inférieure tombante. Moue presque hautaine de femme volontaire, à mi-chemin entre la vamp vénéneuse et la mante religieuse. Jeanne, c’est encore des paupières. Des paupières lourdes, ourlées et ombrées. D'un pas décidé, nez levé, yeux mi-clos et lèvres sèches, elle n’a cessé d’entrer dans une suite ininterrompue de chefs-d’œuvre. Actrice de toutes les époques, elle a réussi à n’être d’aucune et à gagner, par les voies de l’enfer ou du ciel, l’éternité de son vivant.
Qu’elle soit mariée aux couleurs du deuil, Mata Hari, danseuse espionne, flambeuse de casino platinée dans « La baie des Anges », Catherine II impératrice de Russie, sous-prieure de couvent dans « Le dialogue des carmélites », elle est, depuis sept décennies, une créature mythique faisant les quatre cents coups et défiant les modes et le temps.
Constamment coulée en des personnages dont personne n’a jamais su s’il fallait les adorer ou les haïr, elle a pu, avec cette allure inimitable et ce visage marqué, changer de registre, brouiller les pistes pour se classer dans la catégorie des monuments souverains. Au début, sa voie semble toute tracée entre les ruelles du vice et le boulevard du crime. Dotée d’un indéniable rayonnement sensuel, courtes mèches frisottées et anneaux d’or aux oreilles, affichant le sexe sur son visage, elle commença sa carrière par une longue liste d’emplois de garces, interchangeables avec ceux d’Annie Girardot. Lorsque l’une n’était pas libre, l’autre était engagée à sa place. Les deux comédiennes, pareillement sociétaires à la Comédie-Française, se remplaçaient à la scène comme à l’écran. Jeanne commença ainsi, en vamp de première catégorie dans des films de second ordre. Après avoir effectué sa toute première apparition à l’écran en 1948 dans «Dernier amour » comme rivale d’Annabella, elle traversa, en poule tenant le haut du pavé, «Pigalle-Saint-Germain-des-Prés», «Meurtres ?» et «L’homme de ma vie», puis monta en grade. Dans «Touchez pas au grisbi», maquillée à la tonkinoise et coiffée façon tapineuse de Pigalle, elle recevait une taloche aller-retour musclée de Jean Gabin.
Par Henri-Jean Servat
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